"On est tous unique", dixit celui qui n'a jamais vu son sosie. [Alissa]

Fini! Elle avait enfin fini! Son dos était en compote, mais ce n’était rien comparé à ses pauvres pieds. Elle avait fait la grave erreur de porter une nouvelle paire de bottes sans avoir pris le temps de les essayer ou d’y habituer ses pieds. Résultat, après les trois heures d’aller-retour entre les tables, les chaises, le bar, eh bien elle n’avait qu’une envie : balancer ses bottes à l’autre bout de la salle et prendre un bon bain bien chaud. En réalité, elle aurait aimé avoir un massage, mais à trois heures du matin elle pouvait toujours rêver. Au lieu de se précipiter vers la salle du personnel, elle s’assit lourdement à une des chaises du bar. Des regards de collègues et clients amusés la suivaient et elle les maudit entre ses dents, leur souhaitant de faire cette désagréable expérience avant de sourire bêtement.
C'en était fini de porter des nouvelles bottes sans y avoir habitué ses pauvres petits pieds qui la faisaient souffrir. Elle aurait aimé que le service du soir soit terminé, mais ce n'était pas encore le cas! Malheureusement pour elle. Mais pour le moment elle avait sa pause et elle comptait bien en profiter.


Du plat de la main, elle frappa le bar, attirant l’attention sur elle. Elle avait bien bossé, le bar avait été bondé, mais du coup même parler lui demandait, pour le moment, un effort qu’elle ne pouvait et ne voulait pas fournir. Comme elle était de la maison, elle avait son ardoise et ses habitudes étaient connues aussi. Eh oui, le café était sans nul doute sa drogue. Elle ne fumait pas, ne se droguait pas, elle n’avait d’ailleurs jamais essayé et ne comptait pas essayer. Il lui faudrait bien une heure et demie pour rentrer chez elle vu que la nuit il n’y avait que trop peu de transport. Heureusement pour elle, à Avventura il y en avait, dans quelques villes ils refusaient de changer des habitudes vieilles comme le monde, refusant d’avoir à intégrer ces créatures surnaturelles à leur train-train quotidien. Tout ça pour dire: même à onze heures et quelques, un café était plus qu'envisageable. Le cappuccino arriva rapidement, et cette fois-ci, elle ne retint pas son sourire. Pas un de ces faux sourires qu’elle réservait à la clientèle, non, un sourire sincère et chaleureux. Un sourire d’une jeune femme réconfortée dans l’idée qu’elle avait ce plaisir-là qui lui était offert. Les pieds endoloris n’étaient plus qu’une vieille histoire, elle les avait déjà oubliés. Même si elle ne sucrait pas, elle aimait tourner sa petite cuillère dans la tasse, elle se brûlait souvent en buvant un café trop vite et tourner la cuillère lui permettait de se concentrer sur un petit geste anodin, et surtout lui permettait de bloquer le monde extérieur pendant un bref moment. Elle fixait la boisson qui tournait lentement. Son véritable pêché mignon, sa drogue dure, c’était les macchiato et cappuccino, ceux que l’on servait dans de grands verres et qui laissaient voire toutes ces nuances de marron et de blanc.

Elle porta ce grand verre à ses lèvres, une petite gorgée du liquide chaud suffit à la ragaillardir un minimum. Elle se redressa et se tourna lentement vers la salle, estimant le nombre de clients qu’il y avait, une déformation professionnelle. Son regard bondissait de personne en personne, à cette heure-ci il y avait surtout des habitués et la plupart, des vampires. Elle prenait soin de ne pas les dévisager, mais prenait tout de même des notes mentalement essayant de mémoriser ces différences entre les humains et les vampires. Avant qu'elle ne puisse faire le tour de la salle, un petit coup de poing gentil mais ferme la ramena aux mondes des serveuses. L'heure avançait tellement vite pendant les pauses! Elle finit sa boisson, sans trop se presser ne voulant ni se brûler, ni tacher son polo blanc. Un polo blanc et un pantalon noir, rien de plus simple, la tenue exigée pour son travail et pourtant la femme était mise à son avantage car le manque de couleur rehaussait le rose de ses cheveux et le violet de ses yeux. Les lumières du bar jouaient parfois des tours, si les spots rouge étaient allumés on pensait qu'elle avait et les yeux et les cheveux rouge. Mais ce soir aucun groupe connu ne jouait, donc la lumière blanche normale éclairait les gens présents.

