| par Invité Mer 27 Avr - 9:13
| Elles étaient en quelque sort le jour et la nuit. Une à son aise, avachie sur son fauteuil, perdue par moment dans ses pensées, ou souvenirs peut-être, l’autre droite et maniérée, qui paraissait être au mauvais endroit au mauvais moment. Une femme à la chevelure sombre, l’autre à la chevelure de cet étrange bleu-acier, aussi clair que ses yeux. Malgré toutes ces différences et même en prenant en compte le fait qu’elles étaient de parfaites inconnues, Ilyàna était intriguée par cette femme qui l’avait invitée à pénétrer dans ce lieu qui était son univers. La chose qu’elles avaient en commun était leur capacité d’observation. Elles ne se jaugeaient pas du regard, telles deux rivales ou deux boxeurs sur un ring, elles se contentaient de noter les habitudes, les allures. Elle appréciait ses manières honnêtes et non voilées, les inconnus ne s’offraient pas ainsi généralement. Ils se retenaient, la timidité prenait parfois le dessus, mais là c’était de la franchise, de l’honnêteté et de la fierté aussi. Rien d’arrogant pourtant, rien de méchant, mesquin ou provocateur. Elle voyait en cette femme une source sûre, une indicatrice à qui elle pouvait faire confiance quant à ses dires, et cela lui plaisait. Elle n’avait pas besoin de trier ce qui était bon ou à jeter, comme elle aurait peut-être eu à le faire si elle avait été accostée par un des bourrus qui occupaient les tables juste à portée de voix du bar. La conversation suivait son rythme, calmement et Ilyàna ponctuait de légers mouvements de tête affirmatifs pour appuyer les dires d’Amarra, l’hybride comprenait ce qu’elle lui disait et le lui indiquait. Elle avait toujours sa boisson en main et la sentait déjà refroidir. Elle se retenait de fixer ce sang, la consistance étant proche de la réalité, la couleur aussi, mais c’était tout de même bien factice. L’Oubliée gardait son regard rivé sur celui de son interlocutrice, et buvait de temps à autre de petites gorgées. Au fur et à mesure elle s’habitua au goût âpre de la boisson. Elle aimait vraiment le groupe sanguin qu’elle avait commandé, peut-être qu’elle devrait se contenter d’un simple A la prochaine fois. Malgré ses légers écarts de pensée, elle suivait néanmoins ce qu’il lui était dit.
« … des conditions des créatures non-humaines ainsi que des quelques lois qui maintiennent cet équilibre entre humains et créatures mythiques. » « Ces fameuses lois ont été décrétées par un groupe appelé le Cercle m’a-t-on dit. Mais qui sont-ils ? Où les trouve-t-on ? Et surtout… qui sont-ils vraiment ? »
Elle lui avait proposé son aide, elle ne cachait pas le fait qu’elle était habituée du bar, mais aussi de la ville et donc des habitudes des habitants. Elle était la personne dont elle avait besoin et en plus elle ne la tentait pas plus que ça. Cette odeur l’apaisait en quelque sorte. Vous lui auriez dit cela un jour plus tôt elle vous aurez craché au visage, mais cette odeur paternelle était la seule chose qu’elle reconnaissait dans cet environnement étranger. Elle arrivait maintenant à faire abstraction de la musique et du bruit de fond que faisaient la clientèle de l’établissement et son attention était toute à la lycanne face à elle. Elle posait plusieurs questions à une simple réponse, mais elles se rejoignaient toutes plus ou moins, elle aurait pu lui en poser d’autres, mais elle pensait son indicatrice assez futée pour voir où elle voulait en venir. En toute simplicité, elle voulait en savoir plus sur le fameux Cercle dont elle ne savait rien à part qu’ils étaient à l’origine de ces lois ridicules. Elle garda bien sûr d’inclure le mot ridicule dans son discours, tout comme elle ne laissa rien paraître sur son visage. Son but n’étant pas de mépriser le Cercle, ni son travail, mais de savoir à qui elle avait affaire et comment elle devrait s’y prendre pour les approcher et se voir accorder un entretien avec eux.
