Une multitude de bulles de savon peuplaient la surface de l’eau, à tel point que la silhouette de l’occupante de la baignoire disparaissait complètement dessous. Même si Morganne n’était pas pudique de nature, si un quelconque membre du personnel avait poussé la porte de la salle de bain à cet instant précis, troublant ainsi la quiétude la maîtresse de maison, dans le simple but d’apercevoir quelques-unes de ses courbes aguicheuses, il ou elle aurait été bien dessus du spectacle qu’offrait la vampire. Cette dernière jouait pensivement avec les bulles de savon, éclatant certaines d’entre elles d’une vive pichenette. Vue de l’extérieur, elle avait tout du comportement d’une enfant boudeuse, même si ses traits ne laissaient rien transparaître de son humeur réelle. Car oui, Morganne n’était pas aussi sereine à l’intérieur qu’elle voulait bien le laisser croire. Cela faisait plusieurs jours que l’une de ses filles avait des ennuis avec un dénommé Nicols. Cet obsédé sexuel n’avait eu de cesse d’harceler l’intéressée. Seulement voilà, il était un bon client. La vampire avait gentiment put le détourner de sa proie lorsque Noémie était venue se plaindre auprès d’elle directement. A présent, cette affaire prenait des proportions alarmantes puisque la serveuse était directement accusée de racolage sur la voie publique ! Comme si ses filles étaient autorisées à faire le trottoir !
« Sale petite merde de Nicols. Tu ne sais pas qui tu affrontes. »
En s’attaquant à la réputation de ses filles, c’était bien la sienne que l’homme cherchait à salir. Et cela, Morganne ne pouvait pas se le permettre. Elle déployait bien assez d’efforts comme cela pour se maintenir en dehors de tout soupçon, ce n’était pas pour tout perdre à cause d’un crapaud visqueux. La jeune femme était tentée de citer son répertoire d’insultes entier pour qualifier le genre d’individu qu’était Nicols, mais elle n’avait pas toute la nuit devant elle pour cela. Alors bon client ou pas, elle allait devoir remédier à ce petit
problème que représentait l’homme en question. Un bruit de pas la tira de ses pensées, sans qu’elle juge nécessaire de tourner la tête en direction de la porte de la salle de bain, laquelle pivotait déjà sur elle-même pour laisser entrer l’une des servantes employée au sein du manoir.
« Votre tenue est prête Madame. »« Merci Alissa. »Le rituel se répéta, une fois de plus, sans moins de professionnalisme pour autant dans les gestes de la dénommée Alissa. Cette dernière assista la vampire dans l’enfilage de sa tenue qui, contrairement aux goûts de la principale intéressée ordinairement, se limitait cette fois à une robe de soirée noire, ouverte sur toute la cuisse et au décolleté plongeant, si bien que la seule véritable tâche de la servante fut de s’assurer qu’aucun pli ne venait ternir l’image que renverrait Morganne une fois entre les murs du Bouken. De son côté, la vampire s’accorda toute l’attention qu’elle estimait mériter, du moins, avant que le temps ne la presse à son tour. Le bar ouvrait sans elle mais il était coutume pour la propriétaire des lieux d’apparaître vers le milieu de la soirée, lorsque le soleil était définitivement couché, pour limiter tout risque. La jeune femme vérifia une dernière fois sa chevelure bordeaux dans l’un des miroirs à sa disposition, salua son personnel avant d’appeler un taxi pour qu’il la conduise directement devant les portes de l’établissement. Peut-être serait-il temps qu’elle engage un chauffeur personnel ? Morganne se promit de revenir sur la question un autre jour – elle avait l’éternité devant elle pour y songer plus en détails – et sans plus attendre, poussa les portes du bar. L’ambiance s’emballait depuis que plusieurs serveuses avaient délaissé les plateaux en bois pour se donner en spectacle sur la petite scène circulaire aménagée dans ce but. La soirée n’était pas assez avancée pour permettre à ces dernières de se lancer dans de sensuels stripteases, au grand damne de la gente masculine présente sur place. Les numéros des danseuses faisaient doucement la renommée de l’établissement, détrônant même les boissons qu’on y servait ! La vampire s’appliqua à saluer le personnel du Bouken, ainsi que les visages familiers qui lui apparaissaient sous les lumières disposées ci et là partout dans l’établissement.
« Et voici la plus belle de toutes… ! Ce soir encore, vous êtes ravissante my Lady. »« N’était-ce pas ce que je vous avais promis hier soir Monsieur Fontin ? » rétorqua la jeune femme, tout en lui offrant sa main accompagnée d’un sourire charmeur.
