| par Invité Lun 10 Juin - 16:05
| Dans l'un des immenses couloirs du bâtiment du Cercle se promenaient nos deux protagonistes. Eleonor avait laissé Alias lui prendre le bras pour constater que ce serait elle qui se ferait guider. La recruteuse, une fois debout, arrivait à quelques centimètres sous l'épaule d'Eleonor. C'était vraiment une petite femme, surtout qu'Eleonor faisait tout juste 1m65. Néanmoins, cela n'enlevait rien à la prestance du personnage, ni à son autorité, et c'est sans broncher que notre vampire se laissait guider par une femme qui n'avait plus ses yeux. La vieille femme marchait d'un pas sûr, elle savait très bien où elle allait. Les gens s'écartaient sur son passage comme ils l'auraient fait face à un supérieur. Et Eleonor, qui la suivait docilement, regardait sans se lasser les murs immenses et austères qui l'entouraient, l'architecture ancienne et, non sans un certain désagrément au début, les quelques fenêtres ouvertes devant lesquelles elles passèrent sans que toutefois le contact avec la lumière ne soit suffisamment long pour brûler sa peau. D'ailleurs, et c'est ce qui finit par adoucir son humeur, le soleil commençait déjà sa longue descente vers l'horizon pour laisser place aux ténèbres et, puisque les nuages n'autorisaient toujours pas le moindre interstice de ciel bleu, le crépuscule faisait miroiter des reflets dorés aux rebords des nuages dont la teinte, en cette fin de journée, allait du rose carnaval au rouge sanglant. Après tant de grisaille, il aurait été difficile de ne pas apprécier un mélange si explosif de couleurs, mais la vampire reportait très vite son attention sur Alias, qui ne pouvait malheureusement pas assister à un tel spectacle, puisque ce n'était pas le moment de se laisser aller à ce genre de sensibilité. Les deux femmes marchèrent quelques minutes en silence et ne rencontrèrent à peu près personne dans ce secteur du bâtiment qu'elle n'avait jamais visité. Il semblait plus désert que les autres, mais c'était peut-être parce que la journée tirait à sa fin et que tous ces braves fonctionnaires et politiciens de la ville rentraient chez eux.
D'un coup son guide s'arrêta à un croisement, hésita, puis elles se dirigèrent vers la gauche. Il y avait là, accroché au mur, une série de portraits qu'Eleonor interpréta comme étant des représentants politiques. Alias libéra alors le bras de notre vampire et, tandis que toutes deux marchaient d'un pas plus lent, s'était lancé dans le récit des prédécesseurs et des actuels représentants du Cercle. La vampire avouait ne pas connaître grand-chose à cette organisation, et ce, bien qu'elle était installée dans cette ville depuis plus de quatre ans. Elle connaissait leurs idéaux qu'elle approuvait sans condition, mais la structure bureaucratique en elle-même lui échappait parfaitement. Voilà pourquoi elle écouta d'une oreille particulièrement attentive la vieille femme lui relater l'histoire des portraits qu'elle avait sous les yeux. Elle les observait tous avec beaucoup de curiosité. Chacun semblait doté des caractéristiques qu'elle croyait exigées par le Cercle chez ses représentants : de l'honnêteté, de la droiture morale et une grande dévotion envers la justice. Jusqu'à ce qu'elles ne s'arrêtent devant le portrait d'un homme que notre vampire reconnut tout de suite comme l'un de ses congénères. Des yeux aussi sanglants, un regard si mauvais, ça ne trompaient pas. Il n'y avait que ceux de sa race, pour lesquels elle éprouvait tantôt de l'indifférence, tantôt du mépris, pour avoir une allure aussi effrayante en photo. Et elle devinait bien que, même si son corps exsangue ne laissait transparaître aucun symptôme, la recruteuse savait son esprit troublé par la vue de cet homme, qu'elle lui présenta comme le dernier représentant des vampires. Un homme mauvais qui avait pourtant protégé la ville des rebelles. Il y avait quelque chose d'étrange dans son regard, outre la haine. Et aussi dans la courte histoire qu'Alias lui avait raconté à son sujet. Sa vie l'intriguait, elle continuait de scruter chacun des traits de l'homme en silence, au côté de son interlocutrice. Elle n'osait pas briser le silence, ni émettre de commentaire sur ce qu'elle voyait en cet homme, ou chez ceux qui lui avaient précédemment été présentés. Elle était en train d'assimiler l'information, ses opinions ne prendraient forme que plus tard. Ce fut encore une fois la recruteuse du Cercle qui osa faire raisonner sa voix dans le couloir implacable où elles se tenaient parfaitement seules. Alias s'était montré plus volubile que notre vampire ne l'aurait cru. Elle l'écoutait avec toujours la même concentration calme, bien qu'elle avait l'impression de se faire dire exactement ce qu'elle voulait entendre. En effet, peu d'humains réalisaient à quel point il était difficile de ne boire que du sang en bouteille jour après jour, et de vivre avec la peur constante d'un jour être victime de pulsions plus fortes que sa volonté. Cela représentait des efforts constants, un travail sur sa propre personne, et l'acquisition d'une certaine maîtrise de soi. Elle reconnaissait qu'elle devait ses bons agissements à la façon dont elle avait été élevée, et à sa longue vie qui lui avait permis d'acquérir expérience et savoir. D'ailleurs, il n'était plus question de vivre différemment, jamais elle ne comptait abandonner son régime, que certains de ses homologues qualifiaient de ''végétarien''. Cependant, les mêmes efforts devaient toujours être fournis, et elle appréciait que son interlocutrice les souligne.
