Avventura
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Message par Invité Mar 9 Avr - 12:12

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Quelques mois s'étaient écoulés et dans la vie de l'élémentaire, rien de nouveau ne se profilait à l'horizon. Son existence n'avait pas souffert d'un manque d'action ou de rebondissements en tout genre, au contraire il avait vécu paisiblement tout du long. Se rendre à ses nombreux petits boulots ; faire connaissance avec de nouvelles personnes ; s'instruire de choses et d'autres ; reprendre goût à la vie en somme : c'étaient les activités qui avaient jalonné le quotidien du jeune amateur de la Nature. Pendant sa longue période de travail, qui n'allait probablement pas se terminer de sitôt, il avait mis de l'argent de côté pour préparer consciencieusement son départ. La vie lui avait enseigné que les actes précipités pouvaient vite donner lieu à des situations regrettables et il ne tenait pas à revivre certaines choses qui, bien qu'enrichissantes, n'avaient pas constitué ce qu'on pouvait nommer de "bons moments".

Il était retourné en forêt pour se procurer la somme maladroitement oubliée mais heureusement bien dissimulée, là dans la cabane dans laquelle il s'était réfugié pendant plusieurs semaines lors de son premier exil. Il y avait tout retrouvé en ordre : des tableaux peints à la main, des meubles eux aussi construits manuellement par l'inconnu qui vivait ici avant.  Étrange personnage que l'élémentaire n'avait jamais rencontré, qui avait tout abandonné en toute hâte, du moins c'était l'impression qu'il avait eue en trouvant l'endroit: un verre encore rempli d'une eau usée par le temps ; un livre encore ouvert où une vingtième page racontait l'histoire de la région ; des pinceaux encore posés sur une chaise, près d'un chevalet, où reposait une toile sur laquelle une peinture inachevée était couchée. Qui était-il ? quelle était son histoire ?

Outre l'aspect expéditif du voyage (car il s'était donc rendu dans la forêt avec un but précis), il avait aussi profité de tout le trajet. Tout d'abord mal à l'aise, il avait marché lentement dans les bois de la forêt vierge tout en se remémorant les nombreuses questions qu'il se posait avant : était-il encore chez lui ? les esprits qui vivaient dans les bois considéraient toujours qu'il était – en quelque sorte – de leur famille ? Il était entré avec de nombreuses appréhensions pour enfin ressortir avec quelques désillusions. S'il sentait toujours sa proximité avec tout ce qui composait les bois de l'Avventura, il avait semble-t-il définitivement perdu sa capacité à discerner l'aura des choses autour de lui. Il se souvenait de la sensation ressentie lors de sa naissance : celle de ne pas être seul quoi qu'il arrive, celle d'être entouré d'entités qui sans exister, existaient quand même, qui étaient là pour veiller au maintien du bien-être de leur élément. Désabusé, il avait cerné que les choses étaient inévitables : il n'était pas pas tout à fait un esprit de la Nature, mais il n'était pas tout à fait humain non plus. Il n'avait hérité de son côté naturel que des capacités et un amour profond pour son élément, de son côté humain il avait gardé les émotions et tout ce qui pouvait faire  de lui un Homme, un "vivant" comme les autres. Ces deux âmes qui s'étaient unies pour lui donner naissance, qui avaient un temps lutté courtement pour prendre le contrôle de son corps, s'étaient irrémédiablement liées pour donner vie à celui qu'il était à présent. Il était un bâtard : ni totalement naturel, ni totalement humain. Beaucoup avaient des points communs avec lui (qu'ils soient des élémentaires ou pas) mais aucun ne lui ressemblait vraiment : il était en quelque sorte unique, sans l'être entièrement.

Mais le plaisir était tout de même là. Le chant des oiseaux dans les arbres, les fleurs qui revenaient à la vie, le sol qui était humide à nouveau, les arbres qui enfilaient une nouvelle fois leurs parures de feuilles, de fruits, de fleurs. La forêt reprenait vie en cette saison, la Nature se faisait une énième jeunesse et lui, qui était lié à celle-ci, en profitait aussi. La saison hivernale l'avait diminué, déprimé, elle l'avait privé de ses forces et de son envie d'utiliser ses pouvoirs. La saison printanière lui redonnait la joie. Le son du vent dans les branches lui souhaitait la bienvenue et les clairières éclairées chantaient son retour à la maison. Quoi qu'il puisse se passer, la forêt d'Avventura ne pouvait-être qu'une chose, et ce pour l'éternité : sa première et ultime demeure. Il avait repensé à la forêt sombre et à ce qu'il était censé faire depuis sa naissance : sauver ses bois. Malheureusement seul il ne pouvait rien faire : les effets d'un incendie qui n'était pas naturel ne pouvaient pas être conjurés par un seul élémentaire. Il avait besoin d'aide. Trouverait-il un jour un nouveau but que celui-ci ?

C'étaient des questions qui encore maintenant, alors qu'il marchait tout en rêvassant, prenaient du plaisir à revenir de temps en temps, mais elles ne trouveraient probablement jamais leurs réponses. Quoi qu'il en soit il s'était procuré la somme et s'était acquitté de sa dette en remboursant son hôte. Il avait ensuite vécu à ses côtés pendant un petit moment, le temps de retomber sur ses pieds et de réaliser quelques économies, pour ensuite partir. Et l'instant du départ était arrivé. En cette douce matinée du mois d'Avril, il avait quitté l'inquisiteur non sans le remercier chaudement pour tout ce qu'il lui avait apporté et pour sa gentillesse. L'esprit léger il avait restitué ses clés et s'était dirigé une dernière fois vers la porte de cet endroit, qui avait connu ce qui était à l'heure actuelle la période la plus sombre de sa vie.

Lentement mais sûrement il s'était adapté à de nombreuses coutumes de ceux qu'il ne pouvait s'empêcher de nommer "les vivants". Pendant son temps libre, il avait dirigé sa curiosité vers tout ce qui avait un côté pratique : le travail, l'administratif, la cuisine, le ménage ; toutes ces tâches qui semblaient quotidiennes et sans intérêt et qui pourtant constituaient les bases même de la société. L'élémentaire était devenu un homme à tout faire, toujours curieux et impliqué dans ce qu'il faisait. Toujours assez naïf et maladroit (on ne chasse pas le naturel aisément), toujours innocent sur de nombreux points, il n'avait fait qu'acquérir un petit peu d'assurance. Il n'oubliait pas les horreurs vécues, mais il avait décidé de ne pas en faire les fondations de sa vie de tous les jours. Aujourd'hui il était de repos et c'était tant mieux, il avait rendez-vous avec un agent immobilier dans l'après-midi, pour visiter un petit logement, assez éloigné du centre-ville. Un épisode comme tant d'autres mais qui gardait sa saveur.

Il regarda autour de lui puis se souvint d'une chose en regardant le nom de la rue dans laquelle il se trouvait.

*Tiens..ce ne serait pas dans ce quartier que demeure Eleonor ?*

Il avait obtenu l'adresse lors de leur dernière rencontre mais n'avait pas eu l'occasion de lui rendre visite.

*Je me demande ce qu'elle devient.*

Il marcha un petit moment puis demanda son chemin à plusieurs passants. Après quelques minutes, alors que le soleil marquait les treize heures par sa position dans le ciel, il tomba sur la maison de cette dernière. Une grande maison, de grandes fenêtres, un grand garage, un grand jardin, une grande piscine : devant la taille de l'habitation, l'élémentaire ne put s'empêcher de cligner des yeux.

*Elle ne fait pas les choses dans la démesure..* pensa-t-il, habitué au petit appartement de l'inquisiteur.

Il s'avança vers l'endroit en se demandant si la jeune vampire dormait en plein jour, et si la légende du cercueil en guise de lit était bien réelle, puis sonna à la porte tout en espérant pouvoir la croiser.