Ilyàna nota le changement dans le ton de voix. L’amusement qu’elle y percevait n’avait aucun lien avec cette mèche ébène qu’elle venait de replacer, ni avec aucun aspect de l’apparence de qui que ce fut dans les environs, il concernait ce qu’elle était sur le point de dévoiler. L’idée que ce qu’elle disait l’amusait poussa l’Oubliée à prêter une attention particulière à ce qui allait être dit, peut-être qu’il y aurait quelque chose de dissimulé dans ses propos. Oh ! L’amusement concernait peut-être ses projets irréalistes ? Pour la première fois de la soirée un sourire apparut sur les lèvres de la petite princesse née. Un sourire en coin, indiquant que la situation l’amusait. En fin de compte elle passait autant aux aveux que cette femme. Cela paraissait équitable, elles échangeaient donc des informations, sauf que dans ce cas précis, les informations qu’on lui dévoilait avaient bien plus de valeur que des idées qu’elle avait et qui n’étaient pas encore prêts de se concrétiser. La dernière partie de sa réponse ne l’étonna pas, comme elle s’en doutait, on ne pouvait réellement y répondre comme cela, il fallait mieux ne pas savoir à quel genre de voyous on pouvait avoir affaire. Il y en avait dans ce bar par exemple, mais elle ne risquait rien de ses crétins, à moins qu’ils n’aient l’astucieuse idée de se jeter à une dizaine contre elle, par surprise et de la tenir en respect avec de l’argent. Mais ce n’était pas prêt d’arriver. Elle craignait peut-être plus du barman qui devait en avoir vu des vertes et des pas mûres et de cette jeune lycanthrope fraîchement mordue. Mais elle n’avait aucune intention de se battre, ce n’était pas dans les manières d’une dame qui se respecte.
« Mes projets sont assez simples ma foi. J’en ai deux, comme dit. Mais dans les deux cas je dois m’en référer aux autorités de cette ville. L’Avventura offre beaucoup de possibilités et tout le monde ne les exploite pas. J’aimerai donc aider à implanter cette marque de haute-couture, mais le projet personnel qui m’intéresse particulièrement serait d’ouvrir un nouveau type de bar. »
Les yeux d’Ilyàna brillaient de mille feux, ses pupilles étaient légèrement plus rapprochées et ovales que d’ordinaire, elle avait bu du sang et cela lui donnait soif et malgré elle, son corps avait aussi réagi en voyant les yeux sombres virer à une couleur qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle posa son verre vide sur la table et s’accouda à la table, se rapprochant d’Amarra pour lui parler. De loin on aurait pu croire à deux « copines » qui se faisaient des confidences, une excitée qui partageait son secret, l’autre, décontractée qui était là pour l’écouter et la féliciter comme toute amie se devait de le faire. On aurait aussi pu les prendre pour deux petites crapules qui manigançaient des messes-basses dans leur coin, comme le croirait n’importe quel fervent religieux qui pensait que les êtres surnaturels qu’elles étaient n’étaient que d’une origine seule : une origine démoniaque. A vrai dire, c’était un mélange des deux, l’hybride était excitée de partager cette idée ingénieuse qu’elle avait eue, elle la testerait sur une autre « copine » surnaturelle, voir si elle était ridicule. Peut-être qu’elle lui poserait des questions qui lui permettraient d’établir un rapport complet et précis au Cercle quand elle irait les voir pour faire sa demande. Si elle s’était rapprochée, c’était aussi parce qu’elle n’avait pas envie ni besoin que les gens autour d’elles entendent ses projets qui ne les concernait pas tant que cela, et puis, elle ferait concurrence au bar, il fallait l’avouer.
« J’aimerai un bar dédié au peuple surnaturel, enfants de la nuit, lycanthropes, hybrides. Un bar où l’on pourrait se retrouver sans avoir à craindre d’être naturellement tenté par les humains à proximité, un bar où les brimades ou regards en coin seraient proscrits. »
Elle désigna d’un coup de menton un bel exemple, sur sa droite à deux tables de là, un homme les fixait depuis un moment. Elle l’avait superbement ignoré, il n’était pour elle qu’un vulgaire tas de chair qui serait son Goûter un jour ou l’autre s’il continuait à la dévisager avec autant de mépris. Elle le toisa du regard et porta son verre vide à ses lèvres, elle lécha lentement une goutte de sang qui perlait sur le verre. Ses canines avaient gagné un bon centimètre et elle faisait son possible pour que cela ne continue pas, elle n’était pas venue ici pour cela. D’un geste brusque, elle tourna de nouveau son regard vers Amarra, ignorant de nouveau cet homme, à vrai dire, elle l’avait même oublié, comme on oublierait la vache devant laquelle on venait de passer.
« Mais parfois, quand on ouvre des bars on se retrouve dans un coin un peu glauque, d’autant plus quand on veut faire de sa clientèle principale les êtres surnaturels. Et puis, soyons franches, nous ne sommes pas tous des agneaux, donc j’aimerai aussi savoir à quel genre de clientèle je pourrai avoir affaire. »
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