Balade nocturne dans la forêt... (PV Eleonnor et Ryu) [Terminé]

Après une journée très stressante à l'hôpital d'Avventura, Eleonor aimait bien se détendre en faisant une balade dans la forêt. Il n'y avait rien comme la nature pour oublier le travail. Quoi que ce qui s'était passé aujourd'hui allait être difficile à oublier. Elle ne pouvait s'enlever de la tête le regard apeuré de l'homme à qui elle avait fait un bandage lorsque celui-ci l'avait regardé et remarqué les yeux rouges d'Eleonor, hypnotisé par le sang qui coulait le long de son bras. La vampire ne s'en était pas tout de suite rendu compte, mais elle avait passé un petit moment en transe, fixant une goutte de sang qui descendait le long du bras du patient. Lorsque son regard de braise croisa celui du pauvre homme et qu'elle comprit l'air effrayant qu'elle devait afficher, Eleonor se rendit compte que, bien que cela faisait des années qu'elle exerçait cette profession, bien que depuis toujours elle essayait de contrôler ses pulsions, elle était et serait jusqu'à la fin de ses jours une vampire, au prise avec la constante envie de boire du sang.

Elle s'était donc promit, en sortant de l'hôpital, d'essayer un petit exercice de maîtrise de soi. L'idée en elle-même était assez simple: elle devait poursuivre un animal, un cerf par exemple, à travers la forêt, puis le mettre à terre et boire son sang. Jusque-là rien d'exceptionnel par rapport à ce que font les vampires. Mais après une ou deux gorgées, et c'est la toute la difficulté de l'exercice, elle doit cesser de boire complètement et laisser sa proie partir. Jamais elle n'avait été capable de commencer à boire du sang, puis de s'arrêter sans être un minimum rassasier, et cela allait donc être tout un défi. Après avoir respiré profondément afin de retrouvé une certaine paix intérieure et s'être concentré sur son objectif, notre créature de la nuit se mit en chasse. Il y avait quelque chose d'à la fois magnifique et d'effrayant dans chacun de ses mouvements. Elle se déplaçait si vite, et pourtant si silencieusement, qu'un cerf n'avait aucune chance de la voir venir. Elle en mit un par terre après une chasse de quelques secondes. Cela devait bien faire 8 heures qu'elle n'avait pas bu de sang, et l'excitation la gagnait. Les yeux rouges, les crocs sortit, le visage tordu affichant l'air prédateur typique de son espèce, Eleonor était prête à mordre dans le cou du cerfs qui se débattait et essayait de se relever. D'un coup elle cessa tout mouvement, se rendant compte que si elle ne se calmait pas tout de suite, la vampire en elle risquait de prendre le dessus. Elle était soulagé que personne ne la voit ainsi, car elle devait avoir une apparence monstrueuse. Après une grande respiration durant laquelle elle tenta de reprendre ses esprits, car elle voulait être sûr de réussir cette épreuve qu'elle s'était imposé, elle avança lentement sa bouche vers sa proie.

La vampire entendit alors un bruit de respiration et, de nouveau, cessa tout mouvement. Il y avait aussi une odeur qu'elle n'arrivait pas à identifier. Elle était si emballé par l'idée de croquer ce pauvre cerf qu'elle n'avait plus porté attention à son environnement immédiat. Elle laissa alors sa proie se relever et partir au galop, car elle était quelque peu effrayer de ce qui se cachait tout près. Toutes ses rencontres dans la forêt, toutes sans exception lui avaient presque coûté la vie, à chaque fois. Elle se devait donc d'être prudente et de ne pas prendre pour acquis que, parce qu'elle était une vampire, aucun danger ne la menaçait. Du calme Eleonor, ça ne sert à rien de paniquer, réfléchit un peu. C'est ce qu'elle fit. Le cri du cerf et sa chute sur le sol n'était certainement pas passé inaperçu. On savait donc qu'elle était là. Elle n'avait plus qu'à rassembler ses sens et tenter de savoir face à qui elle se retrouvait. Voyons voir…L'odeur dans l'air n'était ni celle d'un lycan, ni celle d'un vampire, mais… ce n'était pas non plus un humain. C'est à ce moment qu'elle s'en voulu de ne jamais pratiquer la chasse et de toujours vivre comme si elle était humaine. Si elle avait davantage porter attention aux odeurs des gens autour d'elle, peut-être serait-elle maintenant en mesure de savoir qui se tenait devant-elle? L'idée de s'enfuir lui vint alors à l'esprit, puis elle la relaya au dernier recours. Et si elle se retrouvait face à une darkness? Elle n'aurait pas grande chance de réussir à se sauver. Alors quoi? Sauf demander qui était là, phrase tellement prévisible quand on y pense, elle ne savait pas trop quoi faire.

-Qui est là?

Le timbre de sa voix se fit aussi neutre que possible. Elle ne voulait ni effrayer un potentiel être sans défense, ni menacer un potentiel ennemi. Depuis quelques secondes ses crocs s'étaient rétractés. Seuls ses yeux restaient rouges. Sans cela, il lui serait bien trop difficile de voir dans le noir, alors qu'actuellement elle voyait parfaitement. N'attendant pas la réponse de l'être qui ne se trouvait qu'à quelques mètres d'elle, notre vampire fit quelques enjambées dans la direction de la respiration, espérant de tout son coeur que ce ne soit pas encore une darkness…

Décidé à faire face à ce qui se cachait tout près, Eleonor continuait d'avancer. Elle était déjà en train de réfléchir à la meilleur tac-tic de combat à utiliser lorsqu'une voix se fit entendre:

-Je m'appelle Ahvock, je ne sais pas qui vous êtes mais je ne vous veux aucun mal...

On entendit alors la vampire pousser un long soupire de soulagement. Elle venait trouver la provenance de ces mots. Devant elle se tenait un jeune garçon tout bleu à l'expression triste. Elle le détailla de bas en haut, profitant du fait qu'il ne pouvait probablement pas la voir, et aperçu de l'eau flotter au-dessus de la bouteille qu'il avait à la main. Elle se tenait donc soit devant un mage qui contrôlait l'eau, soit, plus probable encore du à l'odeur qu'il dégageait et à son apparence, devant un élémentaire d'eau. Heureusement, elle n'avait pas grand chose à craindre puisque celui-ci venait de déclarer n'avoir aucune intention belliqueuse. Un rayon de lune passa alors, et elle espéra que la couleur de ses yeux ne l'effraie pas inutilement. Après tout, elle n'avait pas de mauvaises intentions non-plus. La vampire allait se présenter comme il se doit et préciser qu'elle n'avait aucune intention de lui nuire, lorsqu'en humant l'air elle se raidie entièrement.

-Euh… Bonsoir?