Message par Invité Ven 12 Avr - 20:38

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Dans son salon aux murs tout blanc crème ornés de quelques cadres, les rideaux bien fermés afin de ne laisser passer aucune lumière, Eleonor était incrusté dans son canapé. C'était un canapé noir fait d'un cuir rigide et froid, à la coupe carrée « fancy » qui était destinée à ce qu'on s'y assoit toujours bien droit. Pourtant, il commençait à prendre les formes d'Eleonor, qu'il épousait à longueur de journée, devenant comme des cicatrices indélébiles. Notre ex-médecin était toujours dans un état léthargique. Elle passait ses journées à regarder des films stupides à la télé, ou bien s'assoupissait un instant et ruminait de noires pensées. Elle était vêtue d'un pantalon mou de coton gris et d'un t-shirt blanc cassé sur lequel était écrit: ''If I were an enzyme, I would be DNA helicase so I could unzip your genes''. Sous ce jeu de mots à caractère sexuel, basé sur l'homophonie des mots « jean » et « gene » en anglais, étaient illustrés deux brins d'ADN en train d'être séparés l'un de l'autre par ladite molécule d'ADN hélicase. C'était une blague de biologie que peu de gens n'ayant pas fait d'études dans le domaine étaient en mesure de comprendre, et cela avait tout de suite capté l'attention de notre scientifique chevronnée. Elle avait ri doucement le jour où elle avait lu cette phrase à l'Université, imprimée sur le t-shirt qu'elle portait présentement. Elle l'avait choisi trop grand dans le but de le porter pour dormir où, dans son cas, pour attendre sagement que sa colocataire de chambre s'endorme et pouvoir sortir une petite lampe pour lire sagement ou bien se glisser dehors en douce. Sous ses vêtements confortables se trouvait un corps amaigri par le manque de sang, elle avait mauvaise mine et ses yeux étaient cernés. Ce n'était pas le manque d'argent, mais plutôt le manque d'appétit qui avait causé un léger amaigrissement chez elle. Elle ne faisait rien de constructif de ses journées, et cela devenait un cercle vicieux duquel il était difficile de se sortir.

Le lecteur se demandera peut-être pourquoi Eleonor ne passait pas par-dessus cet évènement malencontreux pour postuler ailleurs et se trouver du travail. Après tout, cela faisait presque 2 mois qu'elle avait été renvoyée. Et bien c'était simplement qu'elle n'arrivait pas à accepter ce qui lui était arrivé. Il faut dire qu'elle avait travaillé durant plusieurs décennies sur une base régulière de 100 heures par semaine à l'hôpital, ce qui était possible dû au fait qu'elle n'avait pas besoin de sommeil. Une composante très importante de sa vie avait donc volé en éclat dernièrement, et il lui était impensable, après le temps qu'elle avait mis à étudier et à se frayer une place dans ce domaine, de retourner travailler au salaire minimum. C'était une triste vérité de laquelle elle se tenait aussi éloignée que possible, et cette future obligation tournoyait dans son esprit sans que jamais elle ne la considère sérieusement. Pourtant, elle devrait bien s'y résoudre éventuellement, mais pour l'instant il lui était trop difficile de se sortir de sa torpeur. Suite à son procès, elle avait passé plusieurs jours en court à signer des papiers, à rencontrer son deuxième avocat (car le premier ne voulait plus jamais entendre parler d'elle), et à payer officiellement ses amendes. Puis elle s'était mise à errer sans but dans les rues de la ville. C'était ainsi que les jours étaient devenus des semaines, et que sans qu'elle ne s'en aperçoive directement, la vampire s'était laissé aller, et passait désormais toutes ses journées seule, isolée du reste du monde, à pester contre son destin. Lorsqu'elle réfléchissait à sa vie, elle passait tantôt de la déprime à la tristesse. Elle n'avait plus rien, plus d'avenir, plus grand chose à espérer, alors à quoi bon tenter de se relever… Puis d'un coup elle passait à la colère: on lui avait tout enlevé et c'était injuste! Comment avait-on osé la renvoyer après tout ce qu'elle avait fait pour la communauté? Ses conférences gratuites données à l'Université de l'Avventura, ses dons aux oeuvres de charité, les heures supplémentaires passées à examiner des patients qui n'avaient aucune forme d'assurance-santé, tout cela sans recevoir de salaire, et c'est comme ça qu'on la remerciait?! Et puis ses dents de desserraient lorsqu'elle se rappelait les irréparables actes qu'elle avait commis il y avait de cela 4 ans. C'était d'ordinaire à ce moment qu'elle se disait qu'elle l'avait bien cherché, et ses yeux résignés se tournaient de nouveau vers la télé. Elle ne sortait plus que quelques heures le soir, craignant les chasseurs maintenant que trois d'entre eux avaient failli avoir sa peau, et passait toutes ses journées seule chez elle.

Toujours profondément incrustée dans son sofa comme l'ermite qu'elle était devenue, elle regardait d'un oeil distrait un film d'horreur qui passait sur le câble. On y voyait un couple d'adolescents s'embrasser furieusement dans ce qui semblait être un chalet abandonné, mais c'était difficile à dire puisqu'elle n'avait pas suivi l'histoire de façon suffisamment assidue. L'ombre d'un sourire stupide étira doucement les lèvres de la vampire alors qu'elle lorgnait l'écran sur le côté, sa tête étant couchée sur le canapé. Elle songea que sa vie était vraiment vide dans toutes ses sphères. Les deux jeunes gens commençaient à retirer leurs vêtements et s'étreignaient toujours avec autant d'ardeur.

-Ceux-là seront les premiers à mourir, c'est certain, dit-elle à haute voix comme si quelqu'un pouvait l'entendre.

Comme l'avait si finement fait remarquer notre protagoniste, il ne fallut pas attendre plus de 5 secondes avant que ne survienne un tueur en série, et il mit à mort les deux jeunes gens sur une scène de plusieurs minutes, les laissant souffrir horriblement et baigner dans leur propre sang, comme on peut s'y attendre dans ce genre de film. C'est à peu près à ce moment qu'on sonna à la porte. Sans trop se soucier de son allure de jeune femme qui venait à peine de se réveiller, alors qu'il était 13 heures passées, notre vampire se leva pour aller ouvrir. Elle contourna la table basse toute blanche qui se trouvait devant le canapé, et sur laquelle elle avait déposé la pile de coussins décoratifs qui se trouvaient normalement sur le sofa. N'ayant pas vraiment de passion pour le design, elle s'était contentée de payer des gens pour faire la déco, et avec le temps elle tolérait de moins en moins bien les objets décoratifs dans sa maison qui étaient, il fallait l'avouer, fort jolis, mais aussi inutiles et souvent encombrants. Elle passa ensuite devant la très grande télé qui était fixée au mur, puis se dirigea vers l'entrée. Sur l'un des murs était accroché un miroir, ce qui permit à Eleonor de constater qu'elle avait une tête à faire peur. Replaçant à peu près ses cheveux en bataille de façon présentable, elle ouvrit. Devant elle se trouvait une petite fille aux boucles blondes (quoi vous vous attendiez à quelqu'un d'autre?). Elle vendait des biscuits pour son club de sport. Sans être trop réfléchie dans ses gestes, Eleonor en prit une boîte qu'elle paya avec un billet de 20 euros, et dit à la gamine de garder la monnaie. Puis elle rentra chez elle avec sa boîte de biscuits choisie au hasard, s'affala devant la télé, et prit une bouchée par simple curiosité. Les pâtisseries étaient sans conteste ce qu'elle aimait le moins dans la nourriture. Le goût était bien trop sucré, et elle fût écoeuré dès la première bouchée. Son régime alimentaire ne devait pas contenir autant de sucre, on en trouvait à vrai dire assez peu dans le sang. Pour faire une analogie simple, c'était un peu comme si un humain mangeait du sucre raffiné à la cuillère. Sentant que son pancréas allait entrer en grève si elle s'obstinait, la vampire remit le reste de biscuit dans sa boîte et se remit en position couchée. Elle finit par s'assoupir un petit moment parmi les cris d'horreur et les bruits de scie à chaîne qui venaient de la télé, et se réveilla en sursaut lorsqu'on sonna de nouveau à sa porte. Dites donc, je suis populaire aujourd'hui. L'ex-médecin resta couché un petit moment, hésitant à aller répondre. Ce ne serait probablement encore que des vendeurs de biscuits ou des dévots qui chercheraient à la convertir. Mieux valait rester couché. D'un autre côté, ce n'était pas très poli de ne pas aller répondre, et ce n'était pas son genre non plus. C'est lorsque la sonnerie la fit sursauter pour la deuxième fois, alors qu'elle réfléchissait mollement à la perspective d'aller répondre, tout en étant sur le point de s'endormir de nouveau, qu'elle se décida à aller ouvrir. Se levant lourdement, notre vampire se rendit en trainant jusqu'à la porte. De nouveau face au miroir de l'entrée, elle replaça ses cheveux en bataille, qui finirent par avoir une apparence à peu près convenable. Puis elle ouvrit pour constater avec stupeur qu'il ne s'agissait pas d'un quelconque colporteur. Les yeux grands ouverts derrière sa mine affreuse, Eleonor réussit à balbutier:

-Vegeo… Quelle surprise…

Consciente de l'apparence peu réjouissante qu'elle témoignait au plus que jeune homme, qui lui de son côté avait fière allure comme toujours, notre vampire se trouva un instant embarrassée. Ce n'était pas elle, il tombait à un mauvais moment, mais comment aurait-il pu le deviner? Elle l'observa un petit moment en silence, laissant les rayons du soleil lui brûler la peau lentement sans réagir. Puis, se redressant pour prendre la posture habituelle qu'elle avait petit à petit délaissée au fil des semaines précédentes, et désormais le dos bien droit, sortant de sa torpeur, elle ajouta après s'être raclé la gorge:

-Je t'en pris entre.