Elle reprit son vieux-jeu de calepin - eh oui la moitié des serveurs avaient ce nouveau gadget électronique hyper pratique, mais ces fameux gadgets étaient réservés aux pus anciens employés et employés du mois - et son crayon à papier qu'elle se retenait de mâchonner distraitement. Elle n'avait même pas besoin de vérifier d'un coup d'œil ses tables pour savoir qu'elles étaient occupées. Elle se dirigea vers une des tables qui était libre quelques instants avant. Sourire Colgate, étincelant, blanc, irréprochable, factice.

- Que puis-je pour vouuus...

Ce qui allait être une question normale finit assez bizarrement, et pour fait, elle parlait à son sosie. Elle aurait très bien pu parler à un miroir, cela aurait été pareil. Sauf qu'elle ne portait pas les mêmes habits, et qu'elle n'était pas coiffée pareil, et... Et... Et quoi? Rose était tellement étonnée de voir cette femme face à elle, que les multiples questions qu'elle se posaient ne parvenaient pas à se bousculer dans sa tête. D'où venait-elle, qui était-elle, depuis quand était-elle là? Non, rien de tout cela, juste un ébahissement total. Un air ahuri des plus débiles qui soit. N'importe qui aurait ri ouvertement en voyant la tête qu'elle tirait. Combien de temps resta-t-elle comme ça? Une fraction de seconde? Vingt secondes? Trois minutes? Elle n'en savait rien, car elle ne savait plus rien justement.

Elle entendit parmi le murmure continuel de la salle, une autre voix, qui prit le dessus. Cette voix féminine était également plus proche. La serveuse distingua le nom d'une boisson et griffonna cette commande sur son carnet, s’arrachant malgré elle à la contemplation de cette femme. Elle était encore légèrement sous le choc et de toutes les idées et questions qu’elle avait, la plus inattendue de toutes fit surface.

* On dit que l’on ne sait pas vraiment quel est le son de notre voix car elle résonne dans notre tête. Tout comme on dit qu’on n’arrive pas vraiment à voir à quoi on ressemble car on déforme sans le vouloir l’image que nous renvoie un miroir. Alors pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je suis en train de me regarder ? *

Rose saisit le billet, ne comprenant pas pourquoi elle le lui tendait avant qu’elle n’ait sa consommation, et comme pour répondre à cette question qu’elle se posait son sosie lui répondit. Elle fit demi-tour, elle avait oublié de faire son sourire dentifrice, elle n’avait fait que hocher la tête. Le bruit des talons de ses nouvelles bottes noires étaient étouffés par le bruit de la musique du premier groupe de la soirée qui venait d’arriver, ils ne tarderaient pas à mettre des spots vers le groupe, et le reste de la salle sera plongée dans le noir, laissant ainsi l’intimité à quelques couples si ceux-ci se sentaient la force de rester dans un coin de la salle. Ce bar était loin d’être un repère idéal pour les amoureux, mais trouver un endroit ouvert à cette heure en ville était assez dur et si un vampire voulait donner dans le romantique il n’avait que très peu de choix. Il y avait bien l’étage, cet endroit en plus d’être en hauteur, était luxueux.

- Bien, je reviens dès que je le peux. Si tu veux tu veux être plus tranquille on peut aller à l’étage.

Ouais, elle l’avait tutoyée. Mais elle n’avait pu s’empêcher de noter le passage rapide du vouvoiement au tutoiement de sa locutrice et Rose n’était pas le genre de femmes qui se donnaient des manières, d’autant plus quand elle bossait en tant que serveuse dans un bar où elle tutoyait la plupart de la clientèle.