Les yeux de la vampire étaient grands ouverts et scrutaient les alentours. Il n'était pas très poli de ne pas répondre à cet inconnu, et elle devait avoir l'air étrange d'avoir un tel comportement, mais elle venait de détecter l'odeur absolument délectable…du sang. Instinctivement ses crocs sortirent, elle avait désormais l'apparence effrayante d'une prédatrice. En y repensant, il est vrai qu'il y avait eu quelques craquements de branches un peu plus tôt et une odeur fauve qu'elle avait associé à un quelconque animal de la forêt, mais rien de cela ne l'avait alarmé jusqu'à humer cette délicieuse, quoi qu'inquiétante odeur de sang. Voyant parfaitement dans l'obscurité, la vampire se mit à scruter les environs afin de détecter l'origine de cette odeur. Elle cru alors voir sur la branche d'un arbre, au-dessus d'elle, l'espace d'une fraction de seconde, un pelage rouge se cacher derrière le tronc. Eleonor releva un sourcil, perplexe, et fit quelques pas dans la direction de cet arbre, décidé à débusquer ce qui tentait de se cacher. Au moins, quoi qu'elle décelait clairement la présence de sang, ce ne pouvait pas être un autre vampire, elle l'aurait détecter. En effet Eleonor aurait détester se retrouver face à l'un de ses semblables, car elle ne s'était jamais entendu avec aucun d'eux. Se faire encore traiter de végétarienne par un de ces monstres buveurs de sang, non merci! Toujours sur le qui-vive, la vampire scrutait le sol, absorbée par chaque centimètre carré qui passait sous son regard. D'un coup elle sourit, soulagée. Descendu de l'arbre se trouvait un petit renard à la bouche ensanglantée qui continuait sa route. Elle avait eue peur pour rien, ce n'était qu'un petit animal, et il était très probable que ce sang provienne simplement d'une de ses proies. Se retournant vers son interlocuteur, Eleonor s'excusa de son comportement étrange.

-Pardonnez-moi, l'odeur du sang provoque toujours chez moi une vive réaction. Quoi de plus normale pour une vampire, n'est-ce pas? Mais ce n'était qu'un renard.

Elle avait préciser cela parce qu'elle incertaine à savoir si ce probable élémentaire l'avait vu. Il ne fallait pas qu'elle oublie qu'il ne pouvait probablement pas voir très bien avec cette noirceur. Elle rétracta bien sûr ses crocs et afficha un air aussi détendu que possible après ce qui venait de se passer, bien qu'encore une fois elle se doutait qu'il ne pouvait pas la voir. Puisqu'il lui avait donné son nom, elle comptait bien lui donner le sien, ne serait-ce que par politesse.

-Je m'appelle Eleonor. Alors dites-moi, Ahvock, qu'est-ce qu'un élémentaire comme vous fait seul dans cette forêt la nuit? Ce n'est pas très prudent quand on sait ce qui s'y trouve.

Son ton n'était ni moqueur, ni menaçant, elle cherchait réellement à s'informer du pourquoi de sa présence ici. Depuis le temps qu'elle vivait à l'Aventura, elle avait rencontré toutes sortes de créatures, mais il était rare de voir des élémentaires s'aventurer jusque dans la forêt, car après tout c'était le terrain de chasse favori des vampires et des lycans.

Eleonor mit sa main devant sa figure et plissa les yeux lorsque son interlocuteur alluma sa lampe. Aïe! Elle ne s'attendait pas à cela et ses pupilles extradillatées se contractèrent douloureusement. Trop tard, cette lumière, quoi que faible dans le creux de la nuit, une fois entrée dans ses yeux à la vision sensible la rendit aveugle quelques secondes. Mais afin de ne pas froisser sa nouvelle rencontre, la vampire ouvrir les yeux normalement et le regarda en face, bien qu'il y avait toujours quelques taches dans sa vision. Elle l'écouta parler de la régénérescence de ses pouvoirs: plus aucun doute, c'était bien un élémentaire d'eau. La remarque qu'il fit ensuite la fit rire. En effet, pourquoi un élémentaire craindrait-il de se promener dans son élément? De ce qu'elle savait, ces gens préféraient de loin la nature à la ville, et en regardant autour d'elle, la vampire comprenait pourquoi. Dans le ciel limpide on voyait briller les étoiles, car aucune pollution lumineuse, à cette distance de la ville, n'était là pour les effacer. L'eau du ruisseau coulait tranquillement, et hormis le bruit monotone de cette eau et la conversation de nos deux protagonistes, aucun son ne venait s'imposer au calme des lieux. Certes les arbres n'arboraient plus aucune feuilles et il faisait frisquet en ce temps de l'année, mais notre vampire, qui ne dégageait pas de chaleur (la température de sa peau pouvant en témoigner), se sentait tout à fait à son aise dans cette forêt. Elle avait même remonté les manches de sa chemise blanche jusqu'aux coudes, pour encore plus de liberté de mouvement. À quoi bon chercher à se couvrir lorsqu'on ne ressent pas le froid?

-Et sinon, je vous retourne la question: dans la forêt, toute seule, la nuit, pourquoi? Enfin, je me doute bien qu'en tant que vampire, vous savez vous défendre mais quand même, cela peut être dangereux pour vous aussi non?

-Moi? Euh...

Tiré de ses méditations, Eleonor se mit à réfléchir à la meilleure réponse à donner à l'élémentaire. D'un côté elle ne pouvait s'enlever de la tête le cri étouffé, mais tout de même puissant du cerf et sa chute plus que bruyante sur le sol, de l'autre elle espérait vainement qu'Ahvock n'ait rien entendu de tout cela. Pouvait-elle lui dire qu'elle était venu jusqu'ici pour chasser le gibier? Et alors elle aurait l'air de quoi? Déjà plusieurs personnes (et même elle) avaient en tête que les vampires étaient en grande majorité des prédateurs invétérés, des brutes sanguinaires qui n'hésitaient pas à tuer quiconque pour assouvir leur soif sans fin. Et elle était prise dans ce stéréotype duquel elle tentait de s'extirper de son mieux, voulant à tout prix qu'on la reconnaisse d'abord et avant tout comme une personne, et ensuite comme une vampire. Car jamais de toute sa vie Eleonor n'avait mordu d'humain, jamais, et elle s'enorgueillissait profondément à cette pensée. En effet, combien de ses semblables avaient autant de contrôle? Elle n'en avait rencontré aucun! Ainsi elle n'était pas plus dangereuse que n'importe quel humain rencontré au hasard dans la rue, mais certaines personnes prenaient du temps à le comprendre. En fait, savoir qu'elle était une vampire inspirait la crainte chez la majorité des gens les premières secondes qu'on l'apercevait, mais peu d'entre eux, une fois qu'ils la connaissaient, continuait d'éprouver ce sentiment d'insécurité. Et c'est précisément là-dessus qu'Eleonor comptait miser pour donner ses explications sur le pourquoi de sa présence en forêt. Car il lui faudrait bien répondre, et déjà le garçon s'était assis sur un rocher, manifestement curieux d'entendre sa réponse.

-Hé bien, j'avais dans l'idée de chasser un cerf et de ne boire que quelques gorgées de son sang avant de le laisser partir, dans le but d'améliorer le contrôle que j'ai sur moi-même, mais je l'ai laissé fuir lorsque j'ai senti votre présence.