Elle recula pour le laisser entrer, ne trouvant aucune raison valable qui pourrait justifier de sa part un refus de l'accès à sa demeure. Et de toute façon, peu importe le moment, elle était heureuse de le revoir. L'invitant à passer au salon, elle se posait soudainement bien des questions à son sujet. Toutes ses pensées des derniers jours n'avaient tourné qu'autour d'elle-même, et du coup elle se trouvait bien égocentrique. Elle se hasarda à demander:

-Alors, qu'est-ce qui t'amène chez moi? Tu passais dans le coin?

Message par Invité Sam 20 Avr - 0:18

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*Hmmm...*

Il venait de sonner une première fois. En attendant de voir si quelqu'un allait se hâter vers la porte d'entrée, il observait autour de lui. Penchant un peu la tête, il était à la recherche du moindre volet, du moindre endroit où pouvait éventuellement filtrer un rayon de lumière. Nul besoin de préciser qu'il n'en trouva aucun. Bien sûr il y avait çà et là quelques minces, très minces rayons qui parvenaient à s'introduire dans l'imposante demeure, mais ils étaient si peu nombreux qu'ils ne pouvaient que revêtir une importance moindre. Il tendit aussi l'oreille, cherchant à percevoir un bruit ou quoi que ce soit qui pouvait indiquer une quelconque présence de vie à l'intérieur. N'ayant pas l'oreille très fine – les corps humains sont connus pour leur manque de précision au niveau sensoriel – il ne discerna rien. Autour de lui, seul le bruit d'une clochette tintait dans le loin, c'était la simple mélodie de la bicyclette de la petite fille qu'il avait croisée quelques instants auparavant.

*Quelle drôle d'idée.* avait-il alors pensé.

*Quel concept étrange que celui d'aller sonner chez des gens pour leur proposer de la nourriture..tout ça pour...?*

...

"Pour mon club de sport !" avait clamé l'enfant.

"Pour votre club de sport ?" s'était étonné Vegeo.

"Vous me vouvoyez ?" avait-elle enchaîné avec tout autant de stupeur dans la voix.

"Je ne devrais pas ? ce n'est pas comme ça qu'il faut faire ?" avait-il demandé.

"Bien sûr que non ! Les grands disent tu aux enfants !"

*Ils disent tu...* avait-il pensé d'un air songeur.

"Et les enfants disent vous aux adultes, vous comprenez ?"

Ainsi était née une discussion dont la longueur serait presque inconvenante à retranscrire. La petite fille avait expliqué à l'élémentaire toutes ces petites règles qu'il n'avait jamais pu observer – il n'avait que rarement croisé des enfants en pleine conversation avec des adultes – et il s'était alors dirigé moins inculte vers la demeure de la jeune vampire.

...

*Hmmm...elle n'est peut-être pas là ?..*

Il sonna une seconde fois. C'était un peu puéril mais il voulait la revoir, pour lui démontrer qu'il avait à présent une situation qui, sans être très rentable, n'en demeurait pas moins convenable. Il avait un peu d'argent de côté, il allait peut-être s'installer quelque part ; il désirait en fait se laver de la mauvaise image qu'il lui avait offerte lors de leur dernière rencontre. À bien y réfléchir, il fallait aussi avouer qu'il avait pour Eleonor Doherty une certaine forme de sympathie teintée d'affection. Dans un monde où la solitude était son quotidien, elle constituait un souvenir agréable, celui d'une personne qui s'était souciée et se souciait encore du sort de l'élémentaire. Bien sûr chaque personne rencontrée au fur et à mesure de son aventure avait son importance, mais la réalité était ce qu'elle était : il n'avait pas eu la chance de revoir tout le monde. Il y avait aussi Elisabeth – il ne faisait état d'aucun doute concernant ses pensées à son égard – mais il ne savait pas ce qu'elle était devenue. Il osait caresser l'espoir qu'elle et Natsume se portaient bien. Quoi qu'il en soit au niveau de la qualité des relations, celle avec la doctoresse était la moins tumultueuse et c'était la raison pour laquelle il lui vouait sa sympathie. Un très léger bruit de pas se fit entendre et la porte s'ouvrit alors, interrompant au passage les questionnements de Vegeo vis à vis de la situation de la Darkness de laquelle il se souciait tant.

"Vegeo… Quelle surprise…"

Affublé de son sourire le plus radieux, il la salua à son tour.

"Bonjour Eleonor !"

"Je t'en pris entre."

"Merci." répondit-il en la regardant d'un air heureux.

Et il entra alors. Sournoisement, une impression s'était glissée dans les pensées de l'élémentaire et sa bonne mine nouvellement acquise ne l'empêcha pas de se faire la remarque que la jeune vampire semblait différente. Il chassa l'étrange sensation de différence de son esprit, en se disant que lorsqu'on se trouvait chez soi on avait rarement la même allure que sur son lieu de travail. Il promena son regard dans l'intérieur de la maison, qui était aussi sombre que dans son imagination. Comme il l'avait remarqué, les rayons de soleil qui osaient s'aventurer dans l'endroit était peu nombreux et il pensa sur l'instant qu'il avait, tout compte fait, presque vécu comme un vampire lors de ces nombreux mois de réclusion.

"Alors, qu'est-ce qui t'amène chez moi? Tu passais dans le coin?"

Il se dirigea avec elle vers le salon, dans lequel elle venait de l'inviter, puis répondit.

"C'est bien ça !" avoua-t-il en se retournant, heureux dans son intonation comme dans sa posture "J'ai un rendez-vous avec un agent immobilier dans quelques heures, pour visiter un logement en périphérie. En passant devant une rue je me suis souvenu de ton adresse et j'ai décidé de passer te saluer."

Il marqua un moment de silence et observa sereinement les environs. Les rideaux faisaient la guerre à la lumière et sur un des murs, un énorme écran jouait un film qui assombrit quelque peu le regard de l'élémentaire, qui se souvint de tout le sang présent sur ses vêtements lors de l'attaque de Saphira. Il écarta néanmoins rapidement ces sombres ruminations pour s'étonner mentalement de la taille du téléviseur. Il orienta ensuite très rapidement son regard vers la totalité de la salle en se disant que c'était l'endroit idéal pour mener une vie oisive et sans tracas. Tout du moins c'était le contexte parfait pour se reposer. Il se massa la nuque tout en se retournant puis interpella Eleonor.

"Sinon tu vas bien ? J'espère que je ne dérange pas." dit-il en plantant son regard revigoré dans celui de la doctoresse.

