Le bruit de la moto couvrit les éventuelles protestations et insultes qui fusèrent dans leurs dos. Pas un seul instant il ne ralentit, quand bien même les roues avant de son véhicule auraient parfaitement pu percuter les restes des fondations d’un ancien bâtiment, désormais en ruines, ce qui aurait eu pour conséquences de les projeter tous les deux par terre, le nez dans la poussière. Mais la conduite à risques, le darkness connaissait. Ce n’était pas la première fois qu’il pratiquait ce sport extrême et dans le quartier dévasté, il ne risquait pas de tomber sur une patrouille de police pour lui intimer de ralentir, sans oublier de lui coller un PV pour la forme. Là-dessus, son appartenance au Cercle en tant qu’élite et espion infiltré à ses heures perdues, n’y changerait strictement rien. Les premières fois, il avait réussi à s’en tirer en prétextant être en pleine poursuite. Seulement, avec le temps, ses interlocuteurs étaient devenus moins naïfs. Les relations étroites entre le chef de la police, un dénommé Sinner, et les hauts gradés de l’Organisation, y étaient sans doute pour quelque chose. Aussi, Natsume ne consentit à ralentir l’allure que lorsque les premiers bâtiments bordant la ville entrèrent dans son champ de vision. Encore un virage à gauche, quelques mètres d’une petite allée sans prétention, avant de déboucher sur une artère plus conséquente. De là, les deux rebelles présumés ne pouvaient plus les atteindre. Même sans cela, ils ne passèrent pas inaperçus pour autant : le bruit de la moto suffisait à faire se retourner les passants sur leur passage mais le garçon ne daigna pas tourner la tête pour croiser leurs regards, s’attendant un peu trop bien à ce qu’il pourrait y découvrir : un albinos roulant sans casque avec une passagère à moitié consciente, elle aussi sans casque mais avec le haut plein de sang. Non, décidément, ils ne passeraient pas inaperçus bien longtemps.
De crainte que l’un de ces imbéciles ait la bonne idée d’appeler les forces de l’ordre s’il venait à s’arrêter pour jauger l’état de son amie, Natsume ne tarda pas à tourner une nouvelle fois, sur la droite pour changer. Ils n’étaient plus très loin du quartier général du Cercle. Là-bas au moins, ils seraient en sécurité. Se rendre chez la jeune femme était totalement exclu. D’abord, parce que le louveteau avait sûrement réussi à obtenir son adresse. Ensuite, parce que contrairement à ce dernier, le darkness n’avait pas la moindre idée d’où créchait sa congénère. Ce simple constat assombrit son humeur, même s’il savait dans le fond, qu’il n’avait rien fait pour l’obtenir. Il n’était pas en mesure de reprocher à Lily de ne l’avoir jamais invité chez elle. Surtout quand on voyait le résultat de leur relation… Rien qu’à la perspective sordide de faciliter les choses à son adversaire, en lui permettant de le coincer dans l’appartement d’une autre, l’albinos jura entre ses dents serrées. Il s’autorisa toutefois un soupir lorsque le ronronnement du moteur s’éteignit doucement entre ses cuisses. Ils en avaient réchappé. Ensemble. Curieusement, l’étreinte de sa congénère ne se relâcha pas comme il s’y était attendu. Le garçon patienta quelques secondes, avant de jeter un coup d’œil en direction du visage de la jeune femme, tandis que son cou n’appréciait pas tellement le nouvel angle qu’il lui imposait.
« Lily ? On est arrivé. »Ce ne fut que lorsque ses mots résonnèrent dans l’atmosphère rendue étrange par leur proximité, couplée au constat d’avoir frôlé la mort, que l’intéressé se décolla enfin de lui. Leurs regards se croisèrent brièvement, le saphir fuyant le rubis, si bien que Natsume ne parvint pas à intercepter un fragment de ce que pouvait être l’état d’esprit de son amie à cet instant. Cependant, il réalisa bien vite qu’elle n’était pas capable d’aller bien loin toute seule. Réprimant un soupir de la voir faible à ce point – cette idiote avait voulu bien faire en puisant trop dans son énergie – l’albinos ne se fit pas prier et la prit dans ses bras. Si protestations il y eut, le darkness n’en tint absolument pas compte, se contentant d’ignorer les quelques regards intrigués qu’on leur adressait. A une heure pareille, l’activité battait son plein dans l’immense bâtiment. Une chance que le garçon connaissait des raccourcis, moins empruntés, pour atteindre plus rapidement ses appartements. Après cette épreuve, il n’avait aucune envie de passer pour un violeur en série. Ses muscles se détendirent seulement lorsqu’il mit un pied chez lui. Dire qu’il pouvait enfin respirer. D’un coup de pied, l’albinos referma la porte derrière lui, dénigrant le canapé pour lui préférer le lit de la chambre à coucher. Aucune raison perverse ou mal intentionnée là-dedans : le lit offrait un espace plus large pour allonger et soigner une personne à moitié consciente d’être en vie. Natsume déposa sa congénère avec douceur sur le lit. Et maintenant ? Sur le point de se redresser pour partir à la recherche d’une serviette et d’une bassine remplie d’eau pour s’occuper des blessures de Lily, le geste de cette dernière le stoppa net. Si le sens de son murmure lui échappa, le mouvement était suffisamment explicite en soi, si bien que l’albinos lui caressa doucement les cheveux, dans l’espoir d’apaiser ses craintes infondées. Comme s’il pouvait l’abandonner ici, sans une explication… Réalisant que son amie venait de sombrer, le darkness ne s’attarda pas. Une fois dans la salle de bain, il dénicha ce dont il avait besoin, ajoutant même des compresses, une bande et du désinfectant, avant de se figer en contemplant son reflet dans le miroir. Les vestiges des coups portés par Bran demeuraient, rappelant que trop bien à son souvenir ce qui venait de se passer. D’ici, tout paraissait tellement irréel… Prudemment, Natsume passa une main sur ses côtes, appuyant un peu, avant de grimacer.