La petite femme aveugle s'était tournée vers elle, la regardant sans la voir, tandis que la vampire fixait toujours le portrait. Ce qu'elle dit la mit en garde quant au danger du métier de représentante. L'ancienne représentante des lycans était morte, et la nouvelle craignait pour sa vie. Ce n'était pas normal. Un tel métier ne devrait pas être si dangereux! Et il y avait aussi ce Naome dont la haine sembla avoir causé sa perte. Comment? Le regroupement des rebelles lui revint en tête. Elle s'était toujours imaginé que ce bâtiment abritait des employés psychorigides exerçant des tâches bureaucratiques à longueur de journée d'une part, et de l'autre des représentants hauts placés qui, sans que cela ne paraisse, se la coulaient douce dans des fonctions un peu flous de défense des droits et liberté de chacun. Un boulot peinard mais nécessaire. Mais elle était en train de constater que les prédécesseurs et les représentants actuels du bâtiment ne semblaient pas mener une vie facile et que ce travail affectait leur vie à des niveaux autres que professionnels. Ce n'était pas le genre de travail que l'on exécutait pour ensuite rentrer chez soi et ne plus y penser. Parce qu'il y avait des gens qui étaient fortement en désaccord avec l'ordre établit, qui s'était réuni pour le renverser, et qui possédaient, pour certain, de phénoménaux pouvoirs. Ce qu'Alias ajouta laissa Eleonor pantoise un bref instant, le temps de digérer l'information, puis elle sourit. Ce n'était certainement pas un hasard si elle lui parlait de cette vieille rivalité lycans-vampires. Elle se rappela ensuite que, dans la lettre, la recruteuse avait dit avoir assisté à son procès. Cela n'enlevait cependant rien au fait qu'elle semblait connaître l'avis de notre protagoniste sur la question, alors qu'elle ne l'avait jamais dévoilé de façon explicite durant son procès, se contentant d'énoncer des faits concrets. "Elle ne me mentait pas alors.", pensa-t-elle impressionnée. Si elle avait été avec n'importe qui d'autre, Eleonor se serait contenté de répondre que pour elle il n'y avait pas de barrière entre les races. Une réponse rapide et élégante qui coupait court à tout débat; c'était ce que tout le monde voulait entendre. Mais ce n'était pas tout à fait vrai. Alias n'avait pas cherché à lui poser une question rhétorique, mais plutôt à la faire réagir. Et puisqu'elle s'était décidée à parler honnêtement avec cette femme, alors il était hors de question qu'elle lance la première phrase banale du genre qui lui traverserait l'esprit.
- La haine est parfois difficile à gérer, mais avec le temps on apprend à pardonner.
La vampire fronça alors les sourcils, avant d'oser déclarer :
- Je ne déteste pas les lycans, seulement ceux dont la soif de violence est incontrôlable. Et je pense la même chose de mes semblables, et de chaque être qui peuple cette terre d'ailleurs. S'attaquer à plus faible que soi et y prendre plaisir sans remords, c'est révoltant, je suis sûre que vous serez d'accord… Je crois que ce sont les circonstances qui m'ont fait les haïr dans un premier temps. Si les choses s'étaient passées autrement… Mais plus le temps passe, plus je réalise que j'ai tort de penser ainsi. Il n'y a rien qui justifie ma haine, ni les préjugés que j'ai pu avoir, ni les actes affreux que j'ai commis, et que je suis toujours incapable de m'expliquer.
C'était sa plus récente opinion concernant le sujet. Elle avait eu amplement le temps de cogiter là-dessus depuis que cet incident s'était produit, et avait conclu certaines choses. D'abord, et il fallait bien l'admettre, qu'il y avait chez elle une haine viscérale des lycans, qui était peut-être instinctive, peut-être apprise, et contre laquelle elle devait se battre, exactement de la même façon dont elle combattait sa soif de sang. Ensuite, que prôner la violence contre des êtres parce que, justement, ils étaient réputés violents, ne mènerait à rien et n'était pas digne de sa conduite. Enfin, que la meilleure façon d'aborder les problèmes était parfois d'essayer de comprendre l'autre et son point de vue. S'il y avait une représentante des lycans au ''coeur plus tendre qu'un lapereau'', pour citer Alias, alors c'était que certains membres de cette espèce étaient partisans du Cercle. Et elle avait eu d'autres preuves démontrant l'humanité de certains d'entre eux. Une seule aurait été amplement suffisante, mais il y en avait plusieurs. Eleonor rejoint la recruteuse au croisement. Elle se questionnait toujours sur ce travail qu'on voulait lui confier. L'idée qu'elle puisse devenir représentante des vampires lui avait effleuré l'esprit, surtout sachant que l'ancien représentant avait disparu. Puis elle s'était rappelé qu'elle n'avait aucune formation en politique ou en droit, qu'elle n'avait pas été le meilleur modèle aux yeux de la population dans les mois précédents, et que de toute façon ce devait être un poste plus difficile à obtenir que cela. Il fallait probablement faire plusieurs demandes soumises à un comité qui choisissait parmi une longue liste. C'était du moins ce qu'elle avait en tête, étant donné le fonctionnement des établissements de justice partout ailleurs. Mais l'Avventura, ce n'était pas comme partout ailleurs.
- On ne peut pas refaire le passé. Mais je suis déterminée à ne plus commettre les mêmes erreurs, et à changer pour le mieux.
Elle n'avait pas envie de brusquer cette vieille femme en lui demandant directement quel poste on comptait lui confier exactement, bien qu'elle était de plus en plus curieuse. En fait, elle aimait bien en apprendre davantage sur l'histoire de cette ville, en voir les différents acteurs, et elle sentait que la recruteuse lui ferait savoir ce qu'elle voulait en temps et lieu. |
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