Message par Invité Mer 1 Mai - 1:07

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La première chose qui l'avait frappé, c'était sa bonne humeur. Tout son être reflétait son bonheur apparent, de sa posture au ton de sa voix. Se pourrait-il qu'un changement ait eu lieu dans sa vie, ou était-il simplement content de la température clémente des derniers jours? Il lui aurait été difficile de le dire. À première vue il semblait heureux, cependant Eleonor restait dubitative : il ne fallait pas sauter aux conclusions trop vite. D'abord et avant tout, elle devrait s'informer de sa situation, sujet crucial qui la tracassait un peu, car elle craignait la réponse, et duquel émanait depuis peu quelques interrogations qui lui brulait les lèvres, sans que toutefois elle ne manque suffisamment de tact pour les lui poser alors qu'il venait à peine d'entrer; elle comptait attendre le bon moment. Suite à leur dernière séparation, Eleonor était rentré chez elle avec cette inquiétude omniprésente qui ne l'avait jamais quitté depuis le jour où elle avait connu l'élémentaire. Il faut dire qu'elle avait une pointe de sentiment maternel à son égard, et que se faire du souci à son sujet avait été quelque chose qu'elle avait très vite accepté comme on accepte la fatalité. On comprendra donc que sur le coup, elle lui en avait presque voulu d'avoir refusé son aide, et s'était bien gardé de lui répondre, lorsqu'il lui avait dit dépendre de tout le monde depuis sa naissance, qu'elle avait vécu avec ses parents jusqu'à l'âge de 17 ans, et qu'elle serait certainement restée plus longtemps si des évènements tragiques n'étaient venus tout chambouler. Après tout, quoi que puisse témoigner son apparence, le très, très jeune homme n'avait techniquement pas encore un an, alors quoi de plus normal que de tenter de le guider? Mais ne voulant pas lui forcer la main, elle s'était contentée de hocher la tête, puis ils s'étaient séparés. Évidemment, au début elle avait tracé dans sa tête le chemin qu'il lui aurait été le plus simple d'emprunter pour atteindre ses objectifs, mais suite à cela son procès avait occupé jusqu'au moindre recoin de son esprit, et elle avait cessé de penser à lui. Ceci expliquait sa stupeur lorsqu'elle l'avait vu, souriant sur le pas de sa porte, quelques instants plus tôt. Tandis qu'ils passaient au salon, notre vampire allumait les lumières, chose exceptionnelle, car elle voyait trop bien dans le noir pour en avoir besoin, et que l'intérieur de sa maison était toujours plongé dans les ténèbres, à l'exception des moments où on lui rendait visite, ce qui justifiait la présence de lampes chez elle. Elle prévoyait lui proposer quelque chose à boire avant d'oser quelques questions plus profondes que celle qu'elle venait de poser sans réfléchir, mais elle n'en eut même pas besoin. Vegeo l'avait d'entrée de jeu informé qu'il avait un rendez-vous pour visiter un logement. Le visage d'Eleonor, qui avait, depuis l'instant où ils s'étaient revus, exprimé uniquement de la curiosité face aux allégations du jeune homme, s'était soudainement illuminé.

-Vraiment? Je suis heureuse d'entendre ça. Et où t'es-tu dégoté un emploi?

Elle retrouva le sourire. S'il achetait un logement, c'est que forcément il avait un travail et que donc, il ne dépendait plus de personne. Ça y était, le pas vers une vie d'indépendance était franchi. Tout en replaçant les coussins sur le sofa, la vampire regardait le jeune homme se familiariser avec son domicile, constatant que ses airs adorablement curieux lorsqu'il regardait autour de lui étaient toujours les mêmes, puis ferma la télé lorsqu'elle comprit que ce genre de programme ne le réjouissait pas tellement. Elle-même n'était pas vraiment fan de films d'horreur, mais elle était désensibilisée à la violence lorsque celle-ci était affichée dans des oeuvres de fiction, en partie parce que les clichés étaient si souvent utilisés qu'on avait du mal à s'imprégner de l'histoire. Quoi qu'il en soit, Eleonor, qui venait d'être, par cette rencontre fortuite, fortement déstabilisée de sa routine dans laquelle elle s'était enlisée, mais aussi confortée durant plusieurs semaines, venait tout juste de se rendre compte qu'elle se présentait à son invité dans ce qui était un genre de pyjama. C'était en effet lorsque Vegeo lui avait demandé si elle allait bien qu'elle s'était attardée à porter attention à sa personne, et avait du coup regretté d'avoir pris cette mauvaise habitude de trainer en vêtements mous, elle qui de toute façon n'avait pas besoin de dormir. Et c'est grâce à ce genre de situation que l'on pouvait entrevoir l'éducation ancienne qu'elle avait reçue : tandis que certaines personnes n'en auraient pas fait de cas, notre vieille vampire aux moeurs dépassées trouvait tout à fait inadmissible de rester ainsi alors qu'elle pourrait - et devait! - s'habiller plus convenablement. Qu'auraient dit ses parents s'ils l'avaient vu accueillir quelqu'un chez elle vêtu ainsi?

-Euh…non. Enfin, oui je vais bien! Mais tu ne me déranges pas. C'est seulement que le jour pour moi, c'est un peu comme la nuit pour toi, et que donc je ne suis pas habillée. Si tu me permets, ça ne sera pas bien long.

Et en effet, ce ne fut pas bien long, car comme on le sait Eleonor n'était pas du genre à lambiner dans ses gestes, surtout lorsqu'elle était pressée. Elle revint donc vêtue d'un cardigan noir aux boutons d'or bien attachés afin de ne pas laisser voir sa légère perte de poids, et un jean bleu foncé, car quoi que doté de moeurs anciennes qu'elle appliquait sans condition dans certains contextes, Eleonor avait fini par maîtriser cette capacité de se fondre dans la masse, et d'avoir l'air d'une jeune femme de son époque et de son âge physique. Ainsi, elle ne mettait plus ses vieilles robes de 1930 à 2000, quoi qu'elles se trouvassent toujours dans des boîtes quelque part chez elle. Mais trêve de souvenir! Elle était donc redescendue avec ses vêtements choisis à la va-vite, et tandis qu'elle passait par la cuisine, demanda, puisque les deux pièces communiquaient très bien :

-Au fait, je t'offre quelque chose à boire? J'ai du thé, ou bien alors… (Elle constata à ce moment qu'elle n'avait rien d'autre dans ses armoires) euh… de l'eau du robinet. Et de tous les alcools, même s'il est peut-être un peu tôt pour commencer à boire.

Elle revint s'asseoir au salon, encourageant l'élémentaire à en faire de même, après avoir mis la bouilloire à chauffer, dans l'intention de boire un peu de thé, d'une part pour accompagner Vegeo, et d'autre part parce que le thé était à peu près la seule boisson autre que le sang dont elle appréciait le goût. Elle s'attendait à un étonnement de la part du jeune homme lorsqu'il la verrait siroter une tasse de ce breuvage, mais il allait bien découvrir tôt ou tard qu'elle avait tout sauf des habitudes alimentaires normales pour une vampire. Déjà le fait qu'elle ne chasse jamais avait quelque chose d'exceptionnel, et elle n'avait jamais refoulé sa curiosité pour les habitudes humaines. Il faut dire que ne jamais avoir appartenu à cette espèce, ni à aucune autre qui se nourrit d'aliments autres que de sang provoquait chez elle des questionnements qui resteraient à jamais sans réponse. Oui, car pour elle le sang était délicieux, mais c'était toujours la même chose, et elle se demandait ce que cela pouvait représenter de marier des saveurs, et de goûter des aliments variés. Mais voilà la plupart de la nourriture qu'elle avalait avait un goût qui allait d'affreux à morne. Elle n'abandonnait pourtant pas sa quête et, cette mauvaise habitude s'étant incrustée chez elle, il lui était arrivé à de nombreuses reprises de manger toutes sortes d'aliments par simple curiosité, même lorsqu'elle était certaine qu'elle allait détester ça. C'est de cette façon qu'elle avait découvert le thé. Dans son sofa une place, placé de façon à faire un angle de 90 degrés avec celui dans lequel elle avait invité Vegeo à prendre place, elle ajouta tout en souriant faiblement :

-Tu m'as l'air plutôt heureux, et tu as bonne mine. J'ai bien l'impression que ça s'est amélioré pour toi depuis notre dernière rencontre.

Message par Invité Lun 13 Mai - 1:38

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Elle alluma les lumières de la pièce et il cligna des yeux, laissant le temps à ses pupilles de s'acclimater à la nouvelle intensité lumineuse. Exposé à la clarté, l'endroit s'habilla d'une nouvelle allure : là où le gris était présent quelques instants auparavant les couleurs ressortaient. Comme il l'avait remarqué chez celui qui l'avait sauvé des rues, à l'instar de la ville, les habitations changeaient souvent d'apparence selon qu'elles étaient illuminées – de l'intérieur comme de l'extérieur – ou pas. Il se retourna pour répondre à la vampire.

"Où ça ?" dit-il. "Dans plusieurs endroits en fait. On m'a offert plusieurs contrats – je crois que le nom ressemble à CDD – et j'ai donc économisé dernièrement, histoire de conquérir mon indépendance."