Il faut dire qu'effectivement elle avait été inquiète en sentant qu'elle n'était pas seule. Oui, elle savait se défendre, et elle s'était tiré des pires situations sans en garder aucune séquelle, mais surtout elle avait parfaitement conscience du danger qui planait lorsqu'elle décidait de faire ses excursions nocturnes, et ça ne l'avait jamais arrêté. Elle ne pouvait tout de même pas passer toutes ses nuits chez elle à regarder la télé! La nuit était le seul moment où elle pouvait sortir, et avec les pouvoirs dont elle était doté, avec cette fabuleuse capacité de guérison qui la prévenait de toute blessure mortelle, la vampire avait fini par se convaincre que sortir était un mince risque à prendre pour quelqu'un comme elle. On lui avait bien perforé le ventre et déchiré la chair à plusieurs reprises, et pourtant elle était toujours de ce monde!

-Je n'en est peut-être pas l'air, mais je sais rapidement détecter ce qui se trouve autour de moi. J'ai les sens plus aiguisés qu'il n'y parait, et si un danger me menaçait, je le saurais tout de suite.

C'était bien vrai, et elle doutait que ce soit le cas de l'élémentaire. Il faut dire qu'elle lui avait demandé ce qu'il faisait dans un tel endroit parce que ce jeune homme n'avait pas l'air particulièrement robuste. Et il n'avait pas l'air très vieux non plus: il était même un peu plus petit que la vampire. Ce devait être un jeune garçon, et pourtant il parlait à la manière d'un adulte…Oui mais au fond Eleonor avait l'air d'une jeune femme de 26 ans et en avait 91; tout comme les vampires, les élémentaires ne vieillissaient pas au rythme humain. Il cachait donc probablement plus d'expérience qu'il n'y paraissait. Elle était bien curieuse de savoir son âge, peut-être était-il encore plus vieux qu'elle. Du reste, malgré son air d'enfant, il pourrait la surprendre, surtout maintenant qu'elle prenait conscience qu'il se tenait tout près d'une rivière, source de ses pouvoirs. Elle se rappela Vegeo, cet élémentaire de la végétation qui, le premier soir où elle l'avait connu, avait déchaîné toute la forêt et avait emprisonné un lycan sans effort dans une liane…Bon, il en avait payé les conséquences par la suite, mais il était possible que l'homme devant lequel la vampire se tenait recelait d'une force que ne communiquait pas son apparence. Peut-être ses pouvoirs une fois déchaînés étaient-ils aussi terrifiants que ceux de l'élémentaire de végétation? Mais elle aurait été surprise que ce soit ce soir qu'elle assiste à une démonstration de force, car tous les élémentaires qu'elle avait connus étaient étonnamment pacifiques et n'étaient pas du genre à se battre ou à intimider sans raison.

-Si je vous ai posé cette question, c'est que je n'étais pas certaine de vos capacités. Mais en tant qu'élémentaire d'eau, qui se tient tout près des sources d'eau qui plus est, je pense que vous n'avez rien à craindre, sauf peut-être si vous vivez dans la ville.

En effet, elle l'avait entendu dire qu'il ne pouvait pas régénérer ses pouvoirs dans ce lieu, et il serait donc curieux qu'il ait choisit d'y vivre.

Regardant autour d'elle, la vampire cherchait un coin où s'asseoir, mais la forêt n'offrait pas beaucoup d'appui: des arbres aux troncs verticaux et aux branches hautes contre lesquels elle pourrait au mieux s'appuyer, et le sol glacé et humide de par le frimât qui s'y était déposé. Et malheureusement, le rocher le plus près mettrait une distance trop grande entre elle et Ahvock. Ainsi elle décida de rester debout. Après tout c'est meilleur pour le dos, se dit-elle pour se consoler. L'élémentaire s'excusa de lui avoir fait raté sa proie. Eleonor répliqua:

-Ce n'est rien, ne vous en faîtes pas pour ça. Si je le voulais, je pourrais être de retour ici en moins d'une minute avec un cerf dans les bras!

La vampire avait dit cela en souriant, car elle ne voulait pas qu'il culpabilise inutilement pour ça. La chasse au gibier n'était pas particulièrement difficile pour son espèce. Bon, elle exagérait peut-être un peu ses capacités, plus tôt ce soir elle avait eue de la chance d'en trouver un si rapidement, mais quoi qu'il en soit elle serait sans problème en mesure de se trouver une nouvelle proie sitôt qu'elle se serait séparer de sa nouvelle rencontre. D'ailleurs celle-ci ne dégageait pas une odeur particulièrement attrayante, et elle se doutait que son sang devait avoir mauvais goût. Ainsi puisque la tentation n'était pas tout près, elle ne ressentait aucune urgence d'en boire pour le moment.

Elle écoutait attentivement Ahvock s'exprimer sur son passé, et lorsqu'il lui apprit avoir déjà tuer des gens, et même beaucoup de gens, Eleonor frémit. Lui, vraiment?! Ainsi elle ne s'était pas trompé plus tôt lorsqu'elle s'était recommandé de ne pas se fier aux apparences. Cet homme était donc très bien capable de tuer s'il le voulait, et l'avait même déjà fait…dès la naissance! De quoi était-il capable maintenant alors? Apprendre ce genre de nouvelles la mit un peu mal à l'aise, bien qu'elle garda un visage placide, toujours afin de rester poli et de ne pas froisser quelqu'un qu'elle venait à peine de rencontrer. Il lui faudrait peut-être réviser l'idée qu'elle s'était fait de lui de prime abord. En effet cet homme lui était apparu comme un être sensible doté de raison, et on ne décelait dans son attitude aucune trace de méchanceté. Sauf s'il jouait la comédie. Oui, mais alors pourquoi aurait-il dit cela? Si elle se trouvait devant un quelconque être malfaisant qui avait pour but de la mettre en confiance avant d'accomplir son cruel dessin, il n'aurait pas parlé ainsi. Cela la renvoyait donc à croire que l'homme devant lequel elle se tenait avait tué, mais n'était plus mauvais. N'avait-il pas dit s'être promit de ne plus recommencer? Les élémentaires plus que quiconque à la naissance sont souvent incontrôlables et ont de la difficulté à maîtriser leur pouvoirs. Ce sont des êtres puissants dotés de corps adultes, mais aussi d'une expérience et d'une connaissance du monde à peu près nulle. Ces conditions étaient difficile à comprendre pour elle, qui n'avait jamais tuer ou même penser tuer qui que ce soit, car c'était simplement impensable. Que serait-elle devenue si elle avait depuis toujours été livrée à elle-même? Mais elle avait eue la chance d'être élevé par des parents qui l'avait guidé dans la bonne voie dès sa naissance. Juger les actes de son interlocuteur si vite était donc un peu sévère, elle se devrait d'en connaître plus avant de le condamner, ce qui n'arrivera pas puisqu'elle ne comptait pas lui poser de question sur le sujet, sentant dans le soupir d'Ahvock que cette confession était mêlé de regrets.

