Lorsque le destin se joue de nous... [PV Kyarra, Jilan et Maria Xerxes Ishika] [Terminé]

Elle avait débuté comme toutes les autres avant elle. Une nouvelle journée commençait pour le jeune homme et avec elle, le même rituel matinal: émerger d'un semblant de sommeil, dessiner un sourire sur ses lèvres pour ne pas inquiéter ses colocataires avec sa pâle figure, manger avec elle puis prendre une douche rapide avant de se rendre sur son lieu de travail. L'approche des fêtes lui permettait de se consacrer plus sereinement à son boulot de livreur, les cours ayant été annulés jusqu'aux prochaines vacances. Les derniers examens étaient passés avec leur lot de bonnes et de mauvaises surprises. Il faut dire qu'il n'avait pas trop eu la tête à se plonger dans ses révisions avec les récents événements qui s'étaient produits. S'il n'y avait pas eu les partiels, l'étudiant serait probablement resté cloitré dans sa chambre, en proie à la dépression. Sauf qu'en collocation, ce genre d'attitude avait tendance à inquiéter l'entourage et Natsume faisait de son mieux pour ne rien laisser paraitre des souvenirs qui le hantaient. Au final, c'est presque avec le coeur léger qu'il se rendait à la pizzaria. Au moins il pouvait se concentrer sur autre chose que les images de ses mains tachées de sang.
Mais depuis la fin de la matiné, aux alentours de 11h23, la petite pizzaria d'ordinaire si calme et paisible, était en pleine effervescence. Les clients ne cessaient d'affluer, à croire que l'approche tant redoutée du 21 décembre suscitait des envies de pizza à tous ceux et celles qui passaient à proximité de la pizzaria, et la situation prenait véritablement des allures de fin du monde. Pour ne rien arranger, l'un des serveurs avait eu un accident de la route alors qu'il se rendait à son travail et un autre ne s'était pas présenté, pour des raisons encore obscures. Etrangement, le garçon ne leur en tenait pas rigueur car entre les crises de son patron, tenaillé entre la colère et la joie de faire monter en flèche ses recettes du jour, et ce surplus de travail imprévu, il n'avait pas le temps de réfléchir et cela occupait toutes ses pensées. C'est machinalement qu'il exécuta ses commandes les unes après les autres. Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que le serveur porté disparu daigna réapparaitre et il ne se fit pas prier pour prendre immédiatement ses fonctions. Devant la tête qu'il tirait, Natsume se dit qu'il avait conscience que son contrat pouvait prendre fin à tout moment. S'il avait été à sa place, il ne serait pas venu. Pourquoi travailler comme un forcené si on savait que seul le licenciement nous attendait à la fin ?

Avec l'arrivée de ce soutien inattendu, l'agitation au sein de la pizzaria diminua un peu mais ils durent patienter jusqu'à la fin de la journée, ce moment précis où les rayons du soleil perdent peu à peu de leur intensité, pour que le rythme général du lieu ralentisse sensiblement. Pendant ce laps de temps, ils s'amusaient à se voir comme le centre de commandement inter-galactique, dernier rescapé d'une guerre perdue d'avance et le seul à pouvoir encore produire des pizzas... Qui a dit que les étudiants travaillant à mi-temps n'avaient aucune imagination ? C'était un moyen utile de tenir face aux remarques intempestives du gérant et les clients râleurs. Un rien était prétexte à exiger une nouvelle pizza: une rondelle de chorizo mal découpée, une pâte trop épaisse, trop de fromage sur une pizza quatre fromages... Natsume se désespérait de leur attitude. Comment pouvaient-ils agir ainsi ? Ne pouvaient-ils simplement pas apprécier leur pizza tranquilement ? Quand on savait ce que la vie pouvait vous réserver... Sa gorge se serra à cette idée. Finalement, le calme revint et les commandes s'enchainèrent de manière plus naturelle, disons, une à trois par demi-heure. Mais si l'étudiant remerciait qui le souhaitait pour lui avoir fourni autant de travail -il avait conscience qu'il n'empocherait pas le tiers de ce qui avait été gagné aujourd'hui mais qu'importe !-, il regrettait à présent que la pression redescende d'un coup. Pour un peu, ils étaient même trop nombreux pour prendre les commandes ! Il avait insisté auprès de son collègue de cuisine pour s'occuper de la caisse, rien que la sauce tomate lui donnait envie de vomir.

Il profita de l'absence momentanée de son patron, en pleine discussion avec l'employé retardataire, pour souffler un peu sans pour autant quitter son poste. Il n'était pas à l'abri d'un nouveau client même si l'obscurité grandissante dehors lui laissait présager qu'il n'en aurait plus pour longtemps ici. D'ici quelques minutes, son temps de travail pour la journée serait terminée, il céderait la place à l'un de ses collègues. Collègue dont l'arrivée se faisait attendre. Natsume espérait qu'il ne lui était pas arrivé quelque chose dans la journée ou alors il serait contraint de faire de nouvelles heures supplémentaires et il n'en avait pas tellement envie. Il estimait avoir suffisamment travaillé pour les jours à venir et en sachant que toute heure supplémentaire n'était rémunéré que partiellement... Il songea à cette nuit et aux actes qu'il avait commis. On lui avait fait comprendre qu'il devait apprendre à vivre avec, quelque soit le prix en retour. Mais cela ne faisait que renforcer la sombre idée qu'il nourrissait depuis plusieurs jours. Et si les prédictions d'Amarra étaient fausses ? Il ne lui restait pas beaucoup de temps... Cette chose gagnait de plus en plus de terrain sur lui et il devait y mettre un terme avant de recommencer. Il... La sonnerie de la porte d'entrée le tira de ses pensées et c'est avec un sourire maladroit qu'il reporta son attention sur le nouveau client. Ou la cliente semblait-il...

Tout avait commencé par une bousculade. Elle, jeune et insouciante, ne regardait pas où elle mettait les pieds, trop occupée à dévorer du regard les vitrines des magasins, sans oser jeter un coup d’œil aux prix de ses convoitises, devinant par avance que cela ferait voler en éclat tout le charme de Noël. Lui, d’humeur enjouée, ce qui, entre nous, ne laissait rien présager de bon pour la suite, l’avait remarqué de loin, comme s’il avait compris qu’elle serait son pion du jour. Alors qu’il aurait pu modifier sa trajectoire et laisser la jeune femme poursuivre sa route, il joua la carte de l’ignorance afin qu’elle lui rentre dedans. Au final, le Lightness lui évita tout de même une mauvaise chute, il aurait été bien dommage qu’elle passa ses fêtes de fin d’année, bloquée à l’hôpital, une jambe dans le plâtre. Retrouvant cette personnalité de comédie qui lui allait si bien, il prit un air désolé en lu attrapant le bras pour la redresser. Et lorsqu’il la vit prendre une teinte cramoisie et balbutier tant bien que de mal quelques mots en retour, il sut qu’elle ferait l’affaire. Encore une sotte qui croyait au prince charmant. Jilan se proposa pour lui porter ses colis, chose qu’elle ne refusa pas. Cela aurait pu sembler étrange que lui-même n’en ait pas, après tout, on était revenu à cette période de l’année où les gens se pressaient dans les boutiques pour acheter des cadeaux à leurs proches et amis mais dans le cas du jeune professeur, il n’avait pas de telles personnes dans son entourage. La seule avec laquelle il s’était entendu dès le départ, était cette louve. Enfin, le terme était peut-être exagéré, elle lui plaisait par son état d’esprit et son envie de tuer, rien de plus. Pour le reste, son tempérament impulsif dérangeait le Lightness mais venant d’une bête, cela ne le surprenait pas. Il l’imaginait bien débarquer chez lui pour squatter sa douche et vider la cafetière en dévorant ce qu’elle trouverait dans le frigo. Cela revenait, au final, au même prix que de lui offrir directement un cadeau pour les fêtes…

Il raccompagna donc la jeune inconnue jusqu’à chez elle, en jouant le parfait gentleman. Il lu évitait d’ailleurs de nouvelles dépenses inutiles. On avait beau le traiter de monstre insensible –ce qu’il avouait volontiers- il lui arrivait encore de faire quelques bonnes actions, calculées ou non. Etait-ce sa nature d’être de lumière qui reprenait le dessus ? Une fois arrivés et les politesses échangées, Jilan ne se fit pas prier pour courtiser la jeune femme. Il était son premier homme, cela se voyait dans ses expressions, sa gêne et ses vains efforts pour le repousser. Sauf qu’il n’avait aucune intention de repartir bredouille, elle était trop naïve pour qu’il la laisse tranquille. Son corps se mit à frémir de désir sous les caresses et les baisers du Lightness tandis que ses mains s’activaient à la déshabiller. Telle une princesse, il la porta à moitié nue dans sa chambre avant de l’étendre sous lui, dans le grand lit qui était le sien. Les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux, inondant la pièce d’une douce lueur et réchauffant leurs corps entrelacés. Faire l’amour en milieu de journée pouvait en choquer certains mais c’était l’idéal pour Jilan. Ils le firent plusieurs fois puis ils se séparèrent, comme sur un accord commun. Elle s’endormit contre lui et il la regarda dormir, n’éprouvant désormais plus rien à son égard. Tandis qu’il gisait là, immobile, sans voir défiler les minutes puis les heures, il se demandait pourquoi il détestait autant les humains et pourquoi les femmes parvenaient-elles à réprimer ses pulsions de tueur, ne serait-ce qu’un bref instant. A cause de Lily ? Devait-il admettre qu’il demeurait hanté par son souvenir ? De son incapacité à la sauver ? Il revit le visage de cette inconnue à qui il était venu en aide un soir dans une ruelle. Cette fois, il était arrivé à temps. Etait-ce là son moyen d’alléger le fardeau dont il s’était chargé lui-même ? Oui… Mais c’était aussi au travers des femmes qu’il s’était mis à détester l’humanité toute entière. Les siècles passés lui avaient appris combien l’esprit féminin était facile à manipuler, du moment qu’on lui offrait ce qu’il désirait.
Profitant du sommeil de la jeune femme, il se leva pour aller prendre une douche. Il n’imaginait pas sa charmante compagne d’un jour le lui refuser ou lui adresser la moindre remarque à ce sujet. A cet instant, elle devait sûrement rêver d’avoir trouvé l’homme parfait alors qu’elle faisait ses courses de Noël. Jilan laissa l’eau brûlante lui remettre les idées en place. Il avait agi sous un coup de tête, à présent il fallait une conclusion à cette histoire. Il n’avait encore rien décidé pour la jeune femme mais il n’avait pas l’intention de s’encombrer davantage d’une humaine. Il avait fait ce qu’il voulait avec elle, c’était le moment de passer à la suite. Le jeune professeur pesta : il s’était invité chez une jeune vierge –qui ne l’était plus- et il espérait encore trouver de quoi se laver ? Il abandonna l’idée du gel douche à la boite rose et au contenu plus que douteux qu’elle contenait pour se contenter de l’eau chaude. Il sortit et attrapa une serviette quand l’évidence le frappa de plein fouet. A agir de la sorte, faire comme s’il était chez lui, cela ne le rendait-il pas semblable à cette louve impulsive dont l’attitude sans-gêne lui déplaisait tant ? Cette brusque comparaison s’imposa dans son esprit et le mit de mauvaise humeur. Non pas parce qu’il ne l’aimait pas mais parce qu’il ne pouvait pas le nier ! Il jeta la serviette humide d’un geste rageur dans un coin de la salle de bain et revint dans la chambre pour y enfiler ses vêtements. Par chance, le bruit de la douche n’avait pas réveillé la jeune endormie. Jilan se dit que c’était le moment ou jamais. Se fiant une nouvelle fois aux capacités de son orbe, il la déposa près de la silhouette allongée sur le lit et d’un geste rapide, la fit pénétrer droit dans la poitrine de sa victime. La petite sphère exécuta sa morbide fonction pendant que son propriétaire s’habillait. Quand il remarqua que la respiration de la jeune femme s’était arrêtée, il rappela l’orbe à lui. Elle avait fermé les yeux pour ne plus jamais les ouvrir. Au moins elle était morte heureuse.