Elle savait que le patron de la maison n’allait pas être content, d’autant plus qu’elle était nouvelle, mais ce billet allait sûrement commencer par le convaincre et la mention de Light allait sûrement bel et bien le convaincre. La jeune femme n’avait aucune idée de quoi on lui parlait, elle revenait tout juste de la campagne d’où les créatures étaient encore presque toutes mythiques. Les gens essayaient de supposer quelles pouvaient être les autres races encore existantes ou celles qui restaient mythiques. D’ailleurs, elle réprima un frisson en pensant que la plupart des jeunes adolescentes qui vénéraient encore ces créatures étaient des jeunes filles venues de la campagne qui ne savaient pas du tout à qui elles pouvaient avoir affaire. Elles s’habillaient en noir, se teignaient les cheveux en noir, se persuadaient qu’elles préféraient vivre la nuit, et une fois qu’elles arrivaient en ville, soit la moitié d’entre elles se faisaient elles se faisaient mordre, et ça si elles arrivaient à trouver les vampires avant que des petits voyous ne les trouvent et ne les rackettent ou ne fassent pire.

Mais pourquoi est-ce qu’elle pensait à tout ça ? Ça n’avait vraiment rien à voir avec ce à quoi elle aurait dû être en train de penser. Mais elle n’en avait rien à faire de ce à quoi elle aurait dû être en train de penser. Elle se pencha sur le bar, posa le billet dessus, mais gardait bien la main dessus. Elle se tourna vers la cliente et la désigna d’un léger signe de tête. On ne la voyait pas très bien d’où elle était, mais maintenant qu’elle l’avait vu, face à face, elle ne pouvait s’empêcher de se voir au loin. Apparemment, son boss fit le rapprochement et fronça les sourcils, comprenant le rapport entre cet argent et ce que Rose voulait faire. Il allait ouvrir la bouche, pour lui rappeler qu’elle était en service à tous les coups, mais la jeune femme le coupa net.

- Je ne l’avais jamais vue avant ce soir et elle m’a demandé de te transmettre un message. Et oui, même son patron elle le tutoyait, alors qu’elle ne bossait que depuis une petite semaine. Elle m’a dit, mot pour mot la Light de la ville souhaiterait te parler sans être interrompue. Il comprendra.

Il ferma la bouche aussi sec et lui fit signe d’aller la voir, après avoir pris le billet. Rose se demandait bien ce que pouvait être un ou une Light pour que ça ait cet effet-là. Elle se doutait bien qu’elle aurait des heures à rattraper plus tard, mais elle n’en avait rien à faire, une fois de plus. Elle exigea deux cocas, c’était pour son ardoise. Elle ne savait que prendre et avait donc commandé comme cette inconnue, elle se dirigea de nouveau vers la table, les boissons et les verres sur le plateau. Elle zigzagua entre les tables, son cœur battait vite, elle ne savait que penser de ce qui l’attendait.

Rose hocha docilement la tête, oui, elle préférait autant rester en privé, elle n’aimait pas tellement trop attirer l’attention sur elle et si elle bossait ici, elle ne voulait compromettre sa place en rien. Alors que les deux femmes se dirigèrent vers un endroit plus calme et à l’écart, la serveuse calculait déjà quels clients étaient assez éméchés ou assez sûrs d’eux pour « passer à l’attaque », en d’autres termes pour oser un affront en public. Elle dépasse un vampire et attendit que la main la touche, mais rien ne se produisit. Non pas qu’elle n’était pas contente, au contraire, mais elle était surtout étonnée. D’habitude ça ne ratait pas. Elle se tourna, curieuse et un sourire se dessina sur ses lèvres, sourire qu’elle entreprit de faire disparaître de suite, il ne fallait pas provoquer les clients. Tant bien que mal elle essaya de faire également disparaître la lueur d’intérêt qui brillait dans ses yeux.