L'homme changea alors de sujet en parlant de la ville, un endroit qu'Eleonor appréciait particulièrement. Et elle se doutait que l'élémentaire n'y vivait pas, vivre tout près d'une source d'eau était une décision plus sage. Sans compter que près des sources chaudes il était en contact direct et constant avec la nature, ce qui ne devait pas lui déplaire. Il faudrait bien qu'elle y mette les pieds un jour, dans ces fameuses sources qu'on disait être de véritables petits paradis terrestres. N'empêche qu'elle n'y avait jamais pensé, la forêt ayant toujours été son endroit de prédilection pour la détente. Elle nota mentalement d'y aller prochainement, peut-être cela lui permettrait-elle de revoir son interlocuteur. La question que celui-ci lui posa ensuite la fit sourire. Bien sûr qu'on savait qu'elle était une vampire, et bien sûr qu'il y avait beaucoup de gens à qui cela déplaisait, mais on ne peut pas plaire à tout le monde. Dans son ancienne ville, les gens croyaient qu'Eleonor était humaine, mais elle subissait tout de même de la discrimination à l'époque, surtout dans les années 1960, parce qu'elle était une femme et que les femmes ne faisaient pas d'études supérieures ni ne pratiquaient la médecine. Et aujourd'hui, puisque la question de l'égalité des sexes semblait réglé, on l'attaquait en proclamant que les vampires ne devraient pas être médecins pour la sécurité des patients. Il n'y avait pas d'issu, toute sa vie Eleonor avait subit une forme de discrimination quelconque, mais avec le temps elle avait apprit à vivre avec. À force de se concentrer à bien faire, et même à très bien faire son travail, elle avait acquis une certaine notoriété auprès des autres médecins. La vie éternelle lui avait procuré une expérience dans le métier tout à fait inégalable, qu'elle partageait dans les rapports qu'il lui arrivait d'écrire pour des revues de science.

-On sait que je suis une vampire, mais je déborde toujours autant de travail à l'hôpital! Peut-être devrais-je ici préciser que je suis chirurgienne? Et sur mon lieu de travail, il est rare que, une fois qu'ils m'aient rencontrés, des patients refusent que je les soigne. Dans les commerces on ne refuse jamais de me servir non-plus. J'ai déjà entendu parler de chasseurs de vampires, mais n'en ai jamais rencontré, et pourtant, vous devez vous en douter, je ne sors que la nuit. Peut-être avez-vous une mauvaise image de la ville, mais si vous aviez connu celle dans laquelle je vivais avant, vous constateriez que celle-ci est très tolérante, malgré les guérillas qui sévissent la nuit.

Son ancienne ville n'était peuplé que d'humain, et le taux de criminalité était très bas, bien plus qu'à l'Avventura. Sachant cela beaucoup de gens ont tenté de faire une corrélation entre la présence de créatures non-humaines et le taux de criminalité, mais Eleonor savait pour y avoir vécu que, dans ce genre de ville, les habitants ont tendance à se faire justice eux-mêmes et que certains sont encore plus sauvages que n'importe quel vampire assoiffé, la peur les rendant paranoïaque.

Il lui semblait qu'elle en disait beaucoup à un inconnu qu'elle rencontrait pour la première fois, mais étrangement elle se sentait en confiance. Elle n'aurait pas su dire pourquoi, mais cet homme dégageait quelque chose, un je-ne-sais-quoi qui poussait à lui faire confiance. Et même l'aveu qu'il avait fait plus tôt sur ses meurtres avait été relégué à un vieux souvenir: quelque chose lui disait que, quoi qu'il se soit réellement passé, l'élémentaire n'avait rien fait qui puisse être impardonnable. Elle ne fut pas vraiment surprise de l'entendre dire qu'il n'allait que rarement en ville: il avait déjà laissé sous entendre qu'il préférait être dans la nature. Mais chose surprenante, il dit être médecin. Bien sûr il avait toujours cette apparence de jeune garçon qui faisait douter qu'il soit assez vieux pour exercer un tel métier, mais ce qui la surprit réellement était le fait qu'ils ne se soient jamais vu. Peut-être parce que l'élémentaire travaillait près de l'endroit où il vivait, c'est-à-dire dans la nature, près des sources chaudes?

-Oui à ce propos, dans quel secteur travaillez-vous? Si vous vivez surtout loin de la ville vous ne pratiquez peut-être pas à l'hôpital, ou alors peut-être que vous faîtes une exception seulement lorsque vous travaillez?

Elle connaissait la plupart des médecins de l'hôpital, depuis le temps qu'elle y travaillait, et était encore surprise de ne jamais l'avoir croisé. En regardant le ruisseau qui clapotait doucement, Eleonor réalisa quelque chose: peut-être qu'Ahvock était venu se ''recharger'' ici parce qu'il venait justement de passer sa journée à travailler dans l'hôpital de la ville. Cela semblait donc être effectivement là qu'il travaillait. Elle s'étonnait d'apprendre qu'il trouvait la force de venir ici régulièrement pour refaire le plein d'énergie, ce devait être fastidieux. Et ce ne devait pas non-plus être toujours évident lorsqu'on a un horaire chargé, comme tout bon médecin. Et pourtant il le fallait bien. Il lui semblait que les élémentaires étaient si sensibles à l'environnement. Le simple fait de vivre en ville pouvait en incommoder plus d'un. Quant à elle, la vampire aurait bien pu vivre dans une ville saturé de smog, en autant qu'elle puisse se sauver de temps en temps dans la nature, car après tout elle avait, elle aussi, sa limite en ce qui était de la pollution environnante. Elle termina d'écouter l'élémentaire, et voulu le rassurer: il semblait bien trop pacifique pour chercher à limiter la pratique de la médecine à certaines races.

-Je sais bien que vous ne seriez pas du genre à vouloir interdire la médecine aux vampires, rassurez-vous là-dessus. Mais malheureusement, c'est le cas de certains de mes collègues et même de certaines personnes dans la population. Cependant, grâce au Cercle, nous bénéficions d'une certaine paix, et on me laisse pratiquer, alors ce n'est pas si mal.