Sans un regard pour sa victime, il trouva facilement les bouteilles de gaz dans le petit local rattaché au reste de la demeure, local qui faisait office de garage. Il les ouvrit, déposa l’orbe à proximité, avant de quitter prestement les lieux. Il allait donner un peu punch aux festivités de Décembre grâce à ce feu d’artifice. Jilan s’éloigna autant que ses pouvoirs le lui permettaient, laissa couler quelques minutes, permettant au gaz de se répandre et claqua des doigts. L’explosion ne se fit pas attendre et toute la maison prit feu. Personne ne découvrirait ce qui s’était passé ici et on attribuerait l’incident comme un malheureux accident. Ce qui l’amuserait encore plus, c’est que le désastre soit attribué à l’un de ses Elémentaires, de feu de préférence mais les représentants de cette espèce se faisaient trop rares en ville. Très vite, les témoins se rassemblèrent, certains appelant tour à tour la police et les pompiers ou bien l’inverse. Finalement, les premiers arrivèrent quand les lueurs du jour commencèrent à décliner. Le feu avait fait des ravages et le Lightness était certain qu’on ne retrouverait plus rien à l’intérieur. Quand les policiers interrogèrent les passants dans le but d’obtenir plus de renseignement sur l’origine de l’incendie, le jeune professeur écouta d’une oreille discrète le témoignage d’une voisine. Nul ne savait comment l’explosion s’était produite et c’était bien mieux pour lui. Sa courte visite chez la victime était passée inaperçue semblait-il. Parfait. Il tourna les talons, prenant la direction de chez lui. Avec l’avancée des ténèbres, il préférait rentrer plutôt que de trainer dehors, à moins bien sûr, d’avoir une excellente raison de le faire. C’était bien dommage d’ailleurs. Avec l’animation qu’avait provoqué l’incendie, la police devait être suffisamment occupée pour le reste de la soirée. Mais qu’importe. Tandis qu’il marchait, il vit un homme avec une expression affolée se ruer dans une ruelle. Il lui aurait bien crié que l’explosion n’était pas dans cette direction mais au lieu de cela, il poursuivit sa route, dépassant ladite ruelle quand il entendit les propos suivants :

« Vous là ! Lâchez Natsume tout de suite ou j’appelle les flics ! »

Jilan esquissa un sourire. Les flics ? S’il comptait là-dessus, il espérait en vain. Néanmoins, il jeta un coup d’œil dans la ruelle et ce qu’il découvrit le pris au dépourvu. Trois personnes se trouvaient là, l’homme qu’il avait aperçu plutôt et deux autres personnes dont l’un qu’il devina être le dénommé Natsume et l’autre… Une femme. Pas très grande mais qui dégageait la même animosité que… Kyarra ? Que faisait-elle ici ? Il ne s’attendait pas à la revoir de sitôt et dans ces conditions. Mais lorsqu’il reporta son attention sur le dernier homme, ou plutôt le jeune homme –il semblait un peu plus jeune que celui qui venait de parler- un sourire malsain se dessina sur ses lèvres. C’était le fameux livreur, celui-là même qui avait dégagé la même aura que la Darkness qu’il recherchait et celui dont il avait chargé la louve de s’occuper de lui. Pas étonnant que le pauvre se soit retrouvé dans une situation pareille. Il était toujours en tenue de service et le Lightness regretta de n’avoir pas été présent sur les lieux quand la lycane avait débarqué. Cela avait dû être amusant à voir. Jilan savait la jeune femme capable de gérer la situation mais il ne put s’empêcher de s’inviter à la fête. Il s’approcha silencieusement du troisième homme –certainement un collègue du jeune livreur à en juger par sa tenue- et lui saisit le poignet pour lui faire lâcher le téléphone qu’il tenait à la main. Il l’écrasa d’un coup de pied avant de passer son autre bras autour du cou de l’humain et de serrer, lui signifiant par-là que toute résistance était inutile.

« Désolé de te l’apprendre mais je crois que les flics ont mieux à faire ce soir, ce qui nous laisse toute la soirée pour nous amuser. » lui glissa-t-il à l’oreille.

Puis il se redressa et fit face aux deux autres. La peur se lisait aisément sur le visage du second humain mais le Lightness devait au moins saluer la louve, sachant par avance qu’elle n’aimerait pas spécialement ses manières. Elle le lui avait fait comprendre lors de leur rencontre.

« Heureusement que je passais dans le coin pour surveiller vos arrières. Il aurait été dommage que vous soyez interrompus… »

Jilan fixa un instant le jeune albinos droit dans les yeux. A cette heure de la journée, il ne pourrait pus utiliser les pouvoirs de son orbe, ce qui était dommage car cela aurait accéléré les choses pour découvrir ce qui se cachait sous la prétendue innocence du livreur. Même s’il leur disait la vérité, comment faire sortir cette chose ? Le Lightness réfléchit un moment. Les Darkness étaient des créatures en tout point opposées à ceux de sa race. Si lui se nourrissait de la lumière des gens, alors seul le désespoir permettrait à l’entité de se montrer. Et il tenait le moyen de le provoquer chez le jeune. Combiné à la terreur que Kyarra avait dû susciter en l’arrachant de force à son lieu de travail, le résultat ne pouvait qu’être intéressant ! Sans un avertissement, il brisa la nuque de l’homme qu’il maitrisait d’un coup sec, son regard hétérochrome toujours plongé dans celui, rubis de Natsume.

« Cet homme est mort par ta faute, vas-tu en assumer la responsabilité… ? » déclara-t-il avec cruauté.

A première vue, cette jeune femme ressemblait à une cliente comme une autre. Peut-être un peu petite par rapport à la plupart des personnes qui franchissaient le seuil de l’établissement mais il y avait quelque chose dans son allure et son regard qui lui donnait une certaine assurance. Pas un seul instant elle hésita en entrant dans la pizzaria. Au moins une qui savait ce qu’elle voulait dans la vie. Hormis sa taille, le seul détail qui intrigua l’étudiant fut qu’elle portait une chemise d’homme. D’habitude, on transportait ce genre de chose dans un sac, pour éviter de les abîmer ou de les froisser, surtout quand il s’agissait de vêtements. Enfin, c’était loin d’être le comportement le plus étrange que Natsume avait pu observer en ville alors il ne s’y attarda pas. Il ne reconnut pas la jeune femme, il voyait tellement de clients en une journée qu’il ne se rappelait pas de tous leurs visages. C’était triste à dire mais seuls les clients les plus excentriques ou marginaux restaient dans les mémoires. Les individus normaux eux, s’oubliaient facilement. Mais qui pourrait lui reprocher cela ? Après l’avoir salué, il lui laissa le temps de la réflexion avant de prendre sa commande et en profita pour jeter un œil en direction de l’horloge sur sa droite, songeant à son collègue qui devait venir le relayer mais qui n’apparaissait toujours pas. C’est dans cette fraction de secondes qu’il se sentit soudain attraper et tirer en avant. Instinctivement, il attrapa à deux mains, le poignet de celle qui le tirait à elle, pour tenter de se dégager. Sans succès. Avant même qu’il ne puisse le réaliser, il avait basculé de l’autre côté du comptoir, agrippé fermement par cette même cliente dont il s’apprêtait à prendre la commande. Elle avait une force de malade malgré sa petite taille. Ce n’était pas naturel ! Et voici qu’elle commençait à le trainer en direction de la sortie. Il se passait quoi à la fin ?! Le garçon avait d’abord songé à une simple agression mais visiblement, la jeune femme en avait après lui et seulement après lui. Il était rassuré qu’elle ne s’en prenne pas à ses collègues ou aux autres clients présent mais bien vite, ce faux soulagement céda la place à la crainte. A ce stade, il devait plutôt s’inquiéter pour lui qu’autrui non ? L’étudiant ne savait même pas ce qu’elle lui voulait, elle n’avait pas ouvert la bouche depuis son apparition sur les lieux et il voulait comprendre, savoir à quoi rimait tout ce cirque. Il se débattit une nouvelle fois, risquant un « Mais qu’est-ce qui vous prend à la fin ? Lâchez-moi ! » qui témoignait lui-même de l’ignorance dans laquelle il était plongé. Ce à quoi elle répondit par un violent coup de poing, qui le fit taire immédiatement. Non pas par peur d’en recevoir un nouveau ou de découvrir ce dont elle était capable envers lui. Il était plutôt choqué par son geste. Il ne s’attendait pas du tout à une réaction aussi agressive, lui qui avait jusqu’à présent, éviter la plupart de ces affrontements directs, et c’est avec un air totalement absent sur le visage qu’il se fit trainer hors de la pizzaria.

La jeune femme le conduisit vers une ruelle un peu à l’écart de l’allée principale et le bloqua contre le mur. Le garçon reprit contenance quand il la vit s’approcher de son cou. Une vampire ? Pourquoi il n’y avait pas pensé plus tôt ? Le jour se couchait, ils pouvaient désormais sortir et s’en prendre aux humains qu’ils rencontraient. Et cela expliquait l’origine d’une telle force de sa part. Persuadé qu’elle allait le mordre, il ferma les yeux, préparé à sentir les crocs s’enfoncer dans sa chair. Il se rappela furtivement la sensation qu’il avait éprouvé quand Maria l’avait mordu mais cela ne l’aida en rien. Il ne nourrissait pas l’espoir qu’elle le morde aussi gentiment que Maria l’avait fait, elle. Cependant, l’horrible sensation ne vint pas et à la place, il entendit pour la première fois, la voix de la jeune femme. Natsume ouvrit les yeux et la dévisagea, sans comprendre. Ce qu’il était ? De quoi voulait-elle parler ? Si son interlocutrice n’était pas humaine –et il en avait désormais la preuve- alors elle devait avoir remarqué que lui, l’était. Un simple et faible humain, incapable de se libérer de son étreinte. Alors à quoi rimait cet interrogatoire musclé ? Il avait beau retourner le problème dans tous les sens dans son esprit affolé, il n’était pas capable d’en saisir le but. Et si elle ne l’avait entrainé ici que pour lui poser cette question, pourquoi autant de violence de sa part ?

« Ce que je suis… ? » murmura-t-il, comme pour se persuader qu’il avait bien entendu la question.

Cela lui valut un regard noir suivi d’une nouvelle pression contre le mur, comme si la jeune femme cherchait à l’écraser contre ce dernier. Sa joue douloureuse ne semblait n’être plus qu’un mauvais souvenir, la tournure que prenaient les événements l’inquiétait davantage. La situation lui échappait et il cherchait toujours quoi répondre à sa mystérieuse interlocutrice quand il eut une révélation. Est-ce que cette femme était au courant pour Elisabeth ? Pire encore, pour les actes qu’il avait commis ces derniers jours ? L’étudiant ne parvint pas à contrôler les tremblements qui agitèrent son corps suspendu. Non, ça ne pouvait pas être réel… Il n’avait jamais vu ce visage alors comment était-elle au courant ? Etait-elle… du Cercle ? Avait-elle été informée d’une quelconque façon des meurtres qu’il avait perpétré du côté du quartier dévasté ? Voulait-elle en savoir plus sur lui avant de prendre une décision le concernant ? Allait-il être jugé pour ce qu’il avait fait ? Et quelles étaient les réelles intentions de son interlocutrice ? Natsume ne connaissait rien des actions du Cercle, peut-être qu’ils menaient des actions punitives envers les criminels qu’ils parvenaient à coincer. La vision du tribunal s’effaça au profit d’une image de mort. Que pouvait-il répondre au final ? Mentir ne le sauverait pas cette fois. Quant à dire la vérité… Lui-même ne se sentait pas encore capable de l’assumer mais il pouvait au moins lui révéler l’existence de la Darkness. En espérant que cela ne le condamne pas immédiatement…

« Vous là ! Lâchez Natsume tout de suite ou j’appelle les flics ! »

Hésitant, il jeta un coup d’œil en direction de la sortie de la ruelle. Il reconnut vaguement la voix d’un de ses collègues, celui-là même avec qui il plaisantait parfois en travaillant. Alors qu’il aurait dû être heureux de l’intervention de ce dernier, le garçon se mit à craindre pour sa vie. Il avait bien compris que la jeune femme pouvait se débarrasser de lui aussi facilement qu’elle l’avait maitrisé dans la pizzaria. Et il se refusait à voir mourir quelqu’un d’autre devant ses yeux. Plus jamais. Mais que pouvait-il faire ? Il ne pourrait pas tenir tête à la jeune femme et son collègue croyait bien faire en citant la police. Chose qui faisait mal réagir la plupart des malfaiteurs. Quelle serait la réaction de son interlocutrice ? Natsume redoutait le pire. Avant même qu’il puisse ouvrir la bouche, un second individu apparut sauf que celui-là révéla bien vite des intentions à l’opposé du malheureux collègue du garçon. Ses paroles horrifièrent l’étudiant. L’homme connaissait la jeune femme ? Cela n’annonçait rien de bon pour lui et son collègue. Lorsque le regard hétérochrome croisa le sien, son sang se glaça. Il comprit ce que le nouveau venu projetait de faire, avant de même de le voir agir.

« Non… Pitié, pas ça… » souffla-t-il, sans savoir si ces mots parviendraient aux oreilles de l’homme aux cheveux rouges.

Un craquement sinistre retentit et le regard rubis suivit le mouvement du corps sans vie lorsqu’il retomba sur le sol. Pourquoi… ? Pourquoi ?? Cet homme n’avait rien fait pour mériter un sort pareil ! Il s’était mis en danger pour lui et à cause de lui… Natsume détourna le regard. Les mots de l’assassin lui parvinrent malgré tout aux oreilles et s’il avait pu devenir sourd, il l’aurait fait sans hésiter. Il était certain à présent que, quel que soit sa réponse à venir, un sort identique l’attendait. Ces deux-là ne plaisantaient pas. Ils lui feraient avouer ce qu’ils désiraient entendre et l’élimineraient aussitôt après. Il ne se sentait pas bien mais cela lui importait plus à présent. Il allait mourir ici… n’est-ce pas ? Alors à quoi bon lutter… ?

« Je crois que cet humain a envie que vous le lâchiez. »

Son cerveau ne fit pas immédiatement le lien entre la voix qui venait de s’élever dans l’air pesant de la ruelle et la personne qui venait de s’exprimer. Cette phrase sonnait comme une délivrance mais à quel prix ? Qui était cette nouvelle victime ? N’avait-elle rien vu de ce qui venait de se passer dans ladite ruelle ? N’avait-elle pas conscience que seule la mort l’attendait si elle persistait à vouloir intervenir ? Minute… Elle avait bien dit « Cet humain » ? Cette personne était-elle aussi différente de lui ? Le timbre résonnait de manière familière aux oreilles de l’étudiant. Lentement, il revint vers l’endroit d’où la voix avait surgi et son cœur manqua un battement quand il reconnut, à grand peine tout de même, la silhouette qui s’avançait vers eux. Maria ? Qu’est-ce… ? Soudain, il sentit la jeune femme desserrer sa prise sans un avertissement et il évita une chute de justesse. Une chance pour lui qu’elle l’avait laissé frôlé le sol de ses pieds en le soulevant. Que s’était-il passé ? Il n’en avait aucune idée mais il devait saisir sa chance. Profitant de l’inattention de celle qui l’avait agressé, il tenta de sortir de la ruelle mais très vite, un autre problème se mit en travers de son chemin. Comment réussir à passer l’assassin de son collègue ? Natsume n’avait aucun moyen de prévoir ce que serait sa réaction mais il devait tenter le tout pour le tout. S’il restait ici, il mourrait.