La serveuse frissonna malgré elle, la voix qui lui rappelait tant la sienne venait presque de la clouer sur place tant elle était froide… et pleine de pouvoir presque. Et là, Rose eut une illumination ! Peut-être qu’elle avait affaire à un métamorphe qui ne prenait pas une apparence animale, mais humaine ! Elle était soulagée d’avoir percé à jour cette énigme. Elle se sentait bien mieux et sentait qu’elle allait pouvoir profiter de cette pause. Mais aussitôt une autre idée vint la titiller. Qu’est-ce qu’un métamorphe pouvait lui vouloir ? Pourquoi prendre son apparence. Elle n’était personne dans cette ville. Light c’était l’anglais de lumière, une appellation des plus intrigantes quand on prenait en compte que les créatures mystiques étaient généralement mal vus.

* Patience, tu les auras tes réponses… *

La jeune femme s’arrêta net devant une des tables de l’étage qui était réservé aux clients les plus riches. A l’écart, dans un coin, hors de vue et de portée d’oreille… pour les humains tout du moins. Elle désigna la table et posa les boissons sur la table et versa le contenu des bouteilles dans les verres. Rose avait pris deux pailles. En réalité elle adorait les pailles et elle mit une paille orange et rose dans son verre, mais elle trouvait ça malpoli de ne pas proposer une paille à la Light, qui restait après tout une cliente.

- Qu’est-ce que j’aimerai pouvoir faire ça ! Enfin, si je faisais ça, je me ferai sûrement virer.

Rose grimaça, il était tout de même étrange d’avouer qu’on se ferait virer si on était brusque avec un client qui se montrait grossier et malpoli. Elle haussa les épaules, ce n’était pas vraiment le sujet dont elle voulait traites. Elle s’assit avec soulagement, se retenant de défaire les longues fermetures éclair de ses bottes, si elle faisait ça, elle finirait par les retirer.
Elle ne se soucia pas de lancer la conversation, elle n’avait rien à dire. Des questions, elle en avait, et cela ne ferait que rallonger la durée de cette conversation. Mais elle préférait entendre ce que son sosie pouvait bien avoir à dire, elle répondrait peut-être d’elle-même à des questions en lui racontant son histoire.

- Alissa Channing…

Si elle avait répété le nom ce n’était pas pour donner un effet d’écho, mais pour s’assurer qu’elle allait se rappeler de son nom. Mais le reste de la phrase avait bien imprimé le cerveau de la jeune femme, « actuellement » et « il y a quelques années ». Donc cette personne n’était pas ce qu’elle semblait être. Pas besoin d’être un génie pour le déduire. Mais Rose fit preuve de patience, chose assez rare et extrêmement compliquée pour elle, et pourtant elle ne le regretta pas car Madame… ou Mademoiselle peut-être Alissa Light Channing continua à lui faire part de ce qu’elle était.
La serveuse fronça les sourcils en entendant la suite, elle ne savait rien, elle non plus ? Elle émettait une hypothèse et parlait de faire des recherches. Au fur et à mesure qu’elle lui faisait part de ses suppositions, Rose devenait de plus en plus incrédule. De la même famille ? La Révolution !

Rose ne savait que dire, ni comment réagir, son scepticisme elle ne chercha pas à la dissimuler car elle était ce genre de personne qui disait ce qu’elle pensait. Elle sirota le coca et joua avec la paille, la tournant dans le mélange. Elle fixait la surface de la boisson, prenant le temps d’absorber ces informations nouvelles et surtout des plus troublantes. Mais avant tout, Rose allait mettre une chose au point. Elle leva la main et déclara un sourire aux lèvres :

- Interdiction de me vouvoyer, qu’on soit de la même famille ou non. Croyez-le ou non c’est ce qui me trouble le plus en ce moment, d’autant plus si tout ça est vrai. Me faire vouvoyer par une ancêtre qui a vécu la Révolution.

L’idée l’amusait réellement, des gars qui ne la connaissait ni d’Adam, ni d’Eve se permettaient non seulement de la tutoyer, mais lui donnaient des claques sur son fessier à longueur de soirée, et voici qu’elle se ferait vouvoyée… Elle hocha la tête, l’idée la faisait vraiment sourire. Elle pencha la tête et fixa cette fameuse Alissa. Elle avait l’air on ne peut plus sérieuse, et elle avait une aura autour d’elle, elle dégageait quelque chose qui ne pouvait que prouver qu’elle disait vrai.