Ces petits emplois qu'il cumulait il y en avait quelques-uns, mais chacun d'entre-eux était une source d'occupation et d'apprentissage qui donnait à l'élémentaire la sensation de s'intégrer plus ou moins correctement dans ce nouveau monde, qui était désormais le sien. Aux sources chaudes – endroit dans lequel il travaillait avec énormément de plaisir – il évoluait sous l'œil attentif du propriétaire : un vieil homme amusé par son innocence excessive et qui adorait le pousser hors de ses retranchements. Au fil du temps, les clients et clientes venaient plus pour le spectacle de leur duo improbable que pour la chaleur apaisante de l'eau. D'un côté se trouvait le vieux propriétaire qui s'obstinait à vouloir décoincer Vegeo, l'envoyant dans les bains mixtes quand l'occasion se présentait ; de l'autre se trouvait l'élémentaire lui-même qui, poussé par les bonnes mœurs acquises suite à l'enseignement d'Eleonor, adressait à son supérieur des discours moralisateurs, quand il le trouvait espionnant discrètement dans les bains des femmes. Malgré leurs différences morales ils vivaient tous les deux une très bonne entente et, là où l'employeur avait trouvé le fils qu'il n'avait jamais eu, l'employé avait découvert le père qu'il n'avait jamais cherché. Perdu dans ses pensées, il avait observé la jeune femme s'affairer dans le salon, rangeant les coussins et rendant le lieu plus présentable. Alors qu'elle se relevait, le regard de Vegeo descendait d'un cran, vers une inscription étrange. Il sourit alors, en lisant la phrase – mais pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le contenu du message. C'était de l'anglais. Il reporta un regard malicieux vers les yeux de son hôte et, en même temps, pointa la poitrine de la doctoresse.

"Je connais ça !" fit-il. "C'est de l'anglais, je suis en train de l'apprendre dernièrement."

Ses emplois, où les échanges avec les clients étaient fréquents, demandaient un certain niveau de connaissance en anglais et il s'était donc lancé dans l'apprentissage de ce dernier, histoire de pouvoir continuer à travailler dans de bonnes conditions. Au cours de ses recherches, il avait découvert de nombreuses choses : tout d'abord l'anglais était un langage. Faisant donc la supposition qu'il en existait plusieurs, l'élémentaire s'était lancé dans le recensement des langues les plus parlées de ce monde et avait trouvé que celles-ci étaient bien nombreuses. Lui, qui pensait les hommes comme des animaux – capables donc de communier à travers un seul et unique langage –, s'était alors retrouvé sous le choc. Le monde, plein de surprises, l'avait encore cloué sur place en ce moment là.

*C'est de l'anglais mais..je ne comprends pas grand chose à cette phrase..* pensa-t-il déçu.

Simple ignorance ? À moitié, car même s'il avait pu comprendre le sens premier des mots, sa naïveté aurait probablement dissimulé le sens "caché" du message. C'était encore l'innocence qui était de mise. Au grand dam de son employeur des sources chaudes, la sexualité de Vegeo était à un stade embryonnaire et son désir de la chair inexistant. Même si quelques expériences avaient implanté le doute dans son esprit, concernant l'existence d'un lien étrange entre hommes et femmes, il n'avait encore eu aucun aperçu du "monde des adultes". Le vieil homme ne comprenait pas et pourtant la chose était simple : il était bien impossible de désirer une chose si on ne savait même pas qu'elle existait.

Le rangement fut bref et, une fois celui-ci terminé, la jeune femme s'absenta quelques instants pour changer de tenue. L'élémentaire profita alors de ce court laps de temps pour observer les choses autour de lui plus en détail. Malgré le fait que tout avait été rangé, il nota que les formes de la jeune vampire étaient encore dessinées sur le sofa ; à côté, sur une table basse blanche, se trouvait une boîte de biscuits. Il profita de l'absence d'Eleonor pour replonger dans ses souvenirs récents.



"Et sinon vous allez où ?" demanda l'enfant.

"Je vais voir une amie qui habite non loin." répondit-il.

L'enfant rit : "Vous parlez bizarrement ! C'est votre amoureuse ?"

"Mon amoureuse ?"

"Oui une amoureuse ! Des amoureux c'est quand deux personnes s'aiment beaucoup et..."

La seconde partie de l'apprentissage de Vegeo, gracieusement dispensée par la fillette, avait duré environ cinq minutes et il avait découvert encore une fois quelques détails sur les humains et leurs rapports.



*Il faudra que je pense sérieusement à me documenter sur certaines choses..* songea-t-il.

Elle revint quelques instants plus tard et passa en coup de vent – c'était le cas de le dire – pour s'éclipser dans la cuisine et lui demander s'il voulait quelque chose à boire. Il répondit tout en regardant autour de lui. Bien qu'agréable, l'ambiance de la pièce perdait en charme sans quelques rayons de soleil ; placer des plantes dans les coins aurait aussi donné une seconde vie au lieu.

"Du thé merci, ça ira."

Elle revint avec les choses nécessaires et ils s'installèrent, puis elle le complimenta pour sa bonne mine. Avant de répondre il la regarda en détail, scrutant de ses iris verts chacun des traits de la jeune femme. Elle avait l'air fatiguée et, à en juger par la vivacité de son regard, ce n'était pas un problème de sommeil. On aurait pu croire que l'interprétation de l'élémentaire était hâtive et que peu de preuves pouvaient confirmer son sentiment. Pourtant il ne pouvait s'empêcher de se souvenir que le même reflet s'était présenté dans son miroir pendant plusieurs mois. C'était définitivement le masque d'une personne préoccupée que portait la jeune doctoresse qui l'avait tant aidé.

"Oui je vais un peu mieux. La vie ici..dans ce monde je veux dire..c'est quelque chose de particulier et de..sauvage. Je pense que j'avais besoin de temps pour m'habituer. Enfin..si tant est qu'on puisse vraiment s'habituer un jour.."

Il marqua une pause puis continua plus optimiste.

"Mais maintenant ça va mieux. Comme je le disais, j'ai rendez-vous pour trouver un appartement dans la périphérie. Même si..pour être franc, je vais probablement chercher ailleurs : j'ai fait quelques recherches et je n'aime pas trop l'endroit." ajouta-t-il sur le ton de la confidence.

Il prit quelques secondes pour repenser aux paroles de la petite vendeuse. Être des amoureux consistait donc en deux personnes s'appréciant mutuellement. Le long du chemin restant, il s'était retrouvé à faire la liste des personnes qu'il appréciait et qui manifestaient des comportements semblables à son égard. Qui donc pouvait bien se sentir à son aise en la présence de Vegeo Natus ? Il avait bien cherché et avait trouvé qu'en fin de compte, la seule personne avec laquelle il avait un semblant de lien, c'était Eleonor Doherty. Il se risqua donc, sans connaître l'étendu du sens du mot lui-même, à poser une question à la jeune femme.

"Au fait, j'ai un doute sur une chose apprise dernièrement: tu es mon amoureuse ou pas?"

Message par Invité Dim 2 Juin - 7:40

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Eleonor s'était assise bien droite dans son fauteuil, et observait le regard sagace de l'élémentaire observer ses traits déconfits. Elle savait bien qu'elle n'avait pas un air radieux, mais souriait malgré tout, quoique ce ne fut pas très convaincant. Cependant, même si elle n'était pas au paroxysme du bonheur à cet instant précis, son humeur allait en s'améliorant depuis l'arrivée du jeune homme, et elle pensait de moins en moins à ses problèmes. La vampire n'avait jamais particulièrement cherché la compagnie, mais son emploi, son ancien train de vie en fait lui avait fait faire plusieurs rencontres; tous les jours, elle parlait à ses patients, aux autres médecins, en fait elle n'avait jamais passé une seule journée sans parler à quelqu'un. Alors avoir la chance d'avoir une vraie conversation avec une autre personne, ce qu'elle n'avait pas eu depuis des semaines - et on exclura les moments où Eleonor parlait à sa télé - avait quelque chose de réconfortant. Mais il n'y avait pas que cela. C'était aussi le fait de revoir Vegeo, d'entendre de bonnes nouvelles et d'avoir la visite de quelqu'un qui était de bonne humeur, qui chassait ses mauvaises pensées l'espace d'un instant. L'élémentaire s'était montré très enthousiaste depuis son arrivée, très vif, très enjoué, ce qui avait laissé Eleonor songeuse. ''Il est… différent de la dernière fois où je l'ai vue'', pensa-t-elle. Alors c'est à cela qu'il ressemblait lorsqu'il était heureux? Elle aurait bien voulu connaître cette facette de sa personne plus tôt. Le jeune homme avait montré des signes de changement dans sa personnalité à chacune de leurs rencontres, chose qu'elle jugeait parfaitement normale puisqu'il était encore très jeune, donc en constante évolution, et que de se forger une personnalité et un caractère n'était pas une chose qui se faisait du jour au lendemain. Cette fois-ci les changements semblaient tout à fait positifs, et elle les constataient ravie.

-Oui je vais un peu mieux. La vie ici..dans ce monde je veux dire..c'est quelque chose de particulier et de..sauvage. Je pense que j'avais besoin de temps pour m'habituer. Enfin..si tant est qu'on puisse vraiment s'habituer un jour..