Encore une fois, les prévisions du jeune professeur s’étaient révélées vraies et c’est avec un sourire amusé quoique rigide qu’il accueillit la réflexion de la jeune femme. Il avait réussi à énerver la louve avec ses propos, à moins bien sûr, qu’elle ne l’était déjà auparavant, chose qui n’aurait pas étonné Jilan. Il se dit que tout cela ne jouait peut-être pas en sa faveur en fin de compte, il n’avait pas encore officiellement rejoint les Rebelles, ni même servi sous leurs ordres. Cette femme était le seul lien qu’il entretenait avec l’organisation clandestine, ce serait stupide de sa part de le perdre, ruinant ainsi tous ces efforts pour se rapprocher du groupe. La réplique de sa partenaire l’amusa autant qu’elle l’agaça. Kyarra avait décidément une fierté bien mal placée, doublée d’un mauvais caractère. L’espace d’une fraction de secondes, le Lightness se demanda s’il n’avait pas tout simplement halluciné lorsqu’il avait entre-aperçu la petite lueur dans le cœur de la lycane la fois où elle s’était rendue chez lui. Il n’était pas réellement sérieux quand il prétendait assurer ses arrières sauf que, visiblement, son interlocutrice avait tout pris à la lettre, au grand damne du jeune professeur. Ce n’était pas son genre de travailler en équipe, il préférait de loin le travail en solo, propre et discret. Cela, il ne l’avait pas dit à la jeune femme lors de leur entrevue privée mais peut-être qu’elle le découvrirait par elle-même en l’observant bien. « Seuls les plus forts dominent » Quand on possède la puissance, à quoi bon s’encombrer d’alliés ? Jilan savait bien que même sans son intervention, la louve se serait débarrassée du gêneur avant de reprendre son interrogatoire. Mais il connaissait ses méthodes, pour l’avoir déjà vue à l’œuvre et elle risquait tout simplement d’attirer l’attention sur elle, compromettant par la même occasion, ses intentions à l’égard de l’humain. Ils avaient beau posséder le pouvoir et la volonté de tuer, s’ils devaient affronter le Cercle maintenant, à eux deux, ce serait délicat. Le Lightness toisa la lycane, soutenant le regard rageur qu’elle lui adressa. Il s’était montré patient envers elle sauf qu’il n’était pas d’humeur à se faire congédier de la sorte. Comment ça il avait de l’égo ? Il se demanda si c’était vraiment une bonne idée de passer par Kyarra pour rejoindre l’organisation. Leurs tempéraments étaient bien différents, certains les qualifieraient probablement d’ « incompatibles ». Pourtant, lui comme elle, seraient stupides de ne pas reconnaitre qu’ils étaient utiles l’un à l’autre. Elle avec sa force brute, lui avec son recul vis-à-vis de n’importe quelle situation. Leurs méthodes étaient certes, semblables mais pas exécutées de la même manière. Cependant, parviendrait-il à supporter le comportement de la jeune femme ? Rien n’était moins sûr…

« Moi aussi je suis ravi de vous revoir, charmante partenaire. Je ne remettais pas en doute vos capacités, seulement votre efficacité à conserver un peu de discrétion. Vous savez comment sont les humains quand vous les étripez : bruyants et geignards. Mais je parle trop, j’étais simplement venu pour vous laisser poursuivre votre interrogatoire. »

Il avait volontairement insisté sur le mot « partenaire », histoire de faire enrager encore plus son interlocutrice. Jilan était curieux de savoir comment se déroulerait l’entrevue avec l’humain à l’aura démoniaque, d’autant qu’il avait apporté sa pierre à l’édifice en tuant froidement son collègue sous ses yeux terrorisés mais il doutait que Kyarra apprécie sa présence à ses côtés. La lycane avait fait le gros du travail, c’était à elle que méritait l’honneur de terminer ce qu’elle avait commencé. C’est donc plutôt surpris qu’il l’entendit lui proposer de rester pour assister au déroulement de l’opération. Etonné mais pas mécontent pour autant. Finissait-elle par accepter sa présence finalement ? Comment savoir ? Il fit abstraction de la seconde phrase de la jeune femme, celle qui le mettait en garde pour la suite et rétorqua en souriant de manière plus détendue qu’avant.

« Avec plaisir. »

A peine avait-il achevé sa réplique qu’une voix féminine s’éleva un peu plus loin derrière lui, sur sa gauche. Il n’avait même pas senti arriver la personne et s’empressa de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir à qui il avait affaire. Une jeune femme, pas spécialement menaçante à première vue mais le Lightness nota immédiatement la ressemblance physique entre elle et l’humain que Kyarra tenait toujours. Pour un peu, on aurait pu les croire parents. Pas forcément frère et sœur mais membres de la même famille en tout cas. Mais qui désignerait un représentant de sa propre race de cette manière ? « Cet humain »… La façon dont elle l’avait prononcé, l’intonation même légère sur le mot, fit réagir Jilan. La nouvelle venue semblait ne pas être humaine mais si elle ne l’était pas, qu’est-ce-qu’elle était ? Et plus important encore : quelles étaient ses intentions ? Bonnes ou mauvaises ? Conciliantes ou perturbatrices ? Il ne quittait plus des yeux la nouvelle venue. Il était clair qu’elle venait leur mettre des bâtons dans les roues. Pourtant il émanait d’elle quelque chose de semblable à la louve ou lui. Alors pourquoi se décidait-elle à intervenir auprès de cet humain ? On pouvait imaginer le pire des scénarios, si la demoiselle au regard sanguin était déterminée à lui venir en aide, peut-être que l’affrontement serait inévitable entre elle et eux. Ce ne serait pas un problème pour la lycane mais il ne connaissait rien des capacités de l’inconnue. En revanche, il savait tout de ses limites à lui. Un mouvement devant lui, le fit changer de cible. La louve avait lâché l’humain, qui se dirigeait à présent vers lui, hésitant. La sortie ? Il aurait mieux fait de tenter sa chance dans la direction opposée, quitte à se retrouver face à un mur. Car le Lightness était tout, sauf bien intentionné envers lui. Un regard dans la direction de sa partenaire lui indiqua qu’elle était aussi surprise que lui d’avoir laissé filé le garçon. Que s’était-il passé ? Une crampe ? Il n’y croyait pas. La louve se dirigea alors vers l’humain, toujours aussi déterminée à en finir avec lui, ce qu’elle fit également comprendre à l’intruse à travers quelques mots cinglants. Le jeune homme sembla dépasser le seuil critique de la panique car en voyant s’approcher Kyarra, il n’hésita plus et tenta de passer Jilan. Fausse manœuvre. Celui-ci soupira devant les vains efforts du faible humain qu’il était et l’attrapa par le bras alors que le garçon le dépassait. Il le lui tordit violement avant de le retourner en direction de la louve puis s’écarta légèrement sur la droite, lui permettant de faire à la fois face à l’inconnue et Kyarra en même temps. De sa main valide, il saisit sans délicatesse le menton de l’humain et le redressa, comme pour le contraindre à fixer le déroulement des opérations. Opérations dont il était le centre.

« Le laisser tranquille ? Rien que pour vos beaux yeux, je pourrai ne pas toucher à un seul de ses cheveux. A une seule condition : que vous m’expliquez en détails ce qui se cache derrière ce regard innocent. »

En vérité, il s’agissait plus d’une pique moqueuse à l’intention de la jeune femme, visant aussi bien à semer le trouble dans son esprit que lui faire comprendre, avec subtilité entendons-nous bien, qu’il n’avait aucune intention de relâcher le garçon. Sous l’effet d’une intuition, il doutait que l’inconnue sache quoique ce soit à propos de l’humain et encore moins concernant la chose qui sommeillait en lui. Quel que soient les raisons qui l’avaient poussé à intervenir, aussi nobles soient-elles, elle devrait leur passer sur le corps pour sauver cet humain. Mais pourrait-elle affronter deux adversaires à la fois ?

A l’instant même où il échappait à la poigne de fer de l’inconnue aux intentions plus que troublantes, le garçon sut qu’il avait fait le mauvais choix en prenant cette direction. Tel le papillon attiré par la lumière d’une lanterne, il s’était instinctivement dirigé vers la sortie de la ruelle, l’endroit d’où il venait, sans savoir qu’il s’y brûlerait les ailes. Celui qui semblait être le complice de cette femme l’attendait au tournant et à son regard, l’étudiant comprit que l’intervention de Maria n’avait changé en rien ce que l’individu projetait de faire. Sur le coup, Natsume hésita. Il ne pouvait pas faire demi-tour, il redoutait jusqu’à la simple perspective de tourner la tête pour croiser de nouveau le regard glacial de cette femme. Sa seule alternative consistait à contourner l’homme qui lui faisait face, en ne sachant rien de ses projets. La présence de la vampire à quelques pas de l’individu le rassura mais s’il perdait subitement patience et le tuait dès que le garçon serait à portée de main ? Non… Il ne devait pas penser à ce genre de choses, la femme avait dit qu’ils n’en avaient pas terminé avec lui. Donc, cela voulait dire qu’ils avaient besoin de lui vivant ? Natsume déglutit difficilement. Il n’avait aucune idée de la marche à suivre. Ne pas bouger et tenter de s’expliquer ? De les convaincre qu’il y avait erreur sur la personne ? Ou foncer tête baissée et laisser Maria les persuader à sa place ? Ce n’était pas son genre de laisser quelqu’un régler les choses pour lui, encore moins quand il s’agissait de ce genre de situation où ladite personne risquait sa propre vie. Si ces deux-là en avaient bien après lui, à cause des atrocités qu’il avait commis ou même en raison de l’existence d’Elisabeth, dans ce cas, Maria n’avait rien à voir avec toute cette histoire. L’étudiant se refusait à ce qu’elle soit blessée –ou pire- par sa faute. Il appréciait son intervention sans trop comprendre pourquoi elle se trouvait ici –à dire vrai, il ne pensait plus du tout à la promesse qu’elle lui avait faite, ne sachant pas bien s’il pouvait la croire sur parole lorsqu’elle le lui avait dit- mais cela s’arrêtait ici. Les yeux rubis allèrent de l’homme aux cheveux écarlates à la vampire. Devait-il faire savoir qu’elle et lui se connaissaient ? Le garçon n’avait pas songé à ce détail, pourtant très important pour la suite des événements. Cela risquait d’attirer encore plus d’ennuis à la jeune femme si jamais les circonstances de son agression étaient plus sérieuses que prévu. La situation qui n’était déjà pas à son avantage, lui filait totalement entre les doigts. Comme si quelqu’un avait prévu chacun de ses gestes pour anticiper chacune de ses pensées. Allait-il devoir se reposer sur Maria ? Ou se montrer suffisamment fort pour affronter ces deux adversaires à la fois ?

Malheureusement, on ne lui laissa pas le temps de la réflexion. Une voix au timbre rageur se fit entendre derrière lui. Cela se rapprochait de lui. Un regard en biais confirma les soupçons de l’étudiant et la panique s’empara de lui. Cette femme réduisait la distance entre elle et lui. Dans quelques secondes, il serait de nouveau à sa merci, contraignant une fois de plus la vampire à intervenir en sa faveur. Mais plus que la crainte de compromettre Maria, ce fut la terreur de la proximité avec celle qui l’avait maitrisé sans peine qui le poussa à la faute. Sans réfléchir, il chercha à la fuir, même si pour cela il devait affronter l’autre individu. Ce fut la première erreur d’une longue suite. L’homme l’attrapa puis lui tordit le bras, arrachant une plainte douloureuse au garçon. Pourquoi le faisait-il souffrir à ce point ? Il n’avait pas besoin d’user de la force de la sorte pour l’empêcher de fuir. Cet homme avait assassiné son collègue et maintenant il lui infligeait des souffrances inutiles. Morales puis physiques… Toute cette cruauté qui émanait de lui. Pas besoin d’être un devin pour comprendre que cet être prenait un malin plaisir à dominer et blesser. Mais il y avait aussi quelque chose de paradoxal qui ressortait chez lui. Natsume, sans doute déstabilisé par la douleur qui se répandait dans son bras, ne parvenait pas à savoir exactement de quoi il retournait. Il se sentait à la fois… attiré et éloigné. Deux sentiments contraires et pourtant mêlés au sein de l’homme. Le garçon n’aimait pas ça. Un tel phénomène n’amènerait rien de bon. Comme si la situation n’était pas déjà suffisamment compliquée pour qu’il se pose des questions inutiles. L’inconnu était une menace, point. Il grimaça quand son menton fut brutalement relevé. Il ne pouvait rien faire. Il sentait que s’il tentait de se libérer, la sanction serait immédiate et son épaule déboitée. Il écouta les mots de son bourreau et ses craintes se confirmèrent. Ils étaient bien à la recherche d’Elisabeth. Il devait agir, il ne pouvait pas laisser Maria se mêler de cette histoire, pas maintenant. Même si ça devait lui coûter la vie…