- J’aurai dû m’appeler Ambre, mais au moment de ma naissance mes parents ont opté pour Rose. Ma mère, c’est Opale, sa mère était Hyacinthe en hommage à mon arrière-grand-mère qui s’appelait Jacinthe, et sa mère s’appelait Iris. C’est Iris qui a instauré cette règle de nom lié à la Nature. En plus de notre prénom on a une autre ressemblance.

Rose sourit alors que d’un mouvement de tête elle dégageait ses cheveux, son attention retourna à son verre, le contenu de celui-ci et de la paille qu’elle continuait de tournoyer lentement. Elle était en train de calculer, sa grand-mère était née au début du siècle, au début des années 20. Après elle ne connaissait rien d’autre que le prénom de ces ancêtres, mais on était encore bien loin de la révolution. Sa mère ne lui avait jamais parlé ou montré d’arbre généalogique, oui, il faudrait faire des recherches pour en savoir un peu plus. L’étincelle qui animait le regard de la femme en disait long sur ses véritables sentiments, bien qu’elle soit perdue, elle voulait savoir ce qui se tramait, l’idée d’avoir retrouvé un ancêtre comme ça était quasi nulle… et qui lui ressemblait qui plus est ! Rose se reprit, non c’était bien elle, la petite serveuse qui ressemblait à cette femme qui était plusieurs fois centenaire. Tout ça promettait !

- Et qu’est-ce qu’une Light ? Je sais ce qu’un vampire et un lycan sont, mais je n’avais jamais entendu parler de Light avant ce soir… je reviens juste à Avventura, à la campagne on n’entend pas trop parler de tout ça.

Elle n’arrivait pas à croire qu’elle prenait la campagne comme excuse pour ce manque de culture G, mais tant pis, car c’était la vérité après tout.

Rose remarqua le regard circulaire que lança Alissa, la jeune femme se demanda si ce qu’elle allait lui dire était important, si cela devait rester secret. Elle ne pouvait voir ni sentir de bulle étanche puisqu’elle était dépourvue de pouvoirs, mais pendant une fraction de seconde son cœur se resserra et elle eut une vague pensée qu’elle était à l’abri. Elle se décontracta naturellement, ses épaules et son dos se décrispèrent et elle était toute ouïe. Elle se contenta de hocher la tête avec satisfaction face à toutes ces explications qui lui furent données. Si elles avaient réellement un quelconque lien de parenté, elle pouvait être fière. Elle essayait d’imaginer cette scène que lui dépeint la Light, la ville qui tombait dans le noir, un ange qui brillait, qu’est-ce qu’elle aurait donné pour être là et photographier l’évènement !

Elle ne cachait pas son regard de stupéfaction, Alissa avait déjà pu la contempler plus tôt de toutes manières, pourquoi ferait-elle des manières maintenant ? Et elle ne cacha pas non l’envie et l’admiration. Elle sentit son cœur battre de manière irrégulière, il n’y avait pas à dire, elle était magnifique ! L’aura, la lumière, tout ce qu’elle dégageait était intense, reposant. Elle ne trouvait pas les mots pour le décrire. Elle avait du mal à se ressaisir. Elle fronça néanmoins ses sourcils après un moment, comment cela se faisait-il que personne ne relevait rien de cet incroyable spectacle ? Quel artifice les dissimulait ? Mais avant qu’elle ne songe à poser sa question la voix qui semblait de cristal maintenant retentit, lui proposait de toucher ses ailes. Les yeux de la jeune femme brillaient de mille feux, et on pouvait sûrement y voir le reflet de son aïeule.

- J’espère que ce n’est pas malpoli, car j’en ai drôlement envie.

