Nouvelle venue [Amarra]

S'immergeant totalement dans un bassin plus profond au creux de la rivière, Isaya nettoya la boue qui maculait ses cheveux et sa peau. Son long voyage prenait fin, et l'anticipation lui nouait le ventre. Quel genre d'accueil lui réserverait les défendeurs de la paix déjà actifs? Sortant de l'eau, elle se posa sur une pierre lisse et étendit ses jambes, les rayons du soleil la séchant lentement. Laissant aux arbres le soin de démêler ses cheveux à l'aide de leurs branches, elle écouta leur histoire.

Une forêt est une source de savoir incroyable, qui n'apparaît qu'à ceux qui savent écouter. Cette dernière est inter-reliée. Les souvenirs emmagasinés par une seule plante sont donc accessibles à toute la végétation sur des kilomètres à la ronde. Un seul coeur, une seule mémoire pour des milliers de fleurs et d'arbres.

En écoutant l'histoire du bouleau qui lui démêlait les cheveux, Isaya avait donc accès à des siècles de connaissances, ainsi qu'à des souvenirs sur les évènements passés. Elle vit, ou plutôt revit à travers les yeux de la végétation d'Avventura la création du Cercle, les tentatives des rebelles pour le renverser, les batailles, les morts, les trois jours sombres...

Trop de souffrances et pas assez de jours heureux, voilà pourquoi la forêt n'avait pas une croissance normale. Isaya savait combien les plantes étaient des êtres sensibles et fragiles, elle aurait donc beaucoup de travail à faire pour redonner à la végétation de cette nouvelle terre son équilibre. Mais elle avait tout son temps.

Sachant maintenant où aller et un peu plus à quoi s'attendre, elle se remit en route. La forêt lui avait indiqué le chemin à suivre pour se rendre jusqu'au Cercle et elle toucha au but avant que le soleil ne se couche. Isaya entra sans se donner la peine de s'annoncer, pas par manque de respect mais parce qu'il n'y avait tout simplement personne pour l'accueillir, et déboucha dans un endroit qui, selon elle, manquait cruellement de vie. Son arc encore sur le dos, elle se mit à arpenter la pièce de long en large, attendant que quelqu'un vienne.

Presque à bout de patience et confinée entre quatre murs, Isaya était sur le point de partir quand quelque chose sur la table basse attira son attention. Un vase tout simple se tenait en son centre, porteur des vestiges de ce qu'avait été une fleur magnifique. Soudain, l'elfe comprit d'où venait cette aura de mort qui planait sur la pièce depuis son arrivée. La branche sèche qui peinait à garder la tête hors du vase l'appelait à l'aide depuis bientôt une heure. Un horrible sentiment de remord la submergea. Trop occupée par son propre manque d'air et d'espace, elle n'avait pas porté attention à la souffrance, pourtant pire que la sienne, de cette fleur sur le point de mourir. S'approchant de cette dernière, Isaya effleura du bout des doigts les feuilles sèches qui tenaient encore à grande peine.

- Ne t'inquiète plus ma chère, je m'occuperai de toi à présent...

Plongeant un doigt sous les racines asséchées, Isaya offrit une petite partie de son énergie vitale à la fleur mourante, qui s'en gava. Peu à peu, la tige se redressa, les feuilles reprirent leur couleur et une magnifique orchidée d'un bleu profond apparu. Isaya sourit, offrir une deuxième chance à la vie était le don le plus merveilleux qui soit.

Elle arrêta soudain de respirer. Elle sentait une présence nouvelle dans la pièce, ainsi qu'un regard brûlant sur sa nuque. Depuis combien de temps cette personne était-elle là? Faisant attention à ne pas faire de mouvements agressifs, mais prête à saisir une flêche dans son carquois en une fraction de seconde, elle se retourna lentement...

Amarra avait passé sa journée dehors à régler des différents et à s'occuper de certains groupes anti-lycans de manière directe. Elle était rentrée au Cercle en fin de mâtiné et avait entrepris de prendre une douche et de se changer. La jeune femme venait d'enfiler une robe moulante noir en signe de deuil et des talons. Ainsi habillé l'on aurait pu dire qu'elle était une femme bien belle si son aura n'était pas aussi sombre. Un raz-du cou de perles noires enserrait sa gorges et cachait en partie la morsure de Layken, son créateur. Elle sortit de la salle de bain et remarqua qu'un serviteur l'attendait. Ce dernier l'informa qu'une elfe patientait depuis un long moment déjà dans la patio sans daigner se présenter à l'accueil. La louve fronça des sourcils et demanda au jeune homme s'il ne pouvait tout simplement pas aller lui dire cela à elle. Le garçon blêmit devant sa remarque et la louve s'empara du dossier et ajouta qu'elle allait s'en occuper.

*Poltron !*Grommela-t-elle en sortant d'un pas rapide.

Elle s'engagea dans le labyrinthe sans aucune gêne, désormais habituée à ses méandres comme un poisson qui connait un cour d'eau. Il lui fallu quelques minutes à peine pour parvenir au patio et y découvrir l'inconnue. Un véritable sauvage avec ses vêtements de cuir et ses tatouages. Elle l'observait en silence sur la pas de la porte et se demandait ce qu'elle faisait accroupie près d'une plante à l'agonie.
Soudain elle vit la plante "renaitre" et eut un léger sursaut d'étonnement. Ainsi donc cette fille était capable de rendre la vie aux plantes. Voilà un pouvoir typique des elfes. Même si dans le cas présent cela s'avèrerait inutile de sauver cette plante. L'elfe dut percevoir sa pensée car elle se retourna lentement comme si elle avait affaire à un fauve et la jeune femme se permit donc d'ouvrir la bouche, donnant forme à sa pensée qu'elle avait eut quelques secondes plus tôt :

"Vous êtes bien dure d'offrir la vie à cette créature qui devra encore souffrir une nouvelle agonie avant de connaitre la liberté de la mort. Elle avait joui d'une vie parfaite même si un sot l'a arraché à son univers et vous venez de lui enlever sa mort. Vous êtes une bien étrange elfe que de faire un tel acte à une plante."