Mais alors qu’il se résignait déjà à assumer l’existence de l’entité et les conséquences qui en découleraient, voici que la vampire prenait à son tour la parole. Surpris, Natsume l’observa, incrédule. Que cherchait-elle à faire en parlant de la sorte ? Elle ne faisait qu’attirer l’attention des deux autres sur elle. Pour lui permettre de fuir ? Parce qu’elle savait pertinemment qu’il n’était qu’un poids mort si un affrontement venait à éclater ? Aussi convaincants que soient ses propos, il ne pouvait pas la laisser faire. Un seul regard de la vampire lui intima le silence. Avait-elle seulement conscience de ce qu’elle encourait à prendre un tel risque ? Avait-elle suffisamment confiance en sa propre force et en ses capacités pour tenir tête à deux adversaires ? Il est bien vrai que l’étudiant n’avait aucune idée de ce qu’était capable la jeune femme. Lorsqu’il l’avait rencontré, elle était en bien mauvais état mais ce n’était pas par pitié qu’il l’avait aidé. Ce n’est que par la suite qu’il en avait appris un peu plus sur elle, sur sa vision du monde et de la paix, sa haine tenace envers la ville, haine en réalité dirigée contre son propre frère. Et s’il avait fait sa connaissance dans un autre lieu, en d’autres circonstances ? Aurait-il eu le même regard sur elle, qu’actuellement ? Rien n’était moins sûr. Pourtant, ce qu’il ressentait pour elle, toutes émotions confondues, était ce qui devait compter le plus dans son jugement. Si Maria savait ce qu’elle faisait en agissant ainsi, alors, il devait lui faire confiance. Ne pas douter. Et espérer. Si jamais il en réchappait, Natsume nota qu’il devrait des explications à la vampire. Et pas n’importe lesquelles…

Elle répondit alors. Pas une seule fois, l'intonation de sa voix ne la trahit et elle récita presque sa réplique, un peu comme si elle l'avait apprise par coeur en prévision de ce qui allait se produire. Ou alors elle était une très bonne comédienne doublée d'une menteuse. Elle ne montra aucune surprise quant à l'annonce du jeune professeur, signe qu'elle disait vrai ? Le visage du Lightness conserva son expression même si le doute et la déception s'installaient en lui. Est-ce que son intuition l'avait induit en erreur ? Ce n'était pas son genre de se remettre en question de la sorte, pas plus que d'admettre une mauvaise interprétation de sa part. Dire qu'il était persuadé que l'inconnue ne sache rien de plus qu'eux concernant l'humain était faible comparé à la conviction qu'il avait dans son hypothèse. Il ne laissa rien paraitre de son scepticisme dans ses traits -cela n'aurait que renforcé la confiance de la demoiselle aux pupilles sanglantes- et se contenta de fixer son interlocutrice, s'efforçant de déceler la moindre nervosité, le moindre geste qu'il pourrait retourner contre elle. Mais à bien l'écouter, si elle leur mentait, elle ne le faisait qu'à moitié. Elle connaissait l'identité de l'humain ou du moins son prénom. Et comme ni lui, ni Kyarra n'en savait autant à son sujet -cela aurait pu leur être utile d'en apprendre davantage avant de foncer tête baissée mais là encore, il s'agissait des méthodes radicales de sa partenaire...-, Jilan n'était pas en mesure de la contredire. Il ne pourrait pas l'interroger au sujet de l'humain, ne serait-ce que pour mieux coincer l'inconnue. Dépité, il se contenta de retenir le nom de l'humain, des fois que cela puisse lui servir, même s'il doutait que le pauvre passerait la nuit. A moins qu'il ne se montre réellement intéressant et coopératif, ses chances de survie demeuraient minces. Le Lightness n'avait aucune intention de le laisser repartir vivant, d'une parce qu'il en savait de trop, et de l'autre, parce qu'il n'était qu'un humain bon à éliminer s'il ne présentait pas le moindre intérêt pour eux. L'ombre d'un sourire flotta sur les lèvres de Jilan. Ce Natsume n'avait pas à s'en faire, il irait purement et simplement rejoindre celui qu'il avait tué devant ses yeux. Ils paraissaient se connaitre, pourquoi faire attendre son ami ? D'autant que Kyarra risquait d'avoir une petite faim si l'interrogatoire s'éternisait. Plus il les faisaient attendre au sujet de la présence de la Darkness que le jeune professeur avait décelé chez lui, moins ils se montreraient tendres avec lui. Même un imbécile pouvait le comprendre. Et le Lightness faisait étrangement confiance à la louve pour avoir informé le garçon de la position qu'il occupait dans cette situation. Il n'était pas en mesure de faire ou tenter quoique ce soit contre eux.

Le sourire de Jilan s'affirma lorsqu'il entendit l'inconnue faire référence à sa partenaire. Rien que le terme « partenaire » le laissait dubitatif, « collègue » aurait certainement été plus approprié pour qualifier leur relation. Alors à l'écouter prononcer « copine » l'amusa. En son for intérieur, il imaginait très facilement l'état dans lequel devait se trouver la lycane. Elle devait être proche de sa limite ou alors elle se contrôlait à grand peine. Avait-elle fini par retenir l'intérêt de rester calme afin d'analyser chaque élément d'une situation comme il l'espérait ? Cela rendrait plus faciles les choses entre eux, s'ils étaient voués à travailler en équipe par la suite. L'intervention du Lightness avait certainement déjà fait grimpé la jauge d'énervement dans l'orange -pour une curieuse raison, celui-ci doutait que le comportement de Natsume n'ait pas agacé la louve-, la réflexion de la nouvelle venue achevait de la placer dans le rouge. Si les intentions de l'inconnue étaient de tirer l'humain de ce mauvais pas, en évitant à tout prix l'affrontement, cela s'annonçait mal pour elle. Autant ses paroles se voulaient froides et détachées, autant son caractère se voulait semblable à celui de Kyarra. Déterminée et ne se laissant pas marcher sur les pieds. Telle était la vision que Jilan se faisait de leur interlocutrice. Selon cette hypothèse, cela ne serait pas facile de la faire partir pour interroger tranquillement Natsume. L'affrontement était-il inévitable ? Non pas que cela dérangea le jeune homme mais il détesta l'idée de ne pouvoir combattre. Ses pouvoirs lui manquaient. Ils auraient été les bienvenus dans ce genre de circonstances. Maintenant toujours le bras de l'humain, il réfléchissait. Ecouter ce qu'avait à dire l'inconnue ne leur rapporterait rien au final car ils n'étaient pas en mesure de démêler le vrai du faux. Et ce ne serait certainement pas l'humain qui les éclairait sur ce point. Il serait probablement trop heureux qu'on prenne sa défense, pour contester quoique ce soit, même sous la menace. Alors que faire ? Maitriser Natsume et laisser faire Kyarra ? Oui, c'était une optique, pas des plus réjouissantes mais cela valait mieux que de repartir bredouille. Pour la première fois depuis une éternité, Jilan se décida à compter sur quelqu'un d'autre que lui-même. Cela ne lui ressemblait pas, vraiment pas ! Et l'agaça plus qu'autre chose au final.

Il échangea un regard avec la louve qui s'était rapprochée d'eux pendant ce laps de temps. Elle ne fit aucune réflexion concernant son relâchement momentanée. Il aurait souhaité un indice de sa part, que cela soit dans son comportement ou ses yeux, sachant que la situation leur interdisait de communiquer librement devant un potentiel adversaire. Mais Jilan avait également d'autres préoccupations en tête. Etait-elle seulement au courant que ses pouvoirs ne fonctionnaient pas dès lors que le soleil disparaissait ? Le Lightness ne se rappelait pas lui avoir parlé de cet inconvénient mais peut-être avait-elle noté son brusque changement d'humeur suite à l'avancée de la soirée, la fois où ils s'étaient retrouvés dans son appartement. Cela n'avait aucun lien avec la faiblesse de son don mais peut-être qu'elle en avait déduit que l'obscurité affectait ses capacités magiques ? Minute ! Depuis quand il croyait Kyarra capable d'un tel discernement ? Elle qui ne différenciait pas ses piques, de ses remarques sincères. Cependant, la lycane prit l'initiative de répondre à la nouvelle venue, ce qui ne déplu pas au jeune homme. En soit, il pensait exactement la même chose qu'elle à cet instant et il ne l'aurait pas mieux formulé qu'elle ne le fit. Ou alors peut-être en donnant quelques détails supplémentaires sur les conditions du garçon ? Histoire de rappeler à l'inconnue qu'elle n'était pas tellement en position de hausser le ton ? Il observa du coin de l'oeil la louve s'approcher et poser une main sur le garçon, lui signifiant par la même occasion qu'elle n'en avait pas terminé avec lui. Avec ou sans les explications de la nouvelle venue. Le Lightness, pour sa part, relâcha sa prise sur le bras de l'humain et posa une main sur son épaule droite, fermement. Ce n'était pas parce qu'il avait retrouvé la liberté de son membre, qu'il pouvait se croire hors de danger. Mais Jilan, loin de lui donner de faux espoirs ou de passer le relai à sa partenaire pour retenir Natsume, désirait simplement être libre de ses mouvements si jamais leur interlocutrice se décidait à agir. Il gardait en mémoire le relâchement de Kyarra, chose dont il n'avait toujours pas compris l'origine. La lycan elle-même semblait étonnée mais pas déboussolée pour autant. Ce n'était qu'une question de temps avant que les choses ne dégénèrent entre elle et la jeune femme au regard sanglant. Au vue de comment progressaient la discussion, il était évident qu'ils allaient droit dans le mur, chacun campant sur ses positions, sans possibilité de retrait.

« Me payer votre tête ? Non pas tant que vous conservez un semblant d'intérêt à mes yeux. Toutefois, je ne suis pas tout à fait de l'avis de ma collègue. Quelque chose me dit que vous n'en savez pas plus que nous en réalité. Si c'est nous faire perdre notre temps que vous cherchez... »

Il laissa volontairement sa phrase en suspens, comme pour mieux savourer la menace sous entendue qu'elle offrait. C'était aussi une manière de signifier à Kyarra qu'ils perdaient réellement leur temps en l'écoutant. L'obscurité lui faisait perdre patience, il n'aimait pas s'attarder à l'extérieur sitôt que les ténèbres envahissaient les rues. Alors qu'il pensait pouvoir tranquillement profiter du spectacle en laissant faire la louve, voici qu'on venait contrecarrer ses plans. Par ailleurs, Jilan laissait place au doute en s'exprimant de la sorte. Faire croire à la jeune femme que lui et la lycane agissaient de concert, pour le bien ou non d'un organisme indépendant, police ou autre, -ce qui n'était pas totalement faux dans le fond- ou insister sur le fait qu'il n'était pas tombé dans le panneau à la suite de son mensonge ? Laquelle de ces deux approches étaient la plus intéressante à exploiter ? Il ne savait que choisir. Le Lightness avait beau tenter de sonder le coeur de l'inconnue, sa part de ténèbres et ses pulsions délicieusement violentes cachaient tout le reste. Impossible pour lui de deviner sa sincérité et donc, raison de plus pour remettre en doute sa parole. Peut-être avait-il parlé trop vite et que ses mots précipiteraient les événements. Il ne se souciait même plus de ce que penserait Kyarra au sujet de l'appellation « collègue ». Elle ne l'apprécierait sans doute pas mais qu'importe. Sa patience commençait sérieusement à diminuer. Tout comme la peur se faisait sentir de plus en plus au contact de l'humain. Mais plus que la terreur qui l'animait, c'était ce qui vivait en-dessous qui l'intéressait. Que se passerait-il si un affrontement venait à éclater ? Est-ce que cette chose se montrerait enfin ? N'avait-elle pas soif de violence et de sang depuis le temps qu'elle restait enfermée dans ce corps ? Peut-être que la peur ne suffisait pas en fin de compte, il lui fallait autre chose. Quelque chose de plus intense pour qu'elle se décide à sortir. Jilan se pencha lentement vers l'humain et lui murmura à l'oreille, sournoisement.

« Cela vaut également pour toi, l'ami... Pourquoi ne pas tout nous dire à présent ? »

Le regard toujours plongé dans les prunelles aux reflets sanglants de la vampire, Natsume ne s'aperçut pas immédiatement que l'inconnue l'avait finalement rejoint. Un sursaut de terreur le prit lorsque cette dernière passa une main dans ses cheveux et les mots qu'elle adressa à l'attention de Maria ne firent que renforcer la peau qui lui nouait l'estomac. L'intervention de la vampire ne semblait pas avoir eut l'effet qu'ils attendaient. Même si ses agresseurs l'avaient relâché, c'était une perspective que l'étudiant n'avait pas oser envisager l'espace d'une seule seconde. Le motif ? C'était plus qu'improbable. Ils aimaient faire du mal, tuer ne les dérangeaient pas, pou quelles raisons auraient-ils accepté la requête de Maria ? C'était bien trop beau pour y croire et le désespoir surgit de nouveau dans l'esprit du garçon. La vampire avait bluffé et sa tentative était vouée à l'échec, elle finirait par s'attirer des problèmes elle aussi, par sa faute. Contre toute attente, l'homme qui le maintenait, relâcha sa prise avant de répondre à leur interlocutrice. Même avec une pseudo liberté retrouvée, Natsume n'osa pas faire un geste, comme si la main de cette femme excerçait la même pression sur lui que ne l'avait fait l'inconnu en lui tordant le bras. Il n'était vraiment qu'un lâche... Une main se posa sur son épaule droite et très vite, quelques mots sournois suivirent. « Tout leur dire » ? Si seulement il savait par quoi commencer ! La situation aurait été plus simple si ni l'homme aux cheveux écarlates, ni Maria n'étaient intervenus ! Il devait s'expliquer à quel sujet ? Voulaient-il en savoir plus sur l'entité qui dormait en lui ou bien sur les crimes qu'il avait commis ? Et même s'il acceptait de tout leur raconter... Qu'en penserait la vampire ? Le garçon lui avait parlé de ses idéaux, de la tolérance entre les différentes races, cette paix qu'il désirait. Et maintenant, il devait reconnaitre devant elle qu'il était le pion de l'ennemie de l'humanité ? Qu'il avait du sang sur les mains et qu'il parvenait à vivre avec cela sur la conscience ? Ou tout juste à survivre... Il ne pouvait pas lui demander de partir, pas si elle décidait de tenir la promesse qu'elle avait envers lui. Même ses agresseurs auraient trouvé ce comportement louche. Et peut-être que quelque part au fond de lui, il désirait que Maria lui vienne en aide. Il ne voulait pas mourir dans cette ruelle sordide, sans avoir compris ce qu'on lui reprochait. Etait-ce le moment de craquer ?