Il y avait encore quelques progrès à faire de ce côté, ça elle ne pouvait pas le nier, mais son expérience lui avait enseigner une chose: dès qu'on peut trouver des différences chez l'étranger, il est facile d'en faire un ennemi. Il y aura toujours des gens belliqueux prêts à tout pour creuser des gouffres entre les peuples plutôt que de chercher des moyens pour les unir. N'empêche que la majorité des gens voulaient la paix, et il était rassurant de le savoir. D'un coup son collègue se leva et s'avança dans sa direction. Eleonor était un peu surprise qu'il n'utilise pas plus sa lampe pour se guider. Puis elle comprit qu'il devait vouloir éviter de lui pointer la lumière dans les yeux à cause de la vive réaction qu'elle avait eu précédemment. Elle s'était pourtant habitué. Le jour lorsqu'elle travaillait à l'hôpital, les néons éclairaient parfaitement toutes les pièces et elle ne s'en était jamais plainte. Elle pouvait aisément vivre à la lumière, tant que ce n'était pas celle du soleil! Mais juste avant qu'elle ne puisse dire à Ahvock qu'il pouvait éclairer le sol à sa guise, parce que cela ne la dérangeait aucunement, le pauvre homme se prit les pieds dans une racine et tomba face contre terre, juste à côté d'elle. Naturellement, la vampire l'aida à se relever, inquiète sur son état. Mais l'homme semblait bien aller, et alors elle soupira. Il était tombé sur un sol plat et n'avait subit aucun dommage apparent. D'ailleurs il s'était relevé promptement pour s'adresser de nouveau à elle, peut-être un peu gêné par sa maladresse. Eleonor écouta sa proposition et acquiesça immédiatement. Elle ne voyait aucun problème à marcher aux côtés de l'élémentaire jusqu'à l'orée de la forêt, surtout s'il avait besoin d'aide pour s'orienter. Quoi que cet aveu la laissa songeuse, et elle ne pu s'empêcher de lui demander:

-Dites-moi, il est étrange qu'un élémentaire comme vous se perde en pleine nature. Ne devriez-vous pas être un expert de la forêt?

C'était en effet la première question qui lui avait traversé l'esprit. Elle avait en tête que tous les élémentaires avaient une connaissance total de la nature et que, lorsqu'ils étaient dans leur éléments, rien ne pouvait les arrêter ou leur poser problème. Mais au fond ça ne voulait pas dire qu'ils avaient des connaissances géographiques absolues. Ils pouvaient se perdre, comme tout le monde. Il arrivait même à Eleonor de se perdre lorsqu'elle s'aventurait dans des coins de la ville qui lui était inconnu. La seule différence, c'est qu'elle bénéficiait de sens surdéveloppés et que donc, cela lui facilitait grandement la tache lorsqu'elle voulait retrouver son chemin. Certains humains auraient regardé l'étoile polaire, d'autres auraient tenté de se rappelé l'endroit par lequel ils étaient venus, Eleonor quant à elle avait d'instinct trouvé le chemin. Elle commença donc à marcher en direction de la ville, suivit par l'élémentaire.

Eleonor continuait sa progression à travers les racines et les branches. Bientôt ils arrivèrent dans une zone un peu plus dégagé où les arbres étaient moins rapprochés. Ce point, la vampire le connaissait bien et saurait de mémoire par où aller à partir de là. Malheureusement, sans la proximité aussi marqué des arbres, on sentait davantage le froid du au vent. Elle s'imaginait que peut-être l'élémentaire le ressentirait, mais c'était le chemin le plus court et elle poursuivait malgré tout sa marche. Il faut dire qu'elle n'était pas vraiment sensible à la température. Sa peau restait toujours aussi blanche, elle ne tremblait pas et ses mouvements ne se trouvaient pas non plus gênés, même par l'étreinte glacé des bourrasques de vent polaires qui s'engouffraient sans peine dans ses minces vêtements, et traversait sa chair jusqu'aux os. La nuit avait été de plus en plus fraîche, et sous leurs pas s'ajoutait au craquement des brindilles celui d'une mince pellicule de glace qui recouvrait la terre et même jusqu'au bas des troncs d'arbres. Ces arbres sans feuilles et le brouillard qu'on voyait monter du sol plus facilement dans cette partie plus dégagé de la forêt donnait un aspect lugubre à cet endroit qui lui paraissait pourtant d'habitude si enchanteur. Seuls les étoiles, fidèles compagnes scintillantes, se faisaient les témoins rassurantes de ce cadre sinistre. Il n'y avait que la conversation de nos deux protagonistes qui déchiraient le silence inquiétant des lieux et lui enlevait tout aspect solennel.

-Mais non vous n'êtes pas ridicule, il m'est moi-même récemment arrivé de me perdre en ville. J'ai du chercher mon chemin pendant pas moins d'une heure avant de me rendre compte que j'étais tout près d'un quartier que je connaissais comme le fond de ma poche!

Elle rit. La vampire s'était montré franchement stupide dans cette situation, mais ça arrive à tout le monde de se perdre, non? Espérant l'avoir rassuré un peu, elle l'écouta continuer ses explications sur son travail. Elle sourit en l'entendant dire qu'il était urgentologue. N'était-ce pas le cas de tous les médecins de cette foutu ville? Elle même était chirurgienne de formation, mais il lui arrivait bien souvent de faire ses quarts de travail aux services d'urgence. Vraiment il faudrait qu'elle porte plus attention la prochaine fois, peut-être le rencontrerait-elle d'ici peu sur leur lieu de travail. Il ajouta ne pas savoir ce qu'était le Cercle, ce qui surprit de nouveau la vampire. Vraiment, elle se trouvait devant un être fort intéressant et pas comme les autres. Il lui semblait que le bâtiment gigantesque et austère du Cercle ne pouvait qu'attirer les regards de quiconque passait un minimum de temps en ville. Mais au fond, là était peut-être le problème: l'homme était souvent dans la nature, et cela le déconnectait de ce qui se passait ailleurs. N'empêche qu'il était bien en droit de savoir de quoi il en retournait, et Eleonor comptait bien tout lui expliquer d'une façon aussi impartiale que possible, bien qu'elle savait qu'au fond le choix de ses mots ne pourrait que mettre en relief la cruauté des rebelles et la justice carré, mais nécessaire du Cercle. Sauf qu'avant même qu'elle ne formule sa phrase, une voix masculine, autre que celle d'Ahvock, retentit derrière eux.

-Oh rien d'important. Juste une petite organisation qui cherche à embêter les prédateurs qui ne font que leur travail.

Eleonor s'était retourné vivement. Dans cette partie plus dégagé, les rayons de la lune éclairaient mieux, et peut-être qu'Ahvock pourrait apercevoir, sans même utiliser sa lampe, l'homme à l'allure patibulaire qui se dressait devant eux. Il se tenait sur la plus haute branche d'un arbre et, d'un bond souple se retrouva tout près d'eux, au sol. La vampire fut surprise de la discrétion avec laquelle ils avaient été suivit. Mais les vampires malheureusement étaient souvent difficile à détecter: ils étaient si rapides et silencieux, et dégageaient une odeur si fine, que cela se camouflait aisément parmi les divers bruits, formes et odeurs qu'on trouvait dans cet espace qui grouillait de vie. Car l'homme qui se tenait devant eux en était bien un, ça elle le détectait aisément. Mais avant même qu'un de nos deux protagoniste ne puisse réagir à l'arrivé du nouveau venu, celui-ci balança un coup de poing dans le ventre d'Eleonor qui la projeta contre un tronc d'arbre. L'impact fut si violent qu'il fit voler celui-ci en éclat. Leur adversaire n'y était pas allé de main morte, et la vampire qui ne s'y était pas attendue avait eue le souffle coupé d'une telle façon qu'il lui fallu plusieurs secondes avant de pouvoir de nouveau étirer sa cage thoracique normalement pour respirer. Entre temps il se jeta sur le pauvre élémentaire et le plaqua contre un arbre.