La louve la fixait avec froideur, s'attendant à une réaction de surprise ou de colère. Elle trouvait son geste à la fois égoïste et généreux mais plus dans le sens pitoyable. Sauver une vie c'était bien mais obliger une vie à continuer sans son désir, c'était de la torture. Là était le point de vue de la louve du Cercle.

"Qui êtes-vous et quels sont vos attentions ?"

Dans la forêt qui l'avait vue naître, Isaya avait longtemps aimé observer les prédateurs qui y déambulaient. Des êtres féroces, impulsifs et d'une grande cruauté. Mais aussi des animaux d'une beauté inouïe, dotés d'une intelligence exceptionnelle et d'une loyauté sans faille envers ceux qui se montrent dignes d'eux. La femme élégante qui se tenait devant Isaya était une prédatrice, et pour cela, elle méritait son respect.

La réaction de cette dernière devant la deuxième chance qu'elle avait offerte à l'orchidée surprit l'elfe. La femme en noir avait dû connaître nombre de souffrances pour voir la mort comme une libération.

- Ce n'était tout simplement pas son heure. Et puis, je serai là à l'avenir pour m'assurer que lorsqu'elle mourra, ce sera son choix et non une conséquence de la négligence naturelle de l'homme envers les êtres plus faibles.

Isaya caressa les fins pétales bleus et un sourire naquit au coin de ses lèvres.

- La mort d'un être doit servir à quelque chose pour avoir un sens. À quoi ou à qui aurait servi la mort de cette fleur? Le sot, comme vous dîtes, qui l'a arrachée à son lieu de naissance et qui l'a mise dans ce vase n'a fait que lui offrir de nouvelles perspectives. Pourquoi devrait-elle les rejeter? Parce qu'elle a souffert? Parce que la vie qui s'offre à elle en ce moment n'est pas celle qu'elle avait connue ou souhaitée? La vie est une souffrance, mais n'en reste pas moins qu'elle a une valeur et qu'elle mérite d'être vécue. Je n'ai pas forcé cette fleur à renaître, je lui ai offert une partie de mon énergie et elle l'a prise. Elle aurait très bien pu rejeter l'aide que je lui apportais, j'aurais respecté sa décision. Car la mort n'est pas une fin ni une libération, mais une renaissance.

Isaya détourna les yeux de l'orchidée et, le sourire toujours aux lèvres, regarda la femme au regard sombre devant elle. N'osant pas s'approcher de peur que ses gestes soient mal interprétés, elle détailla la prédatrice de loin. Posture fière et tête haute, il apparu clairement à Isaya que cette dernière était de ceux qui sont nés pour donner les ordres, non pour les recevoir. Une membre du Cercle. Parfait, elle n'aurait pas à attendre plus longtemps.

- Je me nomme Isaya, et je viens vous aider à faire prospérer l'équilibre.

Ces paroles étaient nobles mais aux yeux de la louve, elles étaient vide de sens. Elle avait vécu une vie douce et belle mais aussi violente et dénué de justice. Elle avait connu la mort et l'avait même touché alors de ce côté elle se jugeait la plus apte à en parler. Elle regardait cette elfe encore pleine d'espoir et de rêve alors qu'elle même se contentait de la réalité, pure et dure.
Elle écouta la jeune femme en silence puis, une fois qu'elle eut fini elle se redressa, cessant de s'appuyer sur l’encadrement de la porte et s'approcha lentement de la jeune femme en pesant bien ses mots.

"Aucune mort n'est digne ou juste ou ne possède le moindre sens. Un homme qui meurt en défendant une femme n'est pas une mort juste, ni une mort digne. Elle n'a pas eu de sens car il est mort en vain car si il s'est fait tué et elle le sera aussi et personne ne pensera à cet homme pour ça. C'est une mort voilà tout. Il a agi comme il le pensait et c'est juste ça qui compte. Il n'y a rien de bon ou de mauvais dans la mort. Quant à la renaissance, ce n'est qu'un rêve. Personne ne sait ce qu'on trouve au-delà du repos éternel."

Elle se tut en arrivant près de l'elfe et la toisa, la fixant sans la moindre expression puis ses yeux se posèrent sur l'orchidée.

"La vie que l'on mène on devrait avoir à la choisir. Là est le sens d'une vie. Faire des choix et les assumer jusqu'au bout. Faire des erreurs et vivre les conséquences de ses dernières. L'action d'autrui est bénéfique et parfois non mais dans tous les cas, il faut agir avec le respect de la vie. L'homme qui a arraché cette fleur ne la pas fait. C'est tout."

Elle acheva sa remarque et releva la tête, détachant ses yeux de la délicate plante qui avait désormais retrouvé la vie. La louve fixa la baie vitrée et soupira doucement puis reprit contenance et demanda, sans un regard pour l'elfe.

"Vous êtes donc ici pour nous aider.... "Faire prospérer l'équilibre" hein ? C'est étrange mais ces mots n'ont pas de sens pour moi. Que voulez-vous réellement ?"

La lycane tourna lentement la tête vers elle et l'odeur de la forêt lui parvint, confirmant sa pensée. Elle était bien une elfe