« Je... » commença t-il avec difficultés.

Il n'eut pas le temps d'en dire davantage. Sans un avertissement, la vampire se précipita sur eux, déviant légèrement sur la droite pour s'en prendre à l'homme, visiblement désigné comme sa première cible. L'étudiant ne put suivre avec précisions l'enchainement des actions, bien trop rapides pour ses yeux d'humain. La sensation dans ses cheveux disparut et une ombre passa devant lui. On ne lui laissa pas le temps de se poser la moindre question que Maria lui attrapa la main pour le tirer en direction de la sortie de la ruelle. La seule chose qu'il put comprendre dans tout cela, c'est que la vampire avait décidé de passer à l'action et qu'elle lui offrait sa dernière chance pour s'en sortir vivant. Evitant de peu de perdre l'équilibre devant la puissance que mit Maria dans sa poigne, il se précipita vers l'extrémité de la ruelle quand le bruit d'un coup de poing l'arrêta net, à bonne distance cependant des trois autres. Il se retourna pour découvrir, horrifié, l'inconnue s'en prendre à celle qui venait de le sauver. Etrangement, l'homme ne réagit pas immédiatement mais s'écarta vivement des deux femmes pour éviter de prend un coup au passage. Il semblait avoir prévu l'assaut de la vampire mais quelque chose semblait le perturber un peu. Cessant d'observer l'affrontement, il tourna la tête dans la direction du garçon et lui jeta un regard noir. On ne lisait aucune surprise dans les yeux hétérochromes, seule une étrange colère mais bien vite, quelque chose de similaire à ce que l'étudiant avait pu voir lorsque l'individu avait froidement assassiné son collègue, apparut, paralysant Natsume. Cet éclat... Cette envie... Ce n'était plus lui leur cible. Ils savaient qu'il était bien trop faible pour leur échapper, qu'ils le retrouveraient n'importe où. Non, celle qui dorénavant, allait payer pour lui c'était...

« Maria ! » s'écria t-il comme un fou.

Le sourire de l'homme réapparut, comme s'il savourait le désespoir de l'étudiant. Natsume se raidit. Les mots lui manquaient. Pourquoi... Pourquoi... Les bruits se dégageant de la lutte se firent lointain. Elle allait mourir. S'il ne faisait rien. Mais qui était-il pour espérait pouvoir la sauver ? Pour qui se prenait-il ? Si la vampire en était arrivée là, c'était... Ta faute. Les épaules du garçon s'affaissèrent alors que son regard se faisait vide. Oui, c'était de sa faute. Faible. Il allait perdre une autre personne chère à ses yeux. Méprisable. Il ne pourrait rien faire pour la sauver. Le monde s'effaça pour laisser place aux ténèbres. Encore ? Il n'avait plus la force de lutter, plus de force tout court. Il sentit une présence horriblement familière. La Darkness l'enlaça de ses bras blanc comme la neige, sussurant quelques mots à ses oreilles. Il n'en comprit pas le sens, à quoi bon de toutes façons ? Elle allait revenir, c'était bien ce qu'ils désiraient voir n'est-ce pas ? Ils étaient venus pour elle. Un visage passa brièvement devant ses yeux. Maria... ? Les dernières pensées du garçon allèrent à la jeune femme, espérant, priant pour qu'elle puisse s'échapper. Avant que le cauchemar ne commence. Cette nuit serait leur dernière. Parce qu'elle le voulait. Elisabeth ouvrit les yeux, découvrant le spectacle affligeant qui s'offrait à elle. Une satisfaction morbide s'empara d'elle et elle se mit à rire à gorge déployée. Un rire à vous glacer le sang. Il n'y avait plus rien d'humain dans ce son frôlant la folie dans le plaisir. Cette ruelle était pleine de haine, de violence et d'obscurité. Elle s'y plaisait. Cela faisait quelques temps qu'elle n'avait pas ressenti pareille sensation. Depuis qu'elle avait froidement tué ces imbéciles avec les mains de Natsume.

« Allez-y ! Entretuez-vous ! Je m'occuperai personnellement du vainqueur ! »

Tant de violence animait les deux femmes mais celui qui attira son attention fut l'homme qui restait prudemment en retrait. Pas dans le genre des têtes brûlées semblait-il. L'entité appréciait ce qui se dégageait de lui mais... Elle fronça les sourcils, mécontente. Quelle était cette aura désagréable qu'il trainait avec lui ? Celui lui donnait purement et simplement, envie de le tuer. De réduire son existence à néant malgré la proximité qu'elle semblait entretenir avec lui. Ne faisant plus attention à ce qui l'entourait, elle fixa l'individu puis ses lèvres s'étirèrent en un sourire carnassier. Il lui rappelait quelqu'un, une personne dont elle aurait volontiers oublié l'existence. Alissa... Ainsi, cet homme qui, d'après ce qu'elle avait perçu, souhaitait la rencontrer, était de la même race que cette femme à l'origine de sa défaite ? Comme c'était amusant... Un Lightness... Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'en avait pas croisé un. A croire qu'ils s'étaient tous cachés comme les lâches qu'ils étaient. Cependant celui-ci semblait différent, peut-être qu'il pourrait l'amuser un peu ? Profitant du manque d'attention de ce dernier, elle fut près de lui en quelques pas, passant une main sur son torse pour qu'il la remarque. Une haine sourde coulait en lui, comme le liquide écarlate présent dans chacune de ses veines. Comment avait-il pû devenir un être de lumière ? Cela l'intriguait mais pas autant que les sensations qu'il pourrait lui procurer. Elle aurait la réponse à ses questions en temps et en heure.

« Alors mon mignon, on a envie de jouer... ? Laissons tomber ces deux là et poursuivons un peu plus loin. »

La peur s'immisçait dans l'esprit de l'humain. Mais plus que cela, c'était quelque chose de sombre qui remontait lentement à la surface. Le Lightness pouvait le ressentir, même en étant un être de lumière, habilité à ressentir le bon chez les êtres vivants. Ce qui vivait au fond de cet étudiant allait ressurgir, c'était une question de minutes. Devait-il en informer sa partenaire ? Aussi jouissif que l'était cette éminente perspective, Jilan ne devait pas néliger les conséquences de leurs actes sur le mental du dénommé Natsume. Comment réagirait l'entité démoniaque ? Se montrerait-elle de leur côté ou au contraire réticente à les rejoindre ? Si cela se produisait, il leur faudrait agir pour la neutraliser. Tuer ne posait pas de problème pour un Darkness, quelqu'il soit. Sauf que le jeune professeur se savait en mauvaise position si la situation s'envenimait. Les circonstances ne lui étaient pas favorables et peut-être que la seule force physique de Kyarra ne suffirait pas à les tirer d'affaire. Encore moins si elle était prise au dépourvu. Avait-elle seulement une vague idée de ce qui les attendait ? Que cette chose enfouie en l'humain avait un lien avec le ravage de la forêt ? Quittant des yeux l'inconnu, le Lightness jeta un regard en biais en direction de la louve. La détermination était lisible sur son visage. Cependant, Jilan ne tenait pas à perdre la vie dans un endroit pareil et si jamais la situation tournait mal... La lycane risquait de devoir affronter seule l'entité. Par simple précaution, il voulut lâcher l'étudiant, ce dernier semblait prêt à leur raconter ce qu'ils avaient envie d'entendre à présent mais, étrangement, sa main ne lui obéissait pas. Elle semblait raide et indifférente à ses tentatives pour l'ôter de l'épaule de Natsume. Tant pis, il ferait avec. Il n'eut pas trop le temps de s'y attarder davantage quand, reportant son attention sur leur interlocutrice qui demeurait muette depuis tout ce temps, il la vit s'élancer sur eux. Vu la direction qu'elle prit, il était clair qu'il était celui qui était visé. Parce qu'il semblait le moins dangereux des deux ? Cette supposition ne lui plu pas du tout et il voulut plus que jamais lâcher son étreinte pour montrer à cette femme qu'il ne fallait pas le sous-estimer. C'est alors qu'il se rendit compte que sa main n'était pas la seule à ne plus lui obéir, tout son corps était paralysé. Un froid latent se répandait dans ses membres, engourdissant ses muscles et une légère sensation de picotement l'envahit. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Pourquoi diable son corps refusait de bouger ? A ce rythme... Jilan vit l'inconnue se rapprocher rapidement de lui mais pas suffisamment pour lui ôter cette désagréable impression. La même que l'on pouvait ressentir lors d'un cauchemar où notre corps refusait de nous obéir quand le danger se rapprochait de nous. Cette garce... Avait-elle le don de figer les gens ? Il n'avait, certes, aucune preuve matérielle qu'elle ne fut pas humaine mais si elle possédait bien des pouvoirs, pourquoi ne pas s'en être servie plus tôt ? Il n'aurait pas dû la sous-estimer... Elle serait sur lui d'une seconde à une autre et ses intentions étaient tout sauf pacifiques.

La jeune femme n'eut pas le temps de mener à bien son attaque, au grand soulagement de Jilan. Sa partenaire, abandonnant momentanément leur proie, se jeta devant lui pour parer leur interlocutrice. Le Lightness la regarda faire, toujours incapable de faire le moindre mouvement. Depuis quand... ? Non, pourquoi Kyarra faisait-elle une chose pareille ? Il n'était pas un membre des Rebelles, tout juste un pion qu'elle aurait pu sacrifier alors... ? Toujours aux prises avec ses pensées -il pouvait difficilement faire autre chose-, le jeune professeur se fit brutalement repousser lors de l'action de la louve. Son dos heurta le mur derrière lui et ce douloureux contact avec la pierre froide lui fit reprendre ses esprits. La douleur se répandit le long de sa colone vertébrale, ramenant peu à peu les sensations que son corps, paralysé, paraissait avoir oublié. C'était malin ! Maintenant, il avait une dette envers la lycane. Et il devrait lui rendre la pareille d'une manière ou d'une autre... Chose qu'il redoutait car on parlait bien de Kyarra là. Elle pourrait exiger de lui n'importe quoi, par simple caprice. Il y repenserait plus tard. L'humain se dirigeait hors de la ruelle. Libéré de Kyarra grâce à l'attaque de l'inconnue, il allait leur échapper. Le Lightness faisait confiance à sa partenaire pour s'occuper de leur interlocutrice et il s'apprêta à se lancer à la poursuite de l'étudiant quand ce dernier arrêta sa course pour les regarder. L'imbécile. Il se préoccupait encore du sort de celle qui s'était jeté dans leurs pattes pour le sauver ? Elle était certainement la plus apte à leur échapper et pourtant, il restait là, à l'observer, terrifié. Il lâcha le nom de la jeune femme, ce qui permit à Jilan de mettre un nom sur ce visage au délicieux regard sanguin. Les yeux hétérochromes accrochèrent alors celui de Natsume et un sourire cruel apparut sur les lèvres du jeune professeur. Il s'inquiétait à ce point du sort de cette Maria ? Très bien, il lui ferait regretter de l'avoir impliqué dans ses problèmes. Le faire souffrire ? Culpabiliser ? Le Lightness adorait cela. S'arrachant aux iris rouges, il profita que Maria soit occupée à parer un nouveau coup de poing de sa partenaire pour la frapper au niveau des côtes, en écho au premier coup de la louve. Il sentit quelque chose craquer mais avant de se réjouir, il attendait de la voir cracher du sang.