-Maintenant que tu n'es plus proche de ta source, comment comptes-tu te défendre, hein?

Puis il planta ses crocs dans le cou du pauvre homme. Il recracha ensuite le liquide avec dégoût.

-Qu'est-ce que c'est que ça? Le goût est horrible… Bah, ça ne fait rien, on peut toujours s'amuser autrement.

Et il adressa un sourire sardonique à sa nouvelle victime.

Inconsciente durant un court moment, la vampire émit instinctivement à son réveil un râle dans le néant, plaintif, communiquant la douleur déchirante et assommante qui l'accablait. Toujours étourdie, elle avait du mal à comprendre ce qui se disait un peu plus loin. Lentement la conscience de son propre corps lui revenait, et elle mit sa main sur un morceau de bois qui se trouvait au niveau de son estomac. En le suivant de ses doigts elle se rendit compte qu'il l'avait transpercé de part en part; elle s'était fait empaler. Mais aussi effrayant que cette nouvelle puisse paraître, Eleonor ne réagit pas immédiatement. Elle venait d'entendre Ahvock l'appeler. Il fallait absolument qu'elle aille l'aider, le pauvre homme! Elle tenta de reprendre la pleine possession de ses moyens. En tentant de se lever, elle s'aperçut que le bout de bois était en fait rattaché solidement à un lourd morceau de tronc de l'arbre qu'elle avait percuté plus tôt à une vitesse fulgurante. Elle du s'aider de ses bras afin de l'extirper de son corps. Elle gémissait, ahanait alors que son torse sanglant se relevait. La plaie était grosse et de plus faite par une arme en bois, le point faible des vampires, elle n'était pas dans les meilleures conditions pour affronter un de ses semblables, heureusement que le pieu n'avait pas percé son coeur, parce qu'alors il est certain qu'elle ne serait déjà plus de ce monde. D'après son comportement, son adversaire semblait avoir très soif, ce qui n'était pas vraiment le cas d'Eleonor, elle avait donc au moins cet avantage sur lui. Tandis que sa blessure se refermait, Eleonor, un peu chancelante, scrutait les alentours dans l'espoir de retrouver Ahvock. Il l'avait appelé plus tôt, mais maintenant elle n'entendait plus rien. Plutôt que de bouger, ce qui révélerait qu'elle avait repris possession de ses moyens à l'ouïe ultra fine du vampire, Eleonor ferma les yeux et écouta. Elle entendait un animal quelconque ronger du bois, le battement d'ailes d'un oiseau, des craquements de branches qui ne pouvaient être provoqués que par un être de taille humaine et une respiration haletante…Cette même respiration filtré, passant entre des doigts qui essayaient de la faire taire, c'était celle d'Ahvock qu'elle avait entendue plus tôt ce soir. Ce devait être lui, et les pas ne pouvait être que ceux du monstre sanguinaire qui les avaient attaqué. Elle se faufila aussi silencieusement que possible entre les arbres vers la source de la respiration qui devenait de plus en plus forte.

D'un coup elle vit, à environ vingt mètres d'elle, le vampire tenant le pauvre élémentaire contre un arbre. La vampire bouillonnait intérieurement. Elle voyait également une petite cicatrice dans le cou d'Ahvock, deux stigmates circulaires qu'il n'avait pas plus tôt. Cette ordure l'avait mordu, comment osait-il?! Mais le pire fut lorsqu'elle le vit donner un coup de genou dans son ventre. En proie à une colère immense, et ne comptant pas laisser passer un tel affront, Eleonor se rua sur le vampire alors qu'il tentait de tirer à lui sa proie rampante.

-Couard, lui? Mais regarde-toi! Trouves un adversaire à ta taille, espèce de lâche!

Et un combat sans merci s'engagea entre les deux vampires. Un combat terrifiant, et invisible. Non seulement les deux adversaires étaient dans le noir, mais en plus ils bougeaient à une telle vitesse que, même en pleine lumière, il aurait été difficile de les suivre. Eleonor pu voir que son adversaire avait des gestes maladroits. Il lui arriva de cogner de fracasser son propre poing contre un arbre ou contre le sol grâce à une esquive de la vampire. Elle se demandait pourquoi il avait mordu un élémentaire d'eau. Même elle qui n'était pas vraiment experte en la matière avait tout de suite détecté que son sang devait avoir mauvais goût. C'est en voyant des cicatrices de morsures dans son cou qu'elle comprit. Elle estimait que celles-ci dataient de quelques jours. Elle avait donc affaire à un jeune vampire inexpérimenté. C'était une chance pour elle, parce qu'avec la blessure très grave qu'elle s'était faite infligé, l'avantage aurait normalement penché du côté de l'homme. Celui-ci se mit à lui lancer des boules de feu. Des boules de feu mal dégrossit qui étaient aussi mal contrôlés et s'écrasaient un peu n'importe où, ce qui confirmait l'hypothèse d'Eleonor. Il ne la toucha qu'une fois, mais la brûlure lui fit un trou dans le bras. Elle constatait avec dépit à quel point elle était nul pour le combat. Son truc c'était les science, pas la violence! Mais elle n'arrivait pas à prendre avantage sur un vampire qui pourtant était tout jeune. N'importe quel vampire de 91 ans lui aurait mis une raclé sans avoir à y penser, mais Eleonor, passer sa première rage, avait du mal à donner des coups sans éprouver de remords, et à cause de cela la bataille s'étira plus longtemps qu'il n'aurait fallu. Le coup qu'il lui avait porté l'avait d'ailleurs affaibli, elle était en voie de perdre, il faudrait qu'elle fasse quelque chose. La boule de feu avait creusé un trou dans sa chair fumante, mais heureusement la chaleur avait cautérisé la plaie. C'est alors qu'une idée lui vint en tête. Elle était dangereuse, certes, mais l'intello qu'elle était ne pouvait pas se résoudre à continuer un combat si barbare. Elle allait utilisé son pouvoir de persuasion. Ce pouvoir qu'elle n'avait utilisé qu'en de très rares occasions où le danger menaçait sa vie. C'était ici le cas, sa vie et surtout celle d'Ahvock semblait en danger. Mais ça elle ne pouvait pas le savoir, parce que les deux vampires allaient à une telle vitesse qu'ils étaient déjà bien loin du site sur lequel elle avait abandonné l'élémentaire. Et malheureusement l'idée qu'il puisse être attaqué par une autre créature occulte ou qu'il puisse être en train de saigner à mort ne lui avait pas traversé l'esprit sur le coup, elle avait juste cherché à éloigner la menace la plus immédiate. Soudainement le vampire coinça Eleonor contre un arbre et enfonça sa main dans la blessure qu'un morceau de bois lui avait fait plus tôt, la réouvrant. Il jouait sans peur dans ses viscères, et Eleonor sentait que, si elle ne faisait rien, c'était la fin.

-Tu n'as plus aucune envie de te battre, tu es léthargique, indolent, et dès que les premiers rayons du soleil se montreront à l'horizon, tu iras t'y exposer.