Elle sourit à l'emploi du mot sauvage, sans trop savoir quoi répondre à cela. Elle connaissait très bien le monde qui l'entourait et ses lois pour y être implantée depuis un bon moment mais, même si peu de choses pouvaient encore la surprendre et provoquer chez elle de l'incompréhension, elle n'était pas devenue blasée pour autant, et le monde avait toujours son lot de questionnements à offrir. Ce qu'il y avait de rassurant, c'est que plus les années passaient, meilleur était sa compréhension de l'univers, et de la nature de chaque être qui le peuplait. Ainsi s'il y avait une chose dont elle était certaine, c'est que, même si au départ la vie pouvait avoir quelque chose d'angoissant, à force d'y être exposés, comme quiconque s'expose à sa peur, les sentiments les plus dérangeants finissaient par s'amenuiser. Comme il en avait fait lui-même la remarque, Vegeo était en train de s'habituer, et Eleonor accueillait ses impressions non sans une certaine nostalgie. Il n'y avait qu'un seul mot sur lequel elle aurait pu buter, mais elle ne le fit pas. Peut-être que si elle avait été plus perspicace, la vampire se serait questionnée sur le pourquoi de l'usage du terme ''dans ce monde'', mais elle était à des années-lumière de se douter que Vegeo puisse avoir des souvenirs d'avant sa naissance. À vrai dire, elle ne connaissait pratiquement rien des élémentaires en général, seulement ce que quelques scientifiques aux observations éparses et parfois même contradictoires avaient accepté de révéler dans des articles. N'ayant donc rien interprété d'étrange dans ses propos, elle s'était contentée de hocher la tête.

-Plus le temps passe, plus on est confortable, tu verras, s'était-elle contenté de lancer à la dérobé.

Elle se souvenait de ses parents qui, alors qu'elle terminait son adolescence, étaient déjà vieux. La paix était venue chez eux avec la sagesse, et la quiétude avec l'expérience. C'était ce à quoi elle aspirait un jour, mais elle avait l'impression d'en être encore loin. Le jeune homme avait néanmoins précisé qu'il allait mieux, chose qu'Eleonor avait compris à la seconde où elle l'avait revu. Et qu'il allait peut-être chercher un logement ailleurs. Elle se demandait quel genre d'habitation il pouvait s'offrir avec le salaire d'une seule personne, surtout que ce salaire ne devait pas être faramineux. Lorsqu'il lui avait précisé un peu plus tôt quels étaient les emplois qu'il s'était trouvés, la vampire avait pris conscience non sans un certain dépit des possibilités qui s'offraient au jeune homme.

-C'est bien, c'est très bien, avait-elle alors déclaré en hochant la tête.

Et effectivement, elle avait été satisfaite d'apprendre la nouvelle situation de Vegeo, surtout étant donné que la dernière fois qu'ils s'étaient vus, il était sans emploi et vivait aux crochets de quelqu'un. Qu'il soit arrivé à se trouver des contrats par lui-même avait également quelque chose d'impressionnant compte tenu du néophyte qu'il était. Pourtant, Eleonor avait froncé les sourcils. Elle aurait pu sembler concentrée sur son rangement, la vérité étant que, malgré ce premier cap franchi, la vampire n'avait pu s'empêcher de trouver d'autres problèmes. Certes il enchainait les petits boulots par-ci par-là, et cela lui avait rapporté suffisamment d'argent pour se payer un logement, mais… après coup, elle s'était demandé s'il ne pourrait pas aspirer à mieux, autrement dit s'il ne valait pas mieux veiller à ce qu'il obtienne un diplôme, afin d'avoir un meilleur emploi et un meilleur salaire. Et ceci avait soulevé une autre question : où en était-il dans son cheminement scolaire? Il y avait certaines choses qu'il semblait connaître depuis sa naissance sans que toutefois on ait eu à les lui enseigner, il pouvait donc être plus avancé à ce niveau qu'Eleonor ne l'aurait présumé. Mais avant même de lui parler de certains tests qui pourraient indiquer où le jeune homme se situait à ce niveau-là, elle s'était d'abord se demandé s'il n'était pas déjà comblé par la vie qu'il menait. Si l'éducation était une chose importante pour elle, elle ne l'était pas nécessairement pour tout le monde, et peut-être aimait-il trop sa situation pour vouloir la changer. La vampire s'était alors dit qu'il valait mieux se réjouir de sa réussite pour le moment. Elle lui parlerait de ce genre de possibilité ultérieurement. La priorité avait été de lui trouver un emploi et un logement, le reste suivrait en temps et lieu. Elle lui avait donc seulement sommé de continuer d'apprendre l'anglais, langue essentielle dans le monde actuel.

Un déclic sonore se fit alors entendre, signifiant que l'eau était en ébullition. Eleonor se leva tout en disant :

-Je suis certaine que tu trouveras, il ne faut pas te décourager. Les logements, ce n'est pas ce qui manque dans cette ville.

Elle revint avec la théière et les tasses, dans lesquelles elle versa le brûlant liquide, puis attrapa la sienne afin d'apprécier le contact de la porcelaine chaude entre ses doigts. C'est à ce moment que Vegeo fit une déclaration qui laissa la vampire sans voix. Si elle avait été en train de boire du thé, elle se serait étouffée. Mais comme on le sait, dans la vraie vie, les gens ne sont pas toujours en train de boire ou de manger pile au moment où on leur annonce une nouvelle qui va provoquer chez eux une vive réaction, et d'ailleurs elle n'avait pas encore commencé à boire. Le regard grand ouvert tourné vers le jeune homme, elle finit par articuler :

-Mais… Vegeo… sais-tu seulement ce que ce mot signifie?

Les premières fractions de secondes durant lesquelles son cerveau analysa l'information, elle ne comprit que le sens premier des mots, et il lui vint à l'idée que cet homme puisse être amoureux d'elle, mais elle n'en fit rien. Car cette phrase était, par-delà la première interprétation qu'on pouvait en faire, chargée d'informations qui laissait entrevoir la naïveté avec laquelle ces mots avaient été prononcés. Il y avait d'abord l'usage du terme ''amoureuse''. C'était davantage le genre de mot qu'aurait pu employer un enfant qu'un homme adulte. Et il disait que c'était une chose apprise dernièrement, ce qui la laissait perplexe quant aux sources desquelles il tenait ses informations. Son ton de voix n'avait pas été accusateur, ni abasourdi, il s'était simplement fait calme et curieux. Elle ne voulait pas qu'il ait l'impression d'avoir eu des propos déplacés à son égard, et elle doutait d'ailleurs qu'il en comprenne parfaitement la signification. Et c'est en plongeant son regard dans les iris émeraude du jeune homme tentant de décrypter ce qu'il pouvait bien penser, qu'Eleonor vit qu'il subsistait en cet être plus d'innocence qu'elle ne se serait autorisée à l'imaginer.

-Oh je comprends, le pauvre homme...

C'était triste et touchant à la fois et… à bien y penser, parfaitement illogique! Comment pouvait-il savoir lire sans qu'on ait eu à le lui montrer, tout en ne sachant rien de la procréation? Il avait su parler très bien dès sa naissance et, puisqu'il avait pu retrouver son adresse, elle en déduisait qu'il connaissait aussi les chiffres. De telles connaissances étaient de bien plus haut degré pourtant! Elle réfléchissait à tout cela tout en continuant de scruter le visage du jeune homme, se questionnant sur l'étendue de son ignorance concernant le sujet. Car il était également plus que probable qu'il ne connaisse rien de la sexualité non plus. Pourquoi avait-elle cru le contraire? En fait, elle n'avait rien cru de cela, elle ne s'était simplement jamais posé la question. Cela faisait partie des connaissances qu'elle tenait pour acquis qu'il possédait. Or elle avait affaire à un pur novice. Comment était-il resté si ignorant dans un monde ou la connaissance (et surtout ce genre de connaissance) était si facile d'accès, ça elle ne le saurait probablement jamais. Prenant la situation avec philosophie, la vampire enchaîna, posée:

-Tu ne connais donc rien de ce qu'est l'amour, je me trompe? Et pour la sexualité ça doit être pareil.

La vampire pinça alors, avec le pouce et l'index, la partie de l'arête de son nez située juste entre ses deux yeux tout en fermant ceux-ci avec force, et soupira. Puis elle rouvrit les yeux, l'air serein. Que s'était-elle promis déjà? Ah oui, de s'impliquer réellement auprès de Vegeo, de s'enquérir de son sort. Hé bien c'était le moment ou jamais de tester sa promesse. Il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire désormais : il faudrait bien tôt ou tard qu'il soit informé de ce qui se passe chez les adultes. Et au fond, elle préférait qu'il apprenne ce genre de chose de sa part plutôt que de sources douteuse comme internet.