« Tu croyais pouvoir t'en tirer comme ça, espèce de garce ? N'espère pas m'avoir une seconde fois avec ton pou-... »

Un rire glacial l'interrompit avant qu'il ne finisse sa phrase. Avant même de regarder celui qui avait poussé un son pareil, le jeune professeur perçut un changement dans l'atmosphère. Une aura ténébreuse était apparue et cela provenait de... Le sourire du Lightness se fit un peu moins confiant. Il avait vu juste, une nouvelle fois. La chose que dissimulait l'étudiant avait refait surface. Mais avait-elle seulement toute sa raison pour rire ainsi ? Il n'en était pas certain. Un coup d'oeil en direction de la louve lui confirma qu'elle aussi avait ressentit le changement dans l'air. Toute cette agressivité, cette envie de mort... S'il n'avait jamais senti la présence d'une entité maléfique dans le corps de Natsume, Jilan aurait songé à un schizophrène ou un malade avec de sérieux problèmes mentaux ou encore des troubles de la personnalité. Cette personne n'avait plus rien d'humain. Ses mots, son attitude, son regard... Il avait bien en face de lui, une Darkness, même réfugiée dans une enveloppe mortelle. Le temps stoppa un instant sa course sans fin, un court instant pendant lequel, les trois adversaires se tournèrent d'un même élan vers l'humain, ou ce qu'il en restait. Visiblement satisfait d'avoir concentré tous les regards sur lui, l'étudiant les dévisagea tour à tour, comme cherchant à comprendre la situation puis se dirigea droit sur le Lightness. Oui, il aurait pu s'enfuir. Mais à quoi cela aurait-il servi ? Il était ici dans le seul but de rencontrer cette entité et maintenant qu'elle se présentait à lui... Pour la première fois depuis longtemps, un sentiment semblable à la peur, fit son apparition dans l'esprit du jeune professeur. Il se savait désavantagé face à une telle créature. Même sa force, supérieure à celle d'un humain ordinaire, ne pourrait rien face à ce qui se trouvait devant lui. La louve l'avait sauvé une fois mais cela ne pourrait pas durer éternellement. Les Darkness et ceux de sa race étaient de perpétuels opposés. Et si il était décidé qu'elle s'en prenne à lui, afin de continuer leur lutte incessante ? En quelques mouvements, presque surnaturels comparés à ceux de Natsume auparavant, celui-ci se retrouva à proximité du Lightness. Lorsque la main de l'étudiant étudia son torse, Jilan eut un moment d'hésitation. Le comportement de cet humain ne faisait plus aucun doute, la Darkness en lui était bien une femme. Une de plus ? Dans cette mêlée, cela s'annonçait mal... D'une parce qu'il connaissait le caractère impulsif de Kyarra et de l'autre... Nul besoin de connaissances ou d'instinct pour savoir que plusieurs femmes autour d'un même homme, cela n'aboutissait à rien de bon en général. Et l'entité, à en juger par ses propos, semblait bien décidée à s'amuser avec lui, quitte à le tirer de cette ruelle sordide. C'était sans compter sur sa partenaire. Le jeune professeur connaissait peu la louve mais quelque chose lui disait qu'elle ne se laisserait pas mettre sur la touche aussi facilement.

«Putain ! Qu'est-ce que tu fou à rester planter là sur place ?! Toi la suceuse, barre toi avant que je te mette en pièce. Quant à toi, tu te crois p'tre tout permit sous prétexte que ... ? Quoi déjà ? »

En parlant du loup... Le Lightness regarda tour à tour l'étudiant et la lycane, oubliant un instant l'existence d'une troisième personne. Kyarra ne semblait ne pas avoir compris ce qui s'était produit lors de l'attaque de Maria. Ou alors elle faisait semblant de ne pas comprendre pour mieux lui reprocher son comportement. Dans les deux cas, elle était furieuse, un miracle qu'elle ne lui ait pas sauté à la gorge. Que pouvait-il lui dire ? Maintenant que l'entité était apparue, pourquoi ne pas reprendre leur entretien ? Sauf que les questions lui avaient échappé pour le coup... Jilan réfléchit à toute vitesse. Il devait trouver un moyen de calmer le jeu entre eux tous, quitte à utiliser sa partenaire ou la Darkness pour éliminer Maria, qui n'avait plus sa place dans la suite des événements. Ils n'avaient pas besoin d'un témoin gênant, même si ce qu'il avait perçu dans le coeur de la jeune femme ne lui déplaisait pas. Un bon élément... Dommage pour elle qu'elle se soit trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment... Et elle avait fait l'erreur de venir en aide à un humain, qui plus est, leur humain. Le Lightness la regretterait c'est vrai. Mais alors qu'il cherchait une solution, l'humeur de l'entité évoluait. Et pas de la meilleure manière qui soit...

Tiens donc ? L'homme semblait avoir perdu sa langue suite à son apparition. N'était-ce pourtant pas ce qu'il était venu chercher dans cette ruelle ? Un soupçon de peur se fit sentir dans le corps tendu du Lightness et Elisabeth esquissa un sourire mauvais. Avait-il conscience de la position qu'il occupait vis-à-vis d'elle ? Commençait-il à regretter sa périlleuse entreprise pour la rencontrer, elle ? Bien vite, la satisfaction laissa place à l'ennui. S'il ne se ressaisissait pas bien vite, elle changerait ses plans le concernant. Non pas qu'il soit déplaisant physiquement et mentalement mais la Darkness n'avait que faire des indécis. Si l'individu aux cheveux écarlates ne témoignait pas rapidement de ses convictions pour la convaincre de l'épargner alors s'en était fait de lui. Le supprimer de la dérangeait pas le moins du monde. Un être de lumière en moins, c'était un pas de plus vers la destruction de ce monde. Des paroles rageuses se firent soudain entendre dans la ruelle et l'entité tourna la tête dans la direction d'où elles provenaient. C'était l'une des deux femmes qui s'était exprimée et à en juger par sa façon de parler, c'était là son caractère habituel. Elisabeth la fit passer d'office en tête sur sa liste des personnes à éliminer dans cette ruelle. Elle l'agaçait rien qu'à la voix. Qu'est-ce qu'elle avait à hurler comme ça ? Se pourrait-il que... ?

L'entité n'eut pas le temps d'approfondir ses réflexions sur l'inconnue qu'elle perçut un mouvement dans sa direction. En une fraction de secondes, on la saisit au col pour la plaquer contre le mur, l'arrachant dans le même temps à l'homme sur qui elle avait jeté son dévolu. Cette fois-ci, c'était la dernière protagoniste, une seconde jeune femme. La Darkness soupira d'ennui. Elle l'avait négligée dès le départ, tant la violence qui l'animait semblait moindre comparé aux deux autres. Cependant, elle se rappelait de ce visage, cette expression à la fois furieuse et terrorisée, ses délicieux yeux sanguins... Elisabeth avait en face d'elle, la soeur de ce vampire qu'elle avait froidement assassiné. Quel magnifique concours de circonstances ! Il ne faisait aucune doute que la jeune femme devait nourrir une haine sans égale pour l'entité mais elle semblait complétement dépassée par les événements. Elle avait fait l'erreur de sympathiser avec l'humain dans lequel la Darkness s'était réfugiée, quoi de plus normal qu'elle se pose des questions sur son brutal changement de comportement ? D'autant que l'imbécile ne lui avait certainement rien dit de ce qu'il endurait et à juste titre... Un air faussement accablé et triste apparut sur le visage de l'étudiant, qui fixait toujours la vampire droit dans les yeux. Elle la dévisagea un instant avant de baisser le regard vers le sol, comme sincèrement désolée pour la situation dans laquelle se trouvait Maria.

« Pauvre petite fille... Tu ne comprend pas ce qui se passe pas vrai... ? » murmura t-elle d'une petite voix, où le timbre sonnait faux, afin que seule son interlocutrice puisse l'entendre.

Un rictus malsain s'étira sur les lèvres du garçon alors que son visage était toujours orienté vers le bas. Puis un rire monta du fond de sa gorge, le même qui l'avait secoué plus tôt lorsqu'elle était apparue. Un son glacial, vidé de toute chaleur humaine. L'étudiant releva brutalement la tête et fixa Maria avec un regard rempli d'une joie mauvaise. Ce qu'elle se délectait de l'incompréhension de la jeune femme ! Mais le meilleur restait à venir...

« Natsume ? Natsume ? Qui appelle tu par ce nom ? » reprit-elle plus fort cette fois.

Emergant des ténèbres, la conscience du garçon eut un sursaut. Qui l'appelait... ? Qui essayait encore de le tirer de cet océan obscurci par la propre conscience de l'entité ? Tâchant de reprendre contenance, il regarda vaguement par ce qui fut ses yeux pour y découvrir le visage déconfit de Maria. Non... Elle ne devait pas rester là... Elle ne devait pas voir cette partie de lui, à la fois étrangère et intégrée à son esprit. Même en ayant constaté la différence de comportements, la vampire essayait toujours de comprendre. De le rappeler ? L'étudiant n'en savait rien. L'unique chose dont il pouvait être certain, c'est qu'elle lui faisait mal. Plus que tout autre chose, il ne voulait pas voir les expressions de ces personnes à qui il tenait, pour une raison ou une autre. Il savait qu'Elisabeth lui ferait du mal, l'entité prenait un malin plaisir à détruire ce qui lui était cher. Il devait... l'en empêcher... Natsume tenta de faire un mouvement, même infime mais son corps entier était paralysé par les liens que la Darkness avait tissé autour de lui. Sa conscience avait remporté la bataille, il ne pourrait pas s'en libérer aussi facilement à présent. C'était lorsqu'il se retrouvait dans cette situation qu'il ressentait ce qu'Elisabeth endurait le reste du temps. Emprisonnée. Incapable de fuir ou de mourir. N'étaient-ils pas deux victimes dans cette histoire ? Non, s'il se mettait à réfléchir de cette façon, l'entité finirait par le dominer complétement. Il devait lutter.

La pression des liens sur son corps s'intensifia, le contraignant au silence. Elisabeth en avait suffisamment entendu pour ne plus supporter ses gémissements interminables. L'humain s'était entiché de la vampire ? Comme c'était touchant ! Dommage que leur petite idylle prenait fin dans une ruelle sordide. Elle aurait certainement mérité mieux comme fin. Mettant fin à cet interlude privé, elle revint bien vite au monde réel, toisant la jeune femme avec mépris. En d'autres circonstances, elle se serait occupée d'elle avec plaisir afin de lui apprendre une nouvelle fois qu'elle ne pouvait rien contre la Darkness. Avec sa seule haine pour arme, la défaite de Maria était inéluctable. Mais elle avait d'autres invités ce soir, la vampire pouvait bien patienter un peu non ? La présence de cette dernière commença alors à insupporter l'entité. Pour qui se prenait-elle à l'attraper de cette manière ? Elisabeth doutait que la jeune femme la laisse tranquillement vaquer à ses occupations en attendant son tour patiemment. En même temps, ce n'était pas tellement la manière de faire de la Darkness... Son rictus ne quittant pas ses lèvres, elle frappa violemment la vampire au visage, l'envoyant s'écraser contre le mur opposé. Satisfaite de la force qu'elle avait pu mettre dans ce coup, l'entité la regarda retomber sur le sol, plus sonnée que choquée par cette attaque imprévue. Elle semblait être momentanément hors course pour la suite des événements, parfait, cela lui laissait le temps de régler le cas des deux autres.

« Petite sotte ! Tu n'apprendras donc jamais ? Tu ne peux rien contre moi, tu ne sais que foncer tête baissée, sans réfléchir. » lui cracha t-elle avec joie.

Se détachant du mur contre lequel elle avait été plaquée de force, l'entité fit quelques pas dans la ruelle, tournant le dos au corps de la vampire. Elle n'était plus une menace pour elle, du moins, pas pour le moment. Son attention se concentra alors sur les deux personnes restantes. Qu'allait-elle pouvoir faire d'eux ? Ils avaient chercher à la faire ressurgir mais dans quel but ? Elle devrait se montrer méfiante. Le prétendu Lightness n'était pas une menace en soi mais il restait l'autre. Elle avait beau réfléchir, ni l'un, ni l'autre ne lui rappelait quelqu'un. Elisabeth fouilla un peu dans les souvenirs de l'étudiant. Cet imbécile les avait brièvement rencontré alors qu'il leur livrait une pizza. Un sourire amusé flotta sur ses lèvres. A en juger par la tenue de la jeune femme lorsqu'elle avait ouvert la porte, serait-il possible qu'ils soient amants ? Elle pourrait jouer sur ça. Cela promettait d'être amusant !

« Je peux savoir ce que vous me voulez ? Et toi la petite teigne, met la en veilleuse tu veux ? Ou je te briserai chacun de tes os avant de me taper ton mec sous tes yeux. » déclara t-elle en désignant l'homme d'un vague geste de la main.

Depuis que l'entité s'était jointe à eux par la force des choses, ni le Lightness, ni sa partenaire ne faisait plus attention à la jeune femme au regard sanglant. Maria, puisque c'était son nom, était totalement passée à la trappe malgré l'offensive qu'elle avait tenté contre les deux complices, afin de sauver l'étudiant. A elle seule, la Darkness captivait le regard des trois protagonistes. Et comme le hasard fait parfois bien les choses, ce fut la vampire qui réagit la première en s'en prenant à Natsume, délivrant Jilan de sa présence par la même occasion. Le jeune professeur l'observa faire sans rien dire, encore indécis sur la marche à suivre. L'étrange sensation qu'avait procuré la main de l'humain sur son torse s'effaçait peu à peu. Il reprenait contenance, difficilement mais progressivement. Ce n'était pas le moment de perdre ses moyens. Il devait faire face à cette chose, sinon la présence de Kyarra dans les parages lui vaudrait des ennuis par la suite. Jilan ne doutait pas que cette dernière gardait en mémoire ce qui venait de se passer et l'observait certainement du coin de l'oeil, jugeant ses aptitudes à intégrer l'organisation. Le Lightness suivit l'échange entre la dénommée Maria et le garçon possédé avec intérêt. Ils se connaissaient bien, peut-être plus qu'il ne l'avait cru au départ. La jeune femme paraissait avoir déjà rencontré l'entité auparavant et la découvrir dans le corps de cet humain l'avait déstabilisé. Suffisamment pour que la Darkness se rit d'elle avant de la propulser contre le mur opposé. Jilan nota la force de cette dernière. Même enfermée dans le corps d'un étudiant, au physique plus que banal, elle n'en restait pas moins une menace pour lui et la louve. Ils ne devaient pas la sous-estimer. Jamais cette idée ne viendrait à l'esprit du Lightness, trop conscient de ce que l'entité avait commis par le passé. Il avait pu constater de ces yeux, les vestiges de la forêt. Plus rien ne vivait là-bas, ce n'était même pas certain que ses pouvoirs de guérison pourraient y changer quoique ce soit. Tellement de haine s'était déversée sur ses bois et toute cette colère provenait de la personne en face d'eux. Jilan espérait simplement que la lycane ne commettrait pas cette erreur. Elle était la mieux placée pour affronter la Darkness en combat singulier, il ne fallait pas qu'elle fasse de faux pas qui pourrait lui coûter la vie. Auquel cas, il devrait tirer sa référence car il n'avait aucune certitude de sortir vivant d'un affrontement direct avec cette chose. Mais s'il commençait à penser de cette manière, la Darkness lirait en lui comme dans un livre ouvert. Elle devait sûrement déjà se régaler de la peur qui s'insinuait en lui.