« Appelez-moi Vincent… »Volontairement, elle laissa le temps à son interlocuteur de lui embrasser le dos de la main, geste en apparence vintage mais qui plaisait toujours autant à la principale intéressée, avant de couper court à tout fantasme chez le dénommé Vincent :
« Vous savez pourtant que je ne mélange pas vie privée et les affaires Monsieur Fontin… » argumenta Morganne à l’aide d’un clin d’œil aguicheur.
Un murmure parcourut l’ensemble des personnes qui assistèrent de près ou de loin à cet échange privé. Ici, tout était calculé, le moindre geste ou le moindre mot était pensé, réfléchi. Et ce n’était certainement pas la vampire qui prétendrait le contraire. Si elle souhaitait témoigner ses faveurs auprès de l’un de ses clients généreux, elle le faisait. Si au contraire, elle préférait instaurer une distance à plus ou moins long terme entre elle et son interlocuteur du moment, alors elle ne se gênait pas pour lui faire comprendre. Mais toujours avec tact. L’homme émit un soupir en guise de protestation, toutefois, un sourire persistait sur ses lèvres, preuve étant qu’il avait compris le message et ne renouvellerait pas son insistance passée. On avait rarement revus au Bouken ceux et celles qui étaient tombés en disgrâce. Mieux valait donc se garder de tenter l’expérience à son tour…
« Patronne ! Patronne ! »Réellement surprise de reconnaître le timbre de la voix de Noémie résonner dans l’air, la vampire se retourna dans la direction de la jeune femme, délaissant subitement ses interlocuteurs précédents. Aujourd’hui n’était-il pas le jour de son procès suite aux fausses accusations de Nicols ? Morganne se rappelait lui avoir donné sa journée, justement pour lui permettre de surmonter au mieux cette épreuve alors que faisait-elle ici ? Venait-elle pour travailler ? Comme ce qui était prévu dans son planning original ? La vampire fronça légèrement les sourcils en la voyant s’approcher mais à en juger par le grand sourire – soulagé – qui barrait la figure de l’intéressée sur toute la largeur, Morganne eut la réponse avant même d’avoir à poser la question.
« L’affaire est classée sans suites ! L’autre pervers ne m’emmerdera plus ! » glissa-t-elle discrètement à l’oreille de sa responsable, afin qu’aucune autre, indiscrète cette fois, ne fasse le lien entre Noémie et l’affaire Nicols.
Un sourire, sincère celui-ci, illumina également le visage de son interlocutrice lorsque l’information tomba. Même si elle l’avait compris rien qu’à l’expression de sa protégée, c’était un réel soulagement que de savoir cette dernière extirpée des ennuis causés par un homme indélicat sur toute la ligne. La vampire prit doucement le visage de Noémie en coupe, sans jamais cesser de sourire. Une scène des plus intimes en réalité.
« Voilà qui m’ôte une épine du pied… Je suis rassurée que l’histoire en reste là. Mais tu n’étais pas censée travailler aujourd’hui Noémie. »« Ah mais je ne bosse pas ! » se justifia vivement son interlocutrice, sans doute avec un peu trop d’enthousiasme dans la voix, ce qui lui valut un drôle de regard en coin de la part de sa responsable. La serveuse rougit un peu avant de reprendre.
« Je suis ici pour boire un verre… » Et comme Morganne arquait un sourcil interrogateur, elle se résolut à terminer.
« …avec le juge qui s’est occupé du procès ! Je lui devais bien ça ! Si vous aviez vu comment il a cassé ce connard de Nicols et… »« Le juge ? Il est ici ? » la coupa soudain son interlocutrice, de plus en plus perplexe.
Oh oui, elle aurait aimé remercier personnellement l’homme qui s’était chargé de Nicols pour elle. Mais la jeune femme devait garder à l’esprit que ses activités étaient tout sauf légales. Si l’individu en question était du genre à faire preuve d’un peu trop de zèle en ce qui concernait la criminalité, alors elle doutait de pouvoir apprécier sa compagnie à 100%. A moins de parvenir à le rallier à sa cause ? Les moyens étaient nombreux, dont celui qu’elle s’efforçait de considérer comme sa carte maîtresse, un plaisir enfoui au plus profond des sous-sols du Bouken. Aucun homme sur Terre – hormis les homosexuels – ne pouvait résister aux charmes de ses filles. En tout dernier recours, ils demeuraient sa solution miracle. Morganne sentit, plus qu’elle ne vit réellement la serveuse hocher la tête et en la sentant se dérober à sa prise pour tourner la tête dans la direction de l’homme concerné, la vampire revint au moment présent. Son regard suivit celui de Noémie, pour finalement rencontrer celui, aux mêmes reflets sanglants que le sien. Ce simple constat lui fit retrouver le sourire, bien malgré elle.