-Tu sais, sauf les élémentaires, personne ne nait du néant…

C'est ainsi qu'avait débuté un autre petit cours improvisé de la part du docteur Doherty. Mais l'auteure étant incertaine quant aux termes exacts qui peuvent et ne peuvent pas être utilisés ici, et se refusant à recourir aux euphémismes - car Eleonor n'en utilisa aucun - on se contentera d'abréger le dialogue qui suivit en ne faisant qu'un court résumé de ce que notre ex-médecin trouva utile de raconter. Elle entra d'abord dans le vif du sujet en lui révélant ce qu'était la procréation dans toutes ses étapes, jusqu'à la naissance (car la sexualité avait un but), en insistant cependant fortement sur la sexualité en elle-même, et en précisant qu'il existait certains moyens pouvant couper le cycle de reproduction justement à cette étape, ceci afin qu'il n'ait pas à vivre avec l'inquiétude de devenir père chaque fois qu'il s'adonnerait à ce genre d'activité. Ses explications étaient plutôt techniques et contenaient parfois des termes biologiques inutiles, elle expliquait comme un médecin. Néanmoins, l'information était là. Notre professionnelle de la santé avait ensuite enchaîné en parlant, plus difficilement, du sentiment complexe qui liait les hommes aux femmes, de ce qu'était le couple et comment l'amour soudait de telles relations. Puis elle avait cessé ses explications pour lui laisser la chance d'assimiler un peu. Tout comme lors de ses enseignements prodigués à l'hôpital il y avait de cela plusieurs mois, elle vérifiait mentalement que tout avait été dit. Elle avait une nouvelle fois abordé un thème plutôt large, alors évidemment elle ne pouvait pas avoir couvert le sujet en entier. Mais l'essentiel, et même plus, avait été dit.

-Ce n'est pas tout ce qu'il y a à savoir, mais ce sera suffisant pour le moment je pense. Tu as des questions?

Elle prit alors un instant pour réfléchir un peu à tout ce qu'elle venait de dire, les yeux rivés sur son thé qui avait beaucoup refroidi, et auquel elle n'avait toujours pas goûté. Y avait-il d'autres sujets comme celui-ci qu'elle croyait maîtrisés par l'élémentaire alors que ce n'était pas le cas? C'était fort probable. Ce genre de connaissance était pourtant tout à fait essentiel. La réponse lui aurait été totalement inutile, mais elle se demandait, non sans un certain amusement, s'il lui était arrivé de se faire draguer par des femmes et de ne rien y comprendre. Au fond, c'était tout à fait possible - car Vegeo était bel homme - et imaginer ses probables airs décontenancés lui faisait réaliser que, peut-être, il avait plus besoin de quelqu'un pour le guider qu'elle ne l'aurait cru. Et elle était là justement. Ce n'était peut-être pas le meilleur temps pour elle, il aurait été préférable qu'elle se soit remise de tous ces évènements qui ont chamboulé sa vie, mais elle devait bien aller chercher du travail tôt ou tard. Et puis ses formes ne pouvaient pas être davantage visibles sur son sofa. C'était l'heure.

-J'aurais aimé avoir une meilleure situation financière avant de réitérer ma proposition, mais cette discussion m'a fait réaliser que peut-être il vaudrait mieux que tu ne restes pas complètement seul pour le moment. J'ai l'impression qu'il te reste plus de choses à apprendre que tu ne le laisses voir, et il faudrait pallier à ces lacunes. Cette maison est bien assez grande pour deux, et ça me permettrait de t'avoir à l'oeil. Cela dit, ça reste une proposition.

Sans s'être rendu compte qu'elle venait d'effleurer le sujet de son état financier, Eleonor soutenait le regard de l'élémentaire tout en buvant une toute première gorgée de son thé. ''Un peu sucré, mais plutôt bon'', avait-elle pensé.

Spoiler:

Message par Invité Lun 10 Juin - 2:23

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Un souvenir revint à la mémoire de l'élémentaire. C'était ce jeune homme, rencontré dans la forêt plusieurs mois plus tôt. On pouvait se demander pourquoi il pensait à lui en un moment pareil. La réponse n'était pas bien complexe: il se souvenait de leur conversation, au cours de laquelle ils s'étaient plongés dans un long débat sur l'univers et ses mystères. La vie, la mort, les limites qui étaient censées délimiter l'existence du néant, étaient ainsi apparues comme des frontières bien floues, qui en fin de compte pouvaient être franchies assez aisément. Cette discussion, il l'avait eue avant l'incident. Ce qui ne changeait rien au fait que par la suite, ses pensées s'étaient souvent retrouvées à vagabonder sur ce sujet épineux. Mais aucune réponse ne semblait pouvoir sortir un jour de ses questionnements. La seule chose dont il était à peu près certain, c'est que le monde dans lequel il évoluait à présent n'était pas le seul. Il en existait d'autres. Ces strates d'existence - c'était la seule expression qui lui venait à l'esprit pour qualifier la chose - étaient là, quelque part, entre le début et la fin de tout, mais aussi au-delà. Le sujet était complexe, c'était bien l'unique certitude qu'il avait. Il cligna des yeux pour chasser ces ruminations philosophiques et voir la vampire se lever. Dans la cuisine un léger bruit venait de se faire entendre: c'était le thé qui était prêt. Il sourit.

Au cours de cette mauvaise passe qu'il avait connue, quelques mois auparavant, il s'était lancé dans l'apprentissage de nombreuses choses. Le thé et tout ce qui entourait sa préparation constituait une des découvertes favorites de l'élémentaire. On aurait pu penser - à juste titre - que le fait d'être un élémentaire de Nature vaccinait contre la consommation de plantes. Ce n'était pas le cas, tout du moins pas pour Vegeo. Bien évidemment, l'eau restait la boisson qu'il aimait le plus: les fleurs n'étaient pas les seules qui avaient besoin d'eau et de soleil pour s'épanouir. Mais son lien avec son propre élément était un autre de ces sujets compliqués, que l'élémentaire n'avait pas encore bien cerné. D'ailleurs, depuis l'incident, l'utilisation de ses capacités s'était retrouvée graphiquement au niveau zéro. Il n'aurait pas été déplacé de dire que Vegeo Natus, pourtant élémentaire, avait plus de points communs avec les humains qu'avec ceux de sa propre race, qui devaient user de leurs pouvoirs bien plus souvent que lui ne le faisait.

Pendant qu'il entendait la doctoresse s'affairer dans la cuisine, il se posait des questions sur ce qui pouvait conduire une personne à des postes de ce genre. Docteur, avocat, policier, banquier, agent immobilier, vendeur de voitures ou même tout simplement forain, cuisiner, bûcheron, tailleur: autant de métiers qui constituaient pour lui le nirvana. C'était une erreur de penser que l'élémentaire avait postulé uniquement dans les endroits où l'on prenait des étudiants. En effet, les domaines de l'employé de fast-food, de caissier, d'homme à tout faire, que les étudiants envahissaient souvent, n'avaient pas été ses seules cibles. Il avait postulé un peu partout, essuyant parfois des refus, car n'ayant pas de diplômes en poche. Il s'était donc interrogé sur ce qu'étaient ces fameuses qualifications qu'il fallait avoir pour pouvoir accéder à tel ou tel poste, mais n'avait jamais vraiment entamé de recherches pour trouver des réponses: après tout il avait entre-temps trouvé de quoi gagner son pain.

Elle revint alors et il posa la fameuse question qui le taraudait tant : Eleonor Doherty était-elle son amoureuse ? Nul besoin de préciser qu'en voyant la mine de son interlocutrice, Vegeo suspendit son geste - qui visait directement la seconde tasse de thé, qui lui était destinée - et se recula dans le fauteuil. Une ambiance relativement étrange venait de s'inviter dans la pièce.

"Mais… Vegeo… sais-tu seulement ce que ce mot signifie?"

"Heu...je..."

L'incompréhension semblait être présente des deux côtés. Sentant qu'il venait de commettre une erreur, il ne put s'empêcher de détourner son regard de celui de la doctoresse, qui l'observait maintenant fixement. Il entendit alors la jeune femme susurrer le mot pauvre homme , ce qui acheva de transformer sa curiosité de quelques instants plus tôt en une gêne qui colora son visage d'un rouge délicat. La gêne. Encore un de ces sentiments qu'il ne supportait pas. Le jour de sa naissance, il s'était bien gardé de se sentir mal à l'aise, alors qu'il marchait littéralement nu dans les bois. Depuis qu'il avait reçu les enseignements d'Eleonor - et observé les habitudes des humains - cette émotion bien connue s'était pourtant gravée lentement mais sûrement dans ses habitudes. Il fallait croire que c'était un mal pour un bien, que la bonne éducation avait aussi ses mauvais aspects. Que c'était gênant d'être gêné..