Puis elle lâcha sa prise. L'homme avait le regard creux et la bouche ouverte. Il fit un signe affirmatif de la tête et s'enfonça dans la forêt. Eleonor connaissait mal l'effet de son pouvoir sur ses victimes pour ne l'avoir utilisé que rarement, mais elle savait que ses instincts de prédateurs étaient par la suite à leur maximum et qu'elle adoptait des comportements des plus étranges. Heureusement, elle ne l'avait pas utilisé trop fort cette fois-ci et ça devrait aller. Bien qu'elle était curieuse de la destination de son adversaire, la vampire avait des priorités, et retourna auprès d'Ahvock. Il faudrait de toute urgence qu'elle l'emmène au lac, en espérant qu'il ne soit pas trop tard...

Appelant à grands cris Ahvock, elle avait fini par le retrouver, heureusement au même endroit où elle l'avait laissé un peu plus tôt. Il semblait soulagé de voir que ce n'était pas l'autre vampire qui revenait vers lui. Pourtant, le chandail de la vampire était couvert du sang de son adversaire et du sien, qui provenait de sa blessure qui avait en plus été rouverte. Son chandail était également déchiré, et elle avait toujours cette brûlure grave au bras qui se refermait lentement. Mais elle était maintenant en cicatrisation, et ce n'était plus qu'une question de temps avant que la douleur ne s'en aille définitivement. Quelques poches de sang l'aideraient dans cette voie, mais voilà Ahvock était sa priorité. C'était sans conteste le plus gravement blessé des deux. Elle l'avait entendu gémir de loin alors qu'elle l'appelait, et elle comprit rapidement pourquoi : sa jambe était en tout petit morceaux. Le spectacle n'était pas beau à voir, et c'était sans compter les autres blessures dont il pouvait souffrir sans qu'elles soient visibles. C'était maintenant une urgence: il fallait l'emmener au lac tout de suite. Elle se rappelait très bien la guérison fulgurante de Djenna à l'hôpital lorsque la chirurgienne l'avait fait prendre en feu. Il était impressionnant de constater à quel point ce traitement était efficace, et elle comptait le transposer sur le blessé. Celui-ci s'adressa à elle faiblement. Il était loin de son élément et ses blessures devaient donc guérir à vitesse humaine environ, ce qui devait lui causer des douleurs effroyables et menaçait sa vie. Eleonor lui fit signe de ne pas parler, lui recommandant d'économiser ses forces. Qu'il le veuille ou non, elle ne comptait pas lui demander son avis pour le transporter jusqu'au lac, mais heureusement cela semblait être également son idée, cela lui faciliterait donc la tâche. La vampire doutait que ce soit une bonne idée de faire marcher l'élémentaire, car sa jambe était bien trop amochée pour que la douleur soit supportable. Elle le fit donc monter sur son dos, encore une fois sans lui demander son avis, pour le porter jusqu'au lac. Avec la force dont elle était dotée, elle le porterait sans problème jusque-là.

- Je ne vous laisserai pas risquer d'endommager vos blessures qui semblent déjà très graves.

Elle espérait, durant le trajet, que la persuasion dont elle avait usé sur son homologue vampire avait fonctionné et durerait le temps qu'elle puisse emmener Ahvock au lac. S'il s'acharnait à vouloir continuer le combat, Eleonor ne se donnait pas gagnante, déjà avoir utilisé son pouvoir l'avait épuisée. La vampire était par contre soulagée d'être en présence d'un élémentaire d'eau dont le sang n'était pas attirant du tout. Cela lui permettait de pouvoir se concentrer sur chacun des pas qu'elle faisait, bien que, comme dit plus tôt, utiliser son pouvoir stimulait chez elle ses envies de violence et de sang. Elle se concentrait de son mieux afin de ne pas perdre contact avec la réalité, bien qu'il lui était impossible de retrouver le niveau de concentration qu'elle avait avant l'usage de son pouvoir. L'instant où elle aperçut le lac fit naître en elle un léger sentiment d'euphorie, car elle sentait que c'était la fin des problèmes. Il fallait seulement souhaiter qu'Ahvock guérisse entièrement de ses blessures et ne garde pas de séquelles graves, même s'il était salement amoché. Eleonor continua à marcher jusqu'à entrer dans le lac, l'élémentaire toujours sur son dos. Elle le laissa se détacher d'elle pour plonger dans l'eau et s'imbiber lorsqu'elle était elle-même immergée jusqu'aux hanches. Puis elle recula sur la berge, afin d'observer le processus de guérison sans en être trop près, voulant lui donner son espace. Lorsqu'Ahvock revint vers elle, un dernier problème lui vint à l'esprit: elle avait donné l'ordre à un de ses semblables de s'exposer au soleil, et cela causerait bien sûr sa mort. Elle ne voulait pas cela. C'était la panique et la douleur qui lui avaient fait proférer de tels ordres, mais elle ne pouvait pas se résoudre, peu importe ce que ce monstre sanguinaire leur avait fait subir, à le tuer. Ce n'était pas elle, elle ne résonnait pas comme ça.

- J'ai… j'ai un pouvoir qui me permet de persuader n'importe qui de faire ce que je veux. Et ce soir je l'ai utilisé sur le vampire qui nous a attaqués… Le problème c'est que je lui ai ordonné d'aller s'exposer au soleil, qui devrait d'ailleurs se lever d'ici peu. Je crois que nous avons une bonne marge de manoeuvre, et si vous êtes d'accord je propose d'essayer de le retrouver pour l'empêcher de se suicider. Je ne veux pas être responsable de sa mort, ni de celle de qui que ce soit. Alors, si nous cherchions…

La vampire cessa de parler. Elle apercevait, à plusieurs dizaines de mètres d'elle, éclairé par les reflets de la lune, le vampire qui les avait attaqués plus tôt se tenir debout sur un rocher. Elle était soulagée qu'il ne soit pas allé trop loin. Au fond le lac était l'endroit exposé le plus proche du point où elle lui avait donné son ordre. Petite particularité… l'homme était entièrement nu. Eleonor détourna le regard sur le coup, mais décidé à ne pas le laisser ainsi, elle s'autorisa à poser le regard sur lui, puisqu'il le fallait bien. En tant que médecin, il aurait été surprenant qu'elle fasse un cas de sa nudité, elle y était habituée, et se doutait que ça serait le cas d'Ahvock également. Il s'agissait encore là d'une des conséquences étranges de son pouvoir. C'est vrai qu'elle lui avait demandé de s'exposer au soleil, et en faisant cela il lui obéissait parfaitement. La prochaine fois elle se rappellerait d'être plus spécifique dans ses ordres. La vampire le pointa du doigt:

- Il est là! Il suffira de le frapper suffisamment fort et il sortira de son état de torpeur. Mais il redeviendra alors conscient de ce qui se passe autour de lui. Je ne sais pas s'il gardera un souvenir du moment où il était sous mon emprise, mais il faudra être prudent et prévoir de sa part n'importe quelle réaction. Je pourrais compter sur vous pour le calmer s'il s'énerve?