Rose était toujours un peu décalée. Les formules habituelles de politesse, elle les connaissait et les employait, mais elle n’aimait pas ce qui était redondant, le train-train l’agaçait et elle répondait toujours ou engageait une conversation de manière détournée et plutôt intéressante, chose qui faisait que soit elle amusait o intriguait quelqu’un, soit qu’elle passe pour une folle ou une demeurée.
Elle se leva, contourna la table et ses longs doigts blancs se rapprochèrent lentement des ailes. Elle visait le duvet qui protégeait les grosses plumes juste au niveau de ces gros os. Elle ne tremblait pas malgré l’excitation, car elle était déterminée de faire ce que sûrement peu avaient fait avant.
Elle fut un peu déçue, elle eut l’impression de traverser le duvet. Était-il si soyeux que ses gros doigts de brute ne pouvaient le toucher et le sentir ? Elle s’y reprit, se concentra de toutes ses forces, elle voulait savoir ce que cela faisait de toucher ce duvet. Ses doigts effleurèrent le duvet, trop fin et trop doux pour elle, elle le sentait à peine, alors, déçue, elle décida qu’elle voulait au moins se souvenir du contact des ailes, ce souvenir étant trop fugace. Elle caressa une des longues plumes qui était bien plus matérielle. Mais il y avait encore cette sensation qui la perturbait et la décevait.

- J’ai l’impression que les anges sont trop bons pour qu’on puisse vraiment les comprendre ou pour qu’on parvienne à saisir les nuances. C’est comme si je passais à moitié à travers de l’essence même.

Ses doigts picotaient agréablement là où elle avait frôlée les plumes et le duvet, une chaleur agréable envahissait le bout de ses doigts et se répandait dans le reste des doigts, puis dans la main. Elle s’arracha à la contemplation des ailes pour retourner son regard sur la femme, elle avait honte d’un coup. Elle ne pouvait être que fière de qui cette femme était, et elle avait l’impression de n’être rien à côté. Elle se dirigea de nouveau vers sa place et finit de boire sa boisson, remuant ses pensées dans tous les sens, essayant de trouver quelque chose qui pouvait rendre cette femme fière d’elle.

- Ou alors c’est juste moi…

Elle revenait à cette pensée qu’elle avait exprimée à voix haute plus tôt. Elle disait que les gens, « on », ne pouvaient comprendre les anges. Mais elle se demandait à présent si ce n’était pas juste elle, petite serveuse de bar, photographe amateur, écrivain en herbe, qui ne pouvait comprendre cela. Suivant elle-même son raisonnement, elle parvenait sans mal à se comprendre. Après, il était moins évident pour quelqu’un d’autre de suivre des bribes de phrase qui étaient des maillons différents d’une même chaîne de pensée.

Rose n’arrivait pas à croire ce qu’il se passait. Cinq minutes plus tôt elle aurait ri au nez si quelqu’un lui avait dit qu’ils existaient des Light qui ressemblaient à des anges. Vingt minutes plus tôt elle n’aurait pas cru qu’elle allait être ravie d’avoir encore du temps devant elle au bar. De toute sa vie elle aurait jamais imaginé qu’elle puisse tomber sur quelqu’un qui lui ressemblait étant donné que sa mère avait donné naissance à deux enfants ce jour où elle était née et que même étant jumelle, elle n’avait jamais trouvé quelqu’un qui lui ressemblait.
Elle qui pensait avoir tout entendu, oubliait qu’elle n’avait pas tout vu. Lorsqu’elle sentit l’étreinte spontanée et sincère elle en était chamboulée et elle rendit cette embrassade du mieux qu’elle put, heureuse, à son tour d’avoir trouvé un repère. Elle sentait les ailes l’entourer et les plumes toujours aussi soyeuses la caresser. Elle compatissait avec ces personnes qui avaient vu ces ailes mais qui n’avaient jamais pu constater leur douceur infime.

- Tata ça fait vieux-jeu, mais j’aime bien Tatie ! Par contre je veux bien savoir quelle crème préserve aussi bien des aléas du temps.

Elle ne savait que répondre à ce murmure presque inaudible, d’une femme seule. Rose avait le cœur serré en pensant qu’il devrait être interdit de souffrir de solitude et de séparation, elle ne le savait que trop bien. Mais elle balaya d’un geste ce qu’elle venait de dire, même si c’était aussi sincère que l’embrassade qui précédait.