Au son du corps de la jeune femme percutant le mur de la ruelle, le Lightness devina qu'elle ne serait pas une menace pour eux avant un petit moment. Etait-ce l'ocassion qu'il attendait pour discuter en tête-à-tête avec l'entité ? Jilan pensait, qu'après s'être occupée -efficacement- de la gêneuse, la Darkness reviendrait vers lui pour achever ce qu'elle avait commencé. Mais étrangement, elle préféra s'adresser à eux deux. C'était normal qu'elle cherche à comprendre ce que les deux complices lui voulaient -n'importe qui en aurait fait de même- sauf que le Lightness aurait cru qu'elle agisse plus à l'instinct qu'à la logique. C'est ce qu'il avait perçu chez elle, l'espace d'un bref instant où leurs corps se frôlaient. Cette femme était du même acabit que lui, elle désirait posséder et détruire. A en juger par ses récentes actions, elle prenait plus de libertés que lui n'en faisait lors de ses interventions. Parce qu'elle se savait supérieure à lui ? Peut-être. Si elle était véritablement folle et dénuée de toute prudence, elle n'aurait pas cherché à connaitre les intentions du jeune professeur et de sa partenaire. Peut-être même qu'elle les aurait attaqué sans crier gare. Cela ressemblait bien à ce qu'il sentait comme impulsions chez l'entité. Cependant, elle ne semblait pas totalement dépourvue de jugeotte et c'était un bon point pour eux. Au moins, le dialogue était établi. Un frisson parcourut le corps du Lightness quand elle eut fini de parler. Il était presque certain que la louve exploserait à l'écoute de propos pareils. C'était comme exiger d'un enfant qu'il ne fasse pas de bétise quand on le laissait sans surveillance un peu trop longtemps. Kyarra n'était pas le genre de personne à qui on dictait ce qu'elle devait faire et si la Darkness cherchait à la provoquer dans un affrontement direct, elle s'y prenait à merveille ! Jilan avait jeté plusieurs brefs regards en direction de sa partenaire auparavant, pour éventuellement trouver des éléments de réponse sur le comportement à adopter désormais envers l'étudiant. Mais alors qu'il se retournait une ultime fois vers elle, pour l'empêcher de se jeter sur le garçon afin de l'étriper, la louve le surprit par son éclat de rire. Incrédule, le Lightness la dévisagea. Qu'est-ce qui se passait au juste ? Elle pétait les plombs ? Le calme avant la tempête ?? Non, rien de tout cela. La lycane partait juste d'un bon rire franc comme Jilan n'en avait pas entendu depuis une éternité. Fallait-il qu'on la menace pour qu'elle prenne son pied ? C'était à ne rien y comprendre... Ah les femmes... Minute ! La Darkness avait bien fait une allusion là ? Qu'est-ce qui lui faisait croire que Kyarra et lui étaient amants ? Etait-ce cela qui amusait tant sa partenaire ? Le jeune professeur avait la nette impression que les deux femmes l'engageaient au milieu de leur rixe, comme on exhibe un trophée aux concurrents avant le départ, pour mieux les motiver. Pire, la louve riait de lui à présent. Il soupira de dépit, soupir que nul ne perçut dans l'éclat de rire de Kyarra.

« Il ne faut pas crier victoire trop vite, vous savez. Et vous ne devez pas être si dangereuse que ça, enfermée dans le corps d'un pauvre humain. Et puis, je ne peux pas me permettre de vous laisser celui-là entre vos mains. Il m'est trop utile. »

La dernière phrase de la louve fit arquer un sourcil au Lightness. Utile ? Avait-elle oublié tout ce qui venait de se passer pour qu'elle le qualifie ainsi ? Pour le coup, cela ne lui faisait plaisir qu'à moitié. Certes, il savait user de ses pouvoirs avec efficacité le jour mais la nuit... Comparé à sa partenaire, il ne valait plus grand chose, si l'on excluait la patience et la faculté de mener à bien un dialogue. Par bien, cela sous-entendait, sans qu'il finisse en bain de sang. Mais il garda tout de même à l'esprit -si toutefois la lycane était sérieuse à ce sujet- qu'il avait un tant soit peu d'importance à ses yeux, même si cela passait uniquement dans l'intérêt que procuraient ses pouvoirs. Hormis cela, il devait reconnaitre que les paroles de Kyarra étaient pertinentes. Il avait souhaité rencontrer la Darkness pour se faire une idée de sa puissance et mesure l'intérêt qu'elle pourrait apporter dans la réalisation de ses idéaux -et optionnellement- servir les buts de l'organisation. Certes, elle paraissait sûre d'elle, sa force physique était conséquente mais qu'en était-il de ses pouvoirs ? Les avait-elle conservé pendant tout ce temps passé dans le corps d'un autre ? Est-ce que cette enveloppe corporelle supporterait les pouvoirs et contre-coups de chaque attaque ? Rien n'était sûr. Même si l'entité décidait de les rejoindre, Jilan n'avait pas envie de s'encombrer de faibles. Ils n'étaient bons qu'à leur attirer des problèmes. Et il supposait que sa partenaire pensait la même chose, étant déjà membre des Rebelles. De plus, un autre problème se présentait à eux. Qu'il découvre que l'entité était puissante -peu probable- et conciliante à les suivre -encore moins probable-, comment s'assurer qu'elle maintienne le contrôle sur l'esprit de Natsume ? C'était grâce à leurs efforts combinés qu'ils avaient réussi à la faire ressurgir mais qu'étaient les conditions pour qu'elle se manifeste ? Au final, le Lightness se rendait compte que de nombreuses interrogations se présentaient à lui. Bien trop pour qu'il se projette dans une optique future de collaboration. Constatant que Kyarra ne répondait pas à la question de la Darkness, il jugea bon d'intervenir.

« Nous avons découvert qu'une Darkness se cachait dans le corps d'un humain et nous voulions simplement la rencontrer, afin de savoir si cette dernière accepterait de servir nos intérêts. Ne vous trompez pas. Nos intentions sont loin d'être... honorables... »

L'intonation de sa voix avait légèrement changée de manière sarcastique, pour faire savoir à l'entité qu'ils n'agissaient pas au nom du Cercle ou d'autres organisations qui cherchaient à maintenir la paix. Peut-être qu'il était inutile de le préciser, que la Darkness avait déjà senti les sombres pulsions qui les animaient tous les deux mais Jilan ne voulait prendre aucun risque. Il se rendit soudain compte qu'il avait parlé en leur nom et quasiment celui des Rebelles, alors que lui-même n'en faisait pas officiellement parti. Comment la louve allait-elle le prendre ? Mal ? Il y avait de fortes chances. Mais c'était pourtant la réponse la plus évidente que le Lightness puisse fournir à l'entité. Ils étaient là pour ses pouvoirs, son unique intérêt. D'autant qu'à bien y réfléchir, sa partenaire n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour cette chose. Elle n'avait fait que suivre les directives de Jilan, sans réellement se positionner sur la question. Qu'en pensait-elle vraiment ? Il aurait bien voulu le savoir à ce moment précis... Plus le temps passait, moins le jeune professeur avait le sentiment qu'il pourrait tirer quelque chose de cette entrevue. Le sentiment d'être acculé ne l'aidait en rien. Finalement, peut-être pour se rattraper d'avoir parlé au nom d'un tiers, il ajouta, en ayant conscience que cela pouvait précipiter sa fin:

« Mais je dois admettre que les remarques de ma partenaire sont pertinentes. Etes-vous aussi dangereuse qu'on le prétend ? Cela reste à voir. Nous n'avons encore rien vu de vos capacités, si ce n'est votre impulsivité naturelle... Je pense que vous pouvez comprendre que les faibles ne nous intéressent pas. »

Pour la première depuis qu'ils mettaient tout en oeuvre pour la faire ressurgir chez l'étudiant, les deux complices semblaient hésiter sur la marche à suivre concernant la Darkness. Cette dernière pouvait ressentir leurs doutes, presque aussi prononcés dans leurs coeurs respectifs que ne l'étaient leurs envies de meurtre. Ils se concertèrent vaguement du regard, sans ajouter un mot pendant de longues minutes. La femme fut la première à parler. Les menaces de l'entité l'avaient plus amusée qu'autre chose puisqu'un franc éclat de rire précéda ses propos. L'entité ne comprit pas immédiatement la raison d'une telle euphorie mais lorsque son interlocutrice lui fit comprendre qu'elle la prenait pas au sérieux, le même sourire malsain vint s'installer sur les lèvres d'Elisabeth. Elle avait horreur qu'on la sous-estime. Cette femme venait de signer son arrêt de mort, ni plus ni moins. La Darkness était peut-être bien enfermée dans le corps d'un humain mais il lui restait encore assez de puissance pour coller une rousse à cette imbécile. Mais avant de lui régler son compte, elle patienta de nouveau, guettant le moindre indice à propos de sa première question. Son interlocutrice la prenait de haut mais en attendant, elle n'avait rien de plus à lui apprendre. Jugeant que l'attente avait suffisamment duré -il lui tardait de s'occuper de choses plus intéressantes-, Elisabeth soupira de lassitude et s'apprêta à tordre le cou à la jeune femme quand l'homme aux cheveux écarlates prit à son tour la parole. La Darkness dirigea son regard rubis droit sur lui, le lâchant plus des yeux, transperçant son enveloppe charnelle pour lire en lui. Il s'était repris. Elle ne savait pas comment, ni de quoi il s'était persuadé pour contrôler la crainte qu'elle avait fait naitre en lui mais il dévoilait enfin sa véritable nature. Celle d'une tueur froid et sans pitié. Pour un Lightness, c'était surprenant. Jouait-il double jeu ? Ou bien l'aura qu'elle avait perçu sur lui, n'était pas le sienne ? Difficile à croire, Elisabeth était certaine qu'il s'agissait de la même chose qui émanait d'Alissa. Elle nota qu'elle devrait s'assurer, prochainement dirons-nous, que l'individu était bel et bien un être de lumière. Car avec un mental comme le sien, il ne pouvait qu'être intéressant à appréhender. Et bel homme avec ça ! Cependant, elle déchanta rapidement. L'homme était, de toutes évidences, aussi imbu de lui-même que ne l'était la petite teigne. Lui non plus ne la croyait pas quand elle les menaçait ? Il venait de perdre une sacrée occasion de s'en faire une alliée. En soi, ses mots étaient justes. A en juger par leurs actions, ils faisaient probablement partis de cette organisation dont le seul but était la destruction du Cercle, ainsi que de répandre le chaos au passage. Ils désiraient la recruter et cherchaient à présent, à la tester pour s'assurer de sa fiabilité sur tous les domaines. Avait-il peur qu'elle leur fasse faux bond ? Qu'elle les trahisse ? Elisabeth en vint à s'interroger si, tous les deux, étaient véritablement au courant des faits passés. De ce dont elle était à l'origine. Les Trois Jours Sombres. Le sang, la mort et la désolation. Etaient-ils stupides au point de ne pas considérer quel genre de créature démoniaque elle était ?