La vampire savait bien que, aussi belliqueux que ce vampire puisse être, il ne serait probablement jamais assez fou pour s'attaquer à un élémentaire dans son élément. Ahvock, sous sa forme élémentaire, devait être tout puissant, une force de la nature à l'état brute, et il devrait sans problème pouvoir calmer les ardeurs de ce sanguinaire si l'envie lui venait de s'en prendre de nouveau à eux.

- Alors, vous voulez le remettre dans la réalité? Je vous laisse l'honneur, dit Eleonor dans un demi-sourire.

Il était impressionnant de voir en direct devant soit la guérison d'Ahvock. C'était avec stupéfaction qu'elle vit ses membres se liquéfier dans son élément, il n'était plus qu'une lueur, du moins c'était le raisonnement d'Eleonor. Elle le suivit du regard jusqu'à sa sortie du lac, fasciné par les pouvoirs qui se manifestaient devant elle. Il y avait si peu de choses qu'elle comprenait de l'univers. Cet homme, simplement remis dans son élément, semblait déjà aller beaucoup mieux, et il se rhabilla tandis que la vampire, comprenant son intention, regardait ailleurs. Sans trop se soucier de la réaction qu'elle pourrait avoir le médecin peu scrupuleux alla droit à la blessure que notre vampire avait au ventre, soulevant son chandail sans lui demander son avis. Sur le coup elle eut un mouvement de recul, mais ils étaient entre collègues après tout, et elle savait bien qu'il ne chercherait qu'à l'aider. Le contact de l'eau froide qui engourdissait sa douleur était fort plaisant à ressentir. Il y avait également un effet anesthésiant qu'Eleonor avait du mal à identifier, et en même temps la blessure rétrécissait presque à vue d'oeil. Sa guérison était déjà entamé, et maintenant sa plaie était peu à peu remplacé par de la peau neuve, tout comme celle de son bras. La douleur se dissipait lentement, et de toute façon Eleonor avait déjà enduré pire, et faisait tout en son pouvoir pour ne pas y penser, sachant bien que ça ne valait pas la peine de se préoccuper de blessures qui étaient, pour elle, assez superficielles. Elle fut surprise de la réponse d'Ahvock à sa proposition. Elle l'imaginait déjà donner une bonne baffe à l'impétueux vampire qui lui avait causé des blessures qui aurait pu être mortels et des souffrances qui, si on se fie aux cris déchirants qu'il poussait seul au creux de la nuit un peu plus tôt, devait défier la compréhension et l'imaginaire. Au lieu de quoi il préférait lui déléguer la tâche. Puisque cette situation était de sa faute, Eleonor ne voyait aucun motif qui justifierait un refus de sa part, et puis elle n'était pas tout à fait contre l'idée de taper sur ce vaurien. Parce que c'était nécessaire, entendons-nous! Notre vampire accepta donc l'ingrat boulot, impressionné par le calme et le pacifisme dont son comparse faisait preuve. Il n'y avait aucun doute, Ahvock était foncièrement bon, tellement qu'il en devenait incapable de se venger.

La chirurgienne contourna le lac, ramassa les quelques vêtements que l'homme avait laissé, et s'approcha de lui, vampire toujours nu, au regard creux et persistant sur le lac. Il était en état de transe, et ne semblait pas vraiment conscient de l'endroit où il se trouvait. Aussi menaçant qu'il ait pu paraître un peu plus tôt dans la soirée, l'être sanguinaire était maintenant parfaitement vulnérable, et cela provoquait chez Eleonor un certain sentiment de pitié. En faisant fi, elle le gifla aussi fort qu'elle le pouvait et le malotru tomba lourdement contre le sable. Ne sachant pas comment il était censé réagir, Eleonor ne fut pas trop surprise de le voir se mettre en colère. Il devait être désorienté, et elle se doutait que s'il était dans une telle fureur, c'est qu'il devait se rappeler de ce qui s'était passé. Cherchant à le calmer au plus vite, la vampire lui balança ses vêtements, espérant que le premier réflexe de cet homme serait de se rhabiller avec pudeur.

-Allez rhabilles-toi et fout le camp. À moins que tu ne veuilles que je t'en persuade?

Certes ce n'était pas tellement le genre de notre vampire d'avoir de tels propos, et on voyait là les conséquences de l'usage de son pouvoir, qui la rendait un tantinet moins polie et un peu plus rude, mais le but de cette menace était de faire comprendre à leurs assaillant qu'elle n'hésiterait pas à faire de nouveau usage de son pouvoir s'il leur cherchait encore des embrouilles. Évidemment, elle mentait, parce que déjà l'usage de persuasion n'avait pas eu de très belles conséquences chez elle, et elle le ressentait. Et puis de toute façon elle avait un solide gaillard aqueux derrière elle qui ferait office de garde du corps et garantissait sa sécurité. Or le vampire ne disait toujours rien et, ignorant le linge qui traînait à ses pieds dans le sable mouillé, se jeta sur elle. Ses réflexes lui firent mettre ses bras devant elle, et elle ferma les yeux afin de se parer au choc qui ne survint pas. Comme elle l'espérait, Ahvock avait arrêté l'homme dans ses gestes et le maitrisait parfaitement. C'était comme si leur agresseur n'avait pas prit conscience qu'il y avait tout près un élémentaire dans son élément. Ivre de rage, l'idiot se mit à se débattre en criant. Eleonor soupira:

-Si tu continues à te débattre de la sorte, je ne crois pas qu'il va te relâcher…

L'homme continua à tenter de se libérer un petit moment, mais voyant bien que ses efforts étaient inutiles, il se laissa choir dans le cylindre d'eau qui l'entourait. Enfin déposé sur le sol, l'homme remit ses vêtements (enfin!) et, reculant d'abord prudemment à petits pas, leur adressant un regard meurtrier, se retourna brusquement et s'enfuit à la vitesse que sont capable d'atteindre les vampires. C'était un bien drôle de personnage auquel avaient étés confrontés nos deux protagonistes, et également franchement stupide, mais passé cette mésaventure, la seule chose que la chirurgienne désirait était de pouvoir rentrer chez elle se changer au plus vite, de façon à pouvoir retourner à l'hôpital avant le lever du jour, qui n'allait pas tarder si on se fiait au mince changement de luminosité dans le ciel. Elle avait une bonne marge de manoeuvre, mais voilà elle ne pourrait pas trainer en route. Se souvenant qu'elle avait plus tôt accepté de reconduire Ahvock jusqu'à l'orée de la forêt, elle déclara:

-Voulez-vous toujours sortir de cette forêt? Je vais moi-même en ville de toute façon, je dois rentrer chez moi avant le lever du soleil et, étant donné les effets dévastateurs des rayons de cet astre sur ma peau, je ne prendrais aucune chance et partirait maintenant.

Elle affichait un mince sourire, et sur son visage on voyait un mélange de soulagement, de fatigue et de contentement. Quoi qu'il advienne elle se promettait d'aller aux sources chaudes et de le revoir, en espérant qu'il n'advienne aucun évènements violents la prochaine fois.

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