« Au moins une côte de cassée… Petit fumier. »
En effet, s’il était parvenu à bloquer certains des coups les plus dangereux et vicelards de son adversaire, affronter un lycan à mains nues n’était pas sans risques. Un énième soupire accompagna cette pensée et le garçon revint sur ses pas, direction la chambre à coucher. Il y trouva une petite blonde en proie à un délire fiévreux, alors même que son esprit demeurait toujours plongé dans un sommeil profond. Le darkness ne tenta rien pour la calmer, jugeant le temps comme seul remède à ses plaintes lointaines. Néanmoins, il ne put s’empêcher de serrer les dents en entendant son amie appeler son ainé. Ça lui fendait réellement le cœur de la priver d’un être cher. D’un autre côté, il ne pouvait pas pardonner à cet homme. Et le moment venu, il devrait s’expliquer devant sa sœur. Ce qui n’était pas pour le réjouir. Profitant d’un moment plus calme que les autres, Natsume releva le haut de son amie, avec précautions. Dire qu’il imaginait que trop bien le visage rouge de honte de cette dernière si elle l’apprenait. Mais pour le moment, il s’inquiétait plus de son état physique que de ses états d’âme. Sans aller jusqu’à dévoiler la poitrine de la jeune femme, le darkness réunit le haut de Lily en une épaisse ligne de tissu, coincée sous les seins de cette dernière. Son ventre était parcouru de coupures plus ou moins larges et l’albinos entreprit silencieusement de les rincer à l’eau. Curieusement, ses attentions ne tirèrent pas la petite blonde de son sommeil agité. Et lorsque des accès de délires la reprenaient, Natsume se contentait d’apposer une main ferme et rassurante sur le front brûlant de son amie. Malheureusement, il se rendit compte qu’il n’avait pas suffisamment estimé l’ampleur des dégâts subis par la jeune femme. En moins de temps qu’il n’en faut pour le réaliser, l’eau de la bassine s’était teintée de rouge. Le darkness abandonna donc Lily pour aller changer l’eau de ladite bassine. A son retour, il fut surpris de la voir avec les yeux ouverts.
« Comment tu te sens ? »Au moins, elle était éveillée à présent. Son visage laissait entrevoir des traces de son sommeil mais elle était en mesure de lui répondre désormais. Ce fut un soulagement pour lui et le garçon lui adressa un faible sourire, essayant de se montrer rassurant au possible.
« Je sais que c’est un peu brutal mais, pourrais-tu enlever ton soutien-gorge ? Les coupures sont apparues ici aussi et il faut nettoyer les plaies avant qu’elles ne s’infectent. J’espérais bien que tu te réveilles avant que j’en arrive là. Que tu n’ailles pas croire que j’ai essayé de profiter de toi ou je-ne-sais-quoi d’autre. » Au fur et à mesure qu’il parlait, l’albinos essayait de prendre volontairement un ton léger, même si le cœur n’y était pas. A présent que Lily était consciente, la situation serait moins facile pour l’un, comme pour l’autre. Malgré tout, il s’approcha du lit pour s’asseoir à ses côtés, recommençant les gestes qu’il avait exécutés plus tôt, comme celui de tremper la serviette dans le but de nettoyer les coupures subies par son amie. Si cette dernière refusait de coopérer, il pourrait bien lui forcer la main. Quitte à ce qu’elle le déteste par la suite. Au point où ils en étaient de toute façon, il préférait de loin la savoir saine et sauve bien que le haïssant, que morte, le sourire aux lèvres après l’avoir pardonné. Et son regard déterminé devait parler pour lui, pressant la petite blonde de s’exécuter.