- N’est heureux, que le fou qui ne sait dans quoi il s’engage. J’ai un caractère digne d’un troll, les manières d’un lutin et le parler franc. Rien à voir avec la bienséance j’en ai bien peur.

Elle s’amusa à observer la salle, on ne semblait pas les remarquer et ce détail la fascinait, mais, bizarrement ce n’était pas de cela qu’elle voulait parler. Elle avait envie de rattraper le temps perdu, elle voulait savoir ce que ça faisait de voir les époques défiler, les coutumes changer, les inventions et innovations arriver. Mais cette dernière phrase l’en dissuada, elle ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie.

- J’aimerai adopter un chaton ou un chiot, mais je ne sais lequel choisir.

C’était bête. Puérile même. Mais ces détails qu’elle pouvait partager avec sa mère ou sa meilleure amie, elle ne pouvait le faire étant seule à Avventura et au lieu de leur demander l’avis elle tenait en sa tête des débats avec elle-même. Et puis elle n’avait pas envie qu’un silence lourd et pesant s’installe et c’était sûrement sa manière simpliste de montrer à sa Tatie Alissa qu’elle la considérait comme quelqu’un de proche.

Humour et sérieux. Solitude et compassion. Tendresse et fermeté. Après deux siècles on savait sûrement mieux gérer son caractère et on savait d’user de tout trait de caractère pour faire passer n’importe quelle message, la jeune femme n’en ressentait que plus de joie, d’intérêt et de respect pour cette aïeule.

- Pourquoi pas ?

Cette réponse des plus clichés était pourtant bien simple et résolvait de longues heures d’explication, d’autant plus qu’elle n’avait plus envie de travailler à présent. Mais il fallait bien qu’elle gagne sa vie et qu’elle arrive à mettre un peu d’argent de côté si elle voulait vraiment se trouver un appartement autre qu’un simple studio… et éventuellement un animal de compagnie.

- Plus sérieusement, ton avis non seulement m’intéresse, mais m’aiderait. Enfin, je sais bien que vu les circonstances actuelles ce serait irréfléchi de prendre un animal, mais, je me sens un peu seule depuis que j’ai emménagé ici. Enfin, je ne peux plus dire ça maintenant hein ?

Il fallait bien qu’elle aussi soit un peu sérieuse et honnête, mais cela ne l’empêcha pas de lui lancer un clin d’œil à la dernière question qui était rhétorique. Elle regarda autour d’elle, consciente que quelque chose avait changé, elle semblait avoir réintégré le bar. Elle soupira, posa ses mains sur la table et s’appuya dessus pour se relever. Elle souleva sans peine le plateau et en un rien de temps les deux verres vides étaient posés dessus, prêts à être ramenés à leur propriétaire qui les laverait.

- J’ai un emploi du temps assez aléatoire, mais pas si chargé, donc ça serait facile de trouver un moment pour se revoir… et ailleurs qu’à mon lieu de travail, comme ça je pourrais poser toutes sortes de questions gênantes et embarrassantes…

Un petit sourire en coin fit son apparition, elle aurait aimé lui demander ce qu’il en était côté cœur en ce moment, mais elle ne voulait pas trop traîner et elle ne connaissait pas encore Alissa assez pour savoir si elle apprécierait ce genre de taquinerie, avec le recul des siècles on prend peut-être certains sujets plus au sérieux, d’autant plus quand on voit des êtres aimés vieillir et mourir.
Rose tapa du pied par terre avec un « Rho ! » elle s’insulta un petit coup mentalement dans la foulée, préférant ne pas choquer les oreilles de l’ange à côté d’elle. Elle posa son plateau et arracha un morceau de papier de son petit calepin et griffonna dessus ses coordonnées ainsi que son nom et prénom, juste au cas où.

- Voilà, je suis sûre que ma Tatie préférée sait se servir d’un téléphone même si elle n’en a pas.

La serveuse rit légèrement, déposa un baiser sur la joue la plus proche et s’en alla aussi vite que lui permit ses pieds meurtris qu’elle avait totalement oubliés.


[RP terminé, sauf si tu veux rajouter un petit quelque chose Alissa =D]