| par Invité Lun 17 Aoû - 18:29
| Aline avait toujours eu une sorte de don pour attendrir les gens : un simple regard et ils se pliaient à ses désirs. Depuis toute petite, la demoiselle avait très bien comprit que cet atout avait quelque chose de précieux et qu’il pourrait lui servir toute sa vie. Enfant, elle arrivait à faire céder toutes les personnes du domaine. Elle se souvenait de la fois, où âgée d’à peine huit ans, elle avait réussi à amadouer la cuisinière pour que cette dernière lui donne une tartine de confiture, puis deux, puis trois si bien qu'à la fin le pot fût entièrement vide. Du plus loin qu’elle s’en souvienne, amadouer les gens avait toujours été une partie de plaisir pour elle. Il lui suffisait de verser quelques larmes pour que son père se pliât en quatre pour la consoler, et essayât de lui faire retrouver le sourire grâce à des cadeaux inutiles tous plus coûteux les uns que les autres. Manipuler les gens était définitivement d’une simplicité enfantine, et elle le savait parfaitement. Ainsi donc, elle était persuadée que ce Tom ne ferait pas exception et qu’il se démènerait pour lui venir en aide. Et elle avait raison. Il ne résista pas à son regard désespéré, et il osa de nouveau la regarder dans les yeux. Aline possédait un tempérament de feu, elle était tout particulièrement hargneuse, mais la fatigue avait fait s’inscrire sur son visage blafard une expression encore plus juvénile. Comment pouvait-on se résoudre à abandonner à son triste sort une enfant aussi adorable, qui en plus de ça vous dévorait de ses grands yeux clairs et brillants.
« Une vampire, hein ? J'en connais une. Une amie de longue date. »
Ah, il en connaissait une. Très bien, comme ça il devait maintenant se douter qu’il ferait mieux de faire gaffe à sa peau. S’il connaissait une autre vampire, il devait savoir qu’il ferait mieux de laisser Aline ici se débrouiller toute seule, s’il n’a pas la folle envie de lui servir de dîner. Mais non…
« Soif, pas vrai ? »
Aline le fixa un instant, avant d’hocher la tête affirmativement d’un air puéril. Et bien, puisque désormais il savait qu’elle avait juste envie de le vider de son sang, il ferait mieux de prendre ses jambes à son cou. Mais toujours non... « Venez chez moi. Demain, je pourrais vous venir en aide. En attendant, je ne peux pas vous laisser ainsi.»
Les yeux de la vampire s’écarquillèrent de surprise. Elle s’attendait à ce qu’il cède, mais pas aussi facilement. Elle pensait qu’il lui donnerait juste quelque chose à manger, lui pincerait légèrement la joue, et partirait se mettre à l’abri. Mais pas à ce qu’il lui offrît l’asile chez lui ! Non mais il était suicidaire ou quoi ? Emmener une vampire chez soi… Quand on savait ce dont ils étaient capables de faire lorsqu’ils étaient en proie à leur instinct… Quand on savait ce dont ils se nourrissaient… Et surtout quand on était un humain ! Un pauvre humain sans défense ! Bon OK, c’était un homme et il semblait faire plusieurs têtes de plus qu’Aline, mais il n’imaginait même la puissance que cette dernière pouvait avoir ! S’il croyait qu’elle allait le remercier en le graciant, il se fourrait le doigt dans l’œil. Non mais qu'est-ce qu’il ne fallait pas inventer…
La jeune fille se laissa guider, sans dire un mot. De toute façon elle n’en avait pas tellement l’intention. Elle était trop fatiguée pour engager la conversation sur la météo et autre sujet tout aussi futile.
« J'ai du travail donc n'hésite pas à te reposer dans la chambre. Fouille pas dans les affaires ! »
Elle haussa les épaules, avant de se diriger vers la chambre en question. « Je ne suis pas une voleuse non plus… » murmura-t-elle dans sa barbe.
Elle traina les pieds durant les quelques mètres qui la séparait de la porte, en faisant un bruit tout particulièrement irritant. Elle poussa la porte, découvrant une chambre à coucher masculine. Nullement préoccupée du fait qu’elle se trouvât dans une maison inconnue, avec un homme inconnu et qu’elle ne serait même pas en état de se défendre convenablement, elle se laissa choir comme un poids mort sur le lit, à plat ventre. Comme si elle était chez elle, elle ôta ses chaussures d’un coup de talon et les envoya valdinguer à l’autre bout de la pièce. Se blottissant contre le premier oreiller qui lui tomba sous la main, elle se mit en chien de fusil et tâchant de gagner le sommeil.