Sitôt que l'homme eut fini de parler, l'entité ne répondit pas immédiatement. Elle les sentait tendus, tous les deux et à plus forte raison. Ils venaient tout bonnement de l'inciter à leur démontrer sa force, non contents de la provoquer au passage. En d'autres circonstances, elle aurait pu partager une nuit en leur compagnie, à tuer pour le plaisir. Même si au fond d'elle-même, elle n'avait aucune envie de faire équipe avec qui que ce soit, ce n'était pas déplaisant de répandre le sang à plusieurs quand l'occassion se présentait. Mais ils en avaient trop dit, chacun leur tour. Elle ne songea même plus à les épargner. Aussi délicieux étaient-ils, la Darkness eut soudain envie de les faire souffrir. Qu'ils apprennent où étaient leur place vis-à-vis d'elle. Finalement, qu'ils l'aient provoqué n'était pas une si mauvaise chose. Cela lui permettrait de souiller les mains de Natsume une fois de plus et elle avait hâte de pouvoir bouger librement. Toutes les conditions étaient réunies pour qu'elle puise directement dans ses propres pouvoirs. Sans que ses interlocuteurs ne le sachent, Elisabeth avait plus d'un tour dans son sac. Et comme ils paraissaient tout ignorer d'elle, cela jouait en sa faveur. Elle détendit chacun de ses muscles, toujours muette. Elle avait décidé de s'occuper en premier de l'homme, pour avoir insinué à plusieurs reprises qu'elle n'était pas aussi puissante que sa réputation le laissait croire. Ou peut-être parce qu'elle le soupçonnait d'être un Lightness, son parfait opposé ? Qui sait ? Usant sans peine de l'obscurité régnant dans la ruelle, elle se rapprocha à une vitesse fulgurante de l'individu aux cheveux écarlates, sans même lui laisser le temps de parer son attaque.Du moins, pas la seconde. Elle feinta avec un coup de poing vers le torse de son adversaire, qu'il para puis, en une fraction de secondes, elle le projeta violemment contre le mur d'un seul coup de pied dans l'estomac et le bruit du choc résonna à ses oreilles. Visiblement, l'impact n'avait pas été sans conséquences pour le corps de son adversaire mais la Darkness n'allait pas s'arrêter là. Avant même que les pieds de l'homme touchent le sol, elle l'agrippait à la gorge, d'une seule main et le suspendait, prenant appui contre le mur pour le maintenir en l'air. Sa prise se resserrait de secondes en secondes, bloquant l'air dans la trachée du malheureux. Il était toujours sonné par sa rencontre brutale avec le mur et s'il ne se défendait pas très vite... Mais comme l'entité l'avait prévu, sa partenaire ne resta pas les bras croisés à le regarder se faire tuer. Ne l'avait-elle pas dit plus tôt ? Qu'elle ne la laisserait pas s'amuser avec son complice ? Ignorait-elle qu'un Lightness, aussi fort soit-il, était loin d'être utile dès lors que les derniers rayons du soleil disparaissaient ? Franchement... Etre ignorant à ce point dépassait l'entendement. La jeune femme aurait mieux fait de le laisser mourir ici mais après tout, les êtres de lumière étaient une race peu répandue dans l'Avventura. Peut-être que c'était de là qu'il tirait son utilité...

Sentant un mouvement derrière elle, Elisabeth réagit aussitôt. Cela faisait un moment qu'il lui tardait d'essayer cette capacité. La première fois que l'envie lui avait pris, c'était dans les bois lorsqu'elle avait eu à affronter plusieurs gêneurs à la fois. Elle jetta un rapide regard en direction de la jeune femme. Cette dernière la visait droit dans les côtes, probablement pour lui en briser quelques unes avant de lui faire lâcher son complice et de l'immobiliser enfin. Mais si le coup de poing était dirigé avec précision, il n'atteint, en revanche, jamais son but. A la place des côtes sans protection de l'entité, il rencontra une surface dure, celle de l'armure que possédait la Darkness. Elle pouvait utiliser cette faculté de son vivant et apparament, même sous cette forme, elle le pouvait encore ! Le métal recouvrit la totalité de son côté, afin de rendre invulnérable cette zone. Les jointures de son adversaire rencontrèrent violemment la protection imprévue que lui opposa Elisabeth et cette dernière sentit bien quelque chose craquer mais cela ne provenait pas de ses côtes, plutôt de la main de la jeune femme. Sans lui laisser le temps de reprendre contenance, Elisabeth tira profit de sa surprise pour recouvrir d'autres parties de son corps, jugeant l'affrontement entre les deux femmes, inévitable. Relâchant brusquement sa prise, elle fit face à la jeune femme, sans tenir compte de sa première cible, désormais hors course pendant quelques minutes. Toisant sa nouvelle adversaire de son regard sanglant, rempli de haine, un rictus étira les lèvres de l'étudiant. Avec son armure comme protection, elle serait encore plus difficile à vaincre. Sauf qu'elle n'avait pas prévu ce qui allait suivre. En temps normal, elle aurait pu maintenir l'armure pendant un certain moment, juste le temps qu'il lui fallait pour mettre KO la jeune femme en face d'elle. Mais puiser dans ses pouvoirs de Darkness, affaiblissait du même coup, son influence sur le garçon qu'elle possédait. Cela faisait à peine quelques minutes qu'elle avait généré sa protection et déjà, elle sentait les contre-coups. Elle pesta. L'étudiant était trop faible pour résister aux pouvoirs de l'entité. Son corps ne le supporterait pas longtemps et Elisabeth sentait sa propre conscience reprendre lentement mais sûrement, le dessus sur elle. Mais à présent qu'elle s'en était pris aux deux complices, ce n'était plus qu'une question de temps pour égorge Natsume. Le pauvre... Il ne ferait pas long feu contre eux. Et s'il mourrait... Elle pourrait réapparaitre, pour de bon ! C'est donc, sans grands regrets mais avec une pointe d'amertume quand même, qu'elle abandonna son éphémère protection, ainsi que le contrôle du corps du garçon.


Lorsque le jeune homme reprit connaissance, il se trouvait à quatre pattes dans cette même ruelle. Rapidement, il redressa la tête pour constater l'étendue des dégâts et se remettre debout. Manque de pot pour lui, un coup de pied l'arrêta dans son entreprise et l'envoya rouler plusieurs mètres plus loin. La violence du coup lui coupa la respiration et lui remit de l'ordre dans les idées. Son ventre et sa machoire lui étaient douloureux et il sentait quelque chose ruisseler le long de sa bouche. En passant sa langue dans sur ses lèvres, le goût métallique du sang lui arracha un sursaut. Maria... Les deux autres... Il les avait attaqué, il s'en souvenait maintenant. Que leur avait-il fait au juste ? Ses yeux repérèrent brièvement l'homme aux cheveux écarlates, plus loin dans la ruelle. Il semblait mal en point, là, à se tenir les côtes. Et la vampire ? Où était-elle ? Il ne voyait pas, sa terreur l'empêchant de tourner la tête. S'il l'avait fait, il l'aurait vue, étendue sur le sol non loin de lui. Terrorisé, il vit l'inconnue lui jeter un regard lourd de sens, une expression haineuse sur le visage. Elle s'avança de quelques pas vers lui. Elle allait le tuer. Il en était certain. Après ce qu'il venait de faire, son existence s'achevait ici.

Quelque chose avait changé dans l'air quand le Lightness eut fini de parler. L'atmosphère s'était chargée et la tension était palpable. Il semblait que l'affrontement était inévitable à présent. Une telle animosité se dégageait de l'étudiant que le jeune professeur se demanda s'il avait bien fait de provoquer la chose qui l'habitait en fin de compte. Non pas qu'il regrettait ses propos mais était-il en mesure de se battre contre l'entité maléfique ? Lui, comme elle, savait lequel des deux avait l'avantage sur l'autre en ce moment précis. Jilan ne pouvait supporter de perdre une nouvelle fois la face devant la louve. Cela ne lui ressemblait pas de douter de lui à ce point. Est-ce que la Darkness était à l'origine de la peur qui s'insinuait lentement en lui, malgré ses efforts pour la contrôler ? Il savait, d'après ses recherches personnelles, que ces créatures se nourrissaient de la terreur qu'elles inspiraient à leurs victimes, pas qu'elles invitaient la crainte dans le coeur d'autrui, si ? Il devait se reprendre, il avait parlé avec confiance, ce n'était pas pour rien. Si jamais l'entité décelait la moindre hésitation dans son coeur, il perdait la partie. N'osant plus quitter des yeux le garçon, il se concentra pour repérer le moindre de ses mouvements quand soudain ce dernier se rua sur lui. Bien trop vite à son goût. Le jeune albinos se déplaçait rapidement, sans doute grâce à la puissance de la Darkness en lui. Sauf que Jilan était préparé. Il bloqua facilement le poing qu'il lança en direction de son visage. Etait-ce tout ? Même pas un peu plus de force ? Etait-ce là, l'être qu'il redoutait de combattre ? Cependant, il n'eut pas le temps d'apprécier cette victoire momentanée. L'entité pivota sur elle-même pour envoyer son genou dans l'estomac du Lightness, avec toute sa force cette fois-ci, le projetant contre le mur derrière lui. La violence du choc lui coupa le souffle. La douleur dans son ventre se communiqua au reste de son corps. Sans même lui laisser le temps de reprendre ses esprits, il sentit une brutale pression autour de sa gorge tandis que le garçon le saisissait d'une main, bloquant sa respiration, déjà perturbée par sa douloureuse rencontre avec la surface rigide et froide du mur. Encore sonné par cette attaque, Jilan chercha les yeux de son adversaire. Plus aucune trace d'humanité ne subsistait dans les délicieux iris couleur sang et un rictus s'étirait sur les lèvres de l'étudiant. Cette chose le fascinait autant qu'elle l'impressionnait. Tant de haine émanait de ce regard rubis, plus qu'il n'en avait rencontré en ces trois siècle d'errance parmi les mortels. Allait-elle le tuer ? Pour l'avoir provoqué en la rabaissant au rang de faible ? Ou bien pour lui faire regretter sa décision de la rencontrer ? Peut-être un mélange des deux.

La prise se resserrait sur sa trachée et l'air commençait à se raréfier. Mourir étranglé ? Certainement pas la mort dont on pouvait rêver n'est-ce pas ? Mais que pouvait-il faire ? Dans les conditions actuelles, sa force faisait pâle figure comparée à celle de l'entité. Accepter son sort ? Il était sur le point d'y songer quand la pression cessa soudain. Kyarra venait de passer à l'action, ne souhaitant probablement pas être mise sur la touche une nouvelle fois. Le jeune professeur ne préféra même pas imaginer ce qu'elle pourrait lui balancer dans la figure une fois qu'elle aurait réglé ses comptes avec la Darkness. Il en prendrait pour son grade... A supposer qu'il en ait eu un à ses yeux. La louve se précipita sur l'étudiant, visant ses côtes sans protection. Mais à la surprise générale, une grimace de douleur apparut sur les lèvres de la prédatrice. Jilan ne comprenait pas. La faiblesse principale de l'entité était encore le fait qu'elle réside dans le corps d'un humain aussi faible que l'était Natsume. Les coups de la louve auraient dû faire mouche et le garçon aurait fini par cracher du sang. D'autant que son attaque provenait de l'angle mort de la Darkness, elle n'avait pas eu le temps de se déplacer suffisamment vite pour parer quoique ce soit. Alors comment... ? Un éclat lumineux l'arrêta dans le fil de ses pensées. Quelque chose de luisant venait de recouvrir le côté droit de l'étudiant, reflétant sans peine, les quelques rayons de l'astre lunaire. Une armure ? C'était du délire complet ? D'où sortait-elle un truc pareil ? Etait-ce l'un de ses pouvoirs ? Et comment était-elle capable de l'utiliser alors qu'elle se trouvait encore dans le corps du garçon ? Le Lightness n'était pas au bout de ses surprises quand la suite de l'armure vint recouvrir le reste du corps de l'étudiant. La Darkness ne lui accordait désormais plus la moindre attention et s'était faisait face à la lycane. La situation ne tournait plus à leur avantage, cette chose était capable de les tuer tous les deux et Jilan commençait à redouter le pire. Mais alors que Kyarra se jetait de nouveau sur son adversaire, ce dernier eut un comportement étrange. Le coup de la louve l'atteignit dans le ventre et il vola à l'autre bout de la ruelle, comme un pantin. L'armure quant à elle, s'était dématérialisée aussi rapidement qu'elle était apparue. C'était à ne rien y comprendre... Ou bien... ? Le jeune professeur se remit debout péniblement et entendit le garçon prononcer quelques mots à toute vitesse. Jilan avait deviné juste: l'entité avait brusquement quitté le corps de son hôte mais pour quelles raisons ? Avait-elle un temps d'apparition, déterminé par une sorte d'horloge interne ? Ou bien l'utilisation de l'armure avait-elle puisé trop loin dans ses forces pour qu'elle conserve sa maitrise sur l'humain ? Il penchait plutôt pour la seconde hypothèse, d'autant qu'il imaginait mal Natsume être capable de reprendre le contrôle de son propre corps contre la Darkness. Il était bien trop faible pour cela, tout juste bon à servir les intérêts personnels de la chose enfouie en lui.

En parlant d'intérêts... Le Lightness avait parlé au nom des Rebelles quand il s'était adressé à l'entité. Mais compte tenu de ce qui venait de se produire... Oui, elle était puissante mais certainement pas fiable. D'une, parce qu'elle presque aussi impulsive que Kyarra et semblait vouloir faire bande à part. Ensuite, il était difficile, voir impossible, de contrôler ses apparitions et disparitions. Quant à l'étudiant, il n'était même pas la peine de songer à s'en faire un allié potentiel. Jamais il n'accepterait de rejoindre leurs rangs, afin de mettre cette chose à leur disposition. C'était dommage mais il fallait faire une croix dessus. Kyarra semblait avoir décidé de prendre les choses en main. Jilan la regarda de diriger vers le garçon, une pointe de regret dans le coeur. Si seulement il pouvait utiliser le pouvoir de son orbe, il aurait aimé extirper la dernière lueur de vie dans les yeux couleur sang du jeune homme mais il savait que la lycane préférait étriper ses victimes vivantes. Et compte tenu de la part qu'il avait joué dans les événements de cette nuit, il pouvait laisser tomber l'idée qu'elle lui en laisse une part. Sa fascination pour le sang s'arrêtait là. Tandis qu'il l'observait, le Lightness se demanda s'il pouvait commencer à soigner ses blessures, même superficielles en contemplant le spectacle que sa partenaire lui offrirait ou au contraire, attendre qu'elle en finisse pour lui proposer un autre aspect de ses pouvoirs, tenu secret jusqu'à présent. C'est alors qu'il perçut un mouvement sur sa gauche. L'inconnue ? Elle gisait toujours à terre mais Jilan était certain de l'avoir vu remuer.