Mais elle continua à ruminer son échec inconsciemment, se tordant le cerveau dans tous les sens en essayant de trouver une solution à ce petit problème. Elle avait beau se dire que ça ne lui était pas existentiel que d’hypnotiser les gens comme il se doit, qu’elle avait très bien vécu sans pendant des années, que ça ne l’empêcherait pas de vivre, ni de tuer des humains, ni rien d’autre de tout cela, qu’après tout cela n’avait même aucune importance puisqu’elle ne l’utilisait jamais et que cela la mettait toujours dans un sale état ensuite, elle n’arrivait pas à se faire à cette idée. Aline détestait perdre. Elle était même prête à tricher à une partie de Scrabble pour finir première, comme quoi elle détestait vraiment perdre. Et elle considérait la vie comme un jeu. C’était un jeu. Soit on était veinard et on sortait gagnant à la loterie de la vie. On était beau, riche, avec une famille aimante, intelligent, avec un bon métier comme ingénieur ou médecin et on pouvait se vanter d’avoir réussi sa vie. Soit on était malchanceux et notre existence ne serait rien d’autre qu’une suite d'échecs tous plus affligeants les uns que les autres. C’était noir ou blanc. Jamais gris. On ne pouvait être heureux qu’avec de l’argent, la beauté et tout ce dont on peut rêver. Elle pensait aussi que pour déjouer ce que la vie nous avait offert, il ne lui restait qu’à tricher et à manipuler les gens pour parvenir à ses fins. Puisque la vie ne lui avait pas donné ce qu’elle désirait, elle l’atteindrait par elle-même: en manipulant les autres. Mais rien de ce qu’elle réussissait à avoir ne lui suffisait. Ce n’était jamais assez bien pour elle, elle voulait toujours plus. Elle trouvait toujours quelqu’un en envier, à jalouser et s’arrangeait toujours pour prendre ce que cette personne avait et qu’Aline convoitait. Tout était pour elle, et les autres n’avait qu’à prendre ce qui restait. Les autres, elle s’en foutait royalement. Elle voulait également qu’on lui serve tout sur un plateau d’argent, ce à quoi elle avait été habituée durant son enfance. Capricieuse, jalouse, manipulatrice, Aline avait tout de l’enfant-roi. Et pourtant elle était née à une époque où l’enfant n’était pas roi. Enfin, dans les familles modestes. Et, habituée à vivre dans le confort, la richesse à profusion, le clinquant, elle trouvait normal qu’on la traite comme une princesse. Elle avait pour coutume de tout réussir à la perfection. Plus grâce à sa capacité à amadouer les gens qu’à la sueur de son front. Pourquoi se salir les mains quand une autre personne est là pour le faire à notre place ?
Quoiqu’il en soit, elle l’avait en travers de la gorge, et elle ne semblait pas vouloir le digérer. Blessée dans son orgueil, elle aurait préféré disparaître à six pieds sous terre plutôt que de rester là avec ce Tom qui l’avait vu se ridiculiser. Intérieurement, elle se jura que lorsqu’elle retrouvera toutes ses forces, elle retournera sur les lieux où elle avait échoué aussi pitoyablement, et elle ferait passer de vie à trépas tous les témoins de cette scène. De plus qu’ils avaient osé se moquer d’elle lorsqu’elle avait passé sa commande, ils allaient le payer.
Sans penser une seule seconde que cette réaction avait peut-être un petit quelque chose d’excessif, Aline avait commencé à fermer les paupières, bientôt prête à s’endormir. « Tu ne dors pas encore, n'est-ce pas ? Je rentre. »
Cette voix la fît sursauter, et elle se redressa légèrement afin de voir d’où elle venait. Quand elle vit surgir ce Tom, elle se laissa à nouveau retomber sur les cousins, ses cheveux blonds formants comme un halo doré autour de sa tête. Elle le regarda s’approcher, et s’assoir à côté d’elle d’un œil méfiant.
« Bois, c'est un ordre. »
Un ordre ? Pas besoin de lui ordonner, elle n’allait pas se faire prier ! Attendez, on lui offrait un repas gratuit, elle n’allait quand même pas cracher dessus ! Même si cet homme faisait surement ça pour lui sauver la vie et qu’il ne comptait certainement pas finir raide mort parce qu’il avait eu le cœur trop généreux.
« Mes ambitions seraient ruinées si on apprenait qu'une vampire enfantine avait été séquestrée ici et en serait morte. Et à vrai dire, il n'y a pas de lacs dans les environs. »
Mais elle ne l’écoutait déjà plus, elle songeait juste au fait qu’elle allait retrouver ses forces vampiriques et qu’elle allait pouvoir rentrer chez elle. Elle s’approcha doucement, prête à le vider entièrement de son sang.
« Tu connais la chanson, ne soit pas trop gourmande... »
Elle ne comprenait toujours pas ce que ces gants avaient de si spécial, et ce qu’ils pourraient bien lui faire si jamais elle refusait de s’arrêter à temps. Mais après tout, il n’était pas vraiment conseillé de jouer avec le feu et de faire la forte tête quand on était en position d’infériorité -même si elle n'avait respecté ce conseil. Il n’empêche qu’elle en venait vraiment à se demander si cet homme n’avait pas comme des envies de suicide… Non mais franchement, si les rôles auraient été inversés, elle l’aurait laissé crever sans le moindre regret…
Elle posa sa main gauche sur la joue de ce Tom et sa main droite sur son épaule. Rien qu’à l’idée qu’elle allait bientôt être rassasiée, elle se sentait déjà mieux. Elle approcha doucement ses lèvres du cou de cet homme et y planta brusquement ses crocs sans douceur. La délicatesse n’était pas le second nom d’Aline. Plus elle absorbait la vie de l’humain, plus elle se sentait à nouveau elle-même vivante.
Arrête toi maintenant, sinon tu vas le tuer
Mais difficile de s’arrêter maintenant. Laisser un humain prêt à donner un peu de son sang face à une vampire c’était comme planter un gosse devant un bocal de bonbons en lui disant qu’il n’aurait le droit qu’à en prendre un seul. Comme si le gamin allait écouter les ordres… Comme si Aline allait avoir des scrupules… Fallait pas rêver non plus…
|
|