Les pensées semblaient s'enchaîner dans l'esprit de son hôte. Lui, de son côté, se tortillait doucement dans son siège. Il n'était pas extrêmement dérangé - après tout la sienne n'était qu'innocente curiosité - mais avait tout de même l'impression qu'il ne savait pas quelque chose qui était pourtant d'une importance capitale dans le monde des Hommes. C'était nettement la sensation qu'il éprouvait en ce moment-même: celle d'être le seul à ne pas être au courant. La logique aurait poussé n'importe quelle personne douée de bon sens à se demander pourquoi il n'était pas au courant ; pourquoi il ne savait rien de l'amour et de ses dérivés ; pourquoi l'élémentaire, dont le corps était celui d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, n'avait jamais rien éprouvé sur le plan de l'attirance sexuelle. La réponse à cette question logique n'existait pas: c'était comme ça. Vegeo Natus était un tableau blanc, une personne dotée des savoirs les plus basiques (capacités de lecture, de calcul, etc..) pour un être humain, mais qui ne savait à vrai dire pas grand chose du reste. Surtout sur le domaine des rapports de la société avec elle-même. Pour faire simple et pour fournir une comparaison plus simple, il était comme un ordinateur: si personne ne l'orientait, il ne faisait pas grand chose de ses journées. Il ne se concentrait que sur les tâches qui étaient nécessaires à sa survie. Bien sûr il n'était pas aussi toujours aussi simpliste dans son fonctionnement: le fait d'être un humain pousse par nature la curiosité à son paroxysme ; mais son intérêt grandissant pour la compréhension du monde ne s'était jamais heurté de plein fouet au sentiment amoureux et au sexe. Aucun livre sur ce sujet chez son ancien hôte, ni ailleurs. Il était littéralement passé à côté de la chose, sans s'en rendre compte.

"Tu ne connais donc rien de ce qu'est l'amour, je me trompe? Et pour la sexualité ça doit être pareil."

"..."

À vrai dire, et c'était bien normal, l'amour était un sentiment qui était présent à son répertoire émotionnel. Mais il l'éprouvait, sous ses divers aspects, sans savoir ce que c'était exactement. L'amour du vent sur sa peau quand il était dans les bois ; l'amour de l'odeur des feuilles ; du chant du bois qui craquait sous ses chaussures ; l'amour du pardon ; l'amour de la vie ; l'amour des personnes pour lesquelles il avait l'impression de compter ; mais aussi l'amour de ces dernières pour ce qu'elles étaient. Ce n'était pas l'amour au sens commun que connaissait Vegeo, c'était celui le plus simple qu'il soit: celui de l'existence en somme. L'ambiance changea et, alors qu'il restait doucement caché dans un silence apaisant, Eleonor prit le temps de lui expliquer, ce qui ne manqua pas de le désarçonner. Sans piper mot, il écouta la doctoresse parler et, plus d'une fois, pendant l'enseignement improvisé, le sang lui monta à la tête. L'imagination fertile de l'élémentaire, à présent soumise à un nouvel engrais, lui montrait des images dont la précision était encouragée par le récit de la doctoresse. Plus d'une fois aussi, il s'obligea à regarder ailleurs qu'en face de lui: tout d'un coup la présence du sexe féminin prenait un autre sens. Sous forme d'explosion, un grand bagage de connaissance s'installa dans son esprit: de nouveaux souvenirs de son côté humain semblaient ressurgir. Une fois la leçon terminée, elle demanda s'il avait des questions. À son tour, il pinça son nez comme elle, quelques minutes auparavant.

"...Hmmm..non mais..c'est beaucoup d'un coup..." fit-il presque en gémissant, en se massant les paupières.

Un nouveau panel d'émotions et de sensations venait de s'installer dans son esprit. Une porte venait de s'ouvrir. Définitivement dérangé par tout ce qu'impliquaient les relations amoureuses, il déboutonna un deuxième bouton de sa chemise, pour prendre un peu d'air, et chassa les images qui continuaient de revenir. Toute sa libido semblait s'être libérée d'un coup. Il toussota un peu et porta à nouveau son regard sur Eleonor, tout en tirant un peu sur son col. Son visage était coloré du rouge rubicond qui habitait parfois le visage des enfants timides. Il se pencha en avant et saisit sa tasse de thé. Il ajouta un sucre, prit une cuillère pour tourner le tout, pour ensuite boire lentement le breuvage.

*Que la vie est compliquée..plus que je ne le croyais..* songea-t-il en pensant à ses quelques mésaventures avec la gent féminine.

Il se laissa le temps de digérer l'information. Après un moment elle reprit la parole, pour lui faire une proposition qui lui fit reposer sa tasse. Encore un peu perturbé par les révélations précédentes, il se massa la nuque avant de répondre. L'idée de ne plus être seul appliquait un baume apaisant sur son cœur ; d'un autre côté il appréciait aussi beaucoup la compagnie de la jeune femme, il se sentait bien en sa présence, puis elle était la seule qui prenait du plaisir à lui apprendre ces choses qui lui faisaient défaut. Les avantages étaient amplement plus nombreux que les inconvénients.

"Eh bien..je dois dire que l'idée me plaît bien..ce serait avec plaisir.." fit-il en reprenant une couleur normale.

Il cligna soudain des yeux. Quelque chose ne collait pas. Elle venait de parler de sa situation financière qui, théoriquement, devait pourtant être assez bonne. L'élémentaire reprit contenance et s'avança pour reprendre sa tasse. Il plongea son regard dans celui d'Eleonor en l'observant d'un nouvel œil. Son visage fin dégageait un charme qu'il n'avait pas remarqué lors de leurs précédentes rencontres. Il passa une main dans ses cheveux blonds et, alors qu'une douce teinte de rouge s'abritait sur ses joues, il parla.

"Tu..tu sais je t'aiderai pour le loyer...et pour le reste ça va de soi. Et puis, si comme tu le dis tu as des problèmes financiers..je peux toujours prendre un autre travail..je suis libre l'après-midi, ça me laisse un créneau de plus pour gagner de l'argent.."

Spoiler:

Message par Invité Mar 18 Juin - 20:31

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Vegeo avait rougi jusqu'aux oreilles tandis que l'ex-chirurgienne avait donné sa leçon. Elle avait, à certains moments, ralenti ses explications pour lui laisser un peu d'air. Elle ne voulait pas le gêner, mais tenait à ce que tout soit clair pour lui, et ne laissait donc aucun détail dans le doute. Et puis il n'y avait plus de retour possible, elle se voyait mal interrompre ses paroles dans un tel moment, tenant de tels propos. La vampire acheva donc ses explications tandis que le regard fuyant du jeune homme se promenait sur les meubles du salon. Il n'était pas du tout à l'aise, et de son côté Eleonor se retenait pour ne pas afficher de sourire amusé : car ce n'était pas drôle, voyons! Il faut dire que parler de sexualité ne la gênait aucunement, à un point tel en fait qu'elle avait oublié la vive réaction que cela pouvait engendrer chez certaines personnes. À force d'en parler, à force d'entendre ces mots, ils finissaient par cesser de bourdonner aux oreilles. Mais peut-être aurait-il eu besoin de se faire expliquer tout cela plus en douceur? Sa tasse de thé chaude toujours prise entre ses doigts glacés de vampire, Eleonor l'observait tirer son col, défaire un bouton de sa chemise, chercher son air. Elle avait presque envie de lui demander s'il allait bien, mais au fond elle savait que sa réaction était on ne peut plus normale, et qu'il fallait seulement lui laisser un peu de temps. C'était du moins la conclusion à laquelle elle arrivait si elle comparait la réaction du jeune homme à la sienne lorsqu'elle avait elle-même été informée pour la première fois de l'existence des plaisirs de la chair. La vampire avait à ce moment déjà 18 ans, et ces explications ne lui avaient été fournies que parce que la plus vieille de ses soeurs avait voulu lui faire comprendre pourquoi elle avait causé de l'embarras à tout le monde en demandant à un couple, lors d'un dîner familial, s'il faisait bien leur ''devoir conjugal''. C'est qu'Eleonor, qui avait lu ce terme dans des textes religieux, avait toujours cru qu'il s'agissait d'une expression signifiant ''prendre soin l'un de l'autre''. Les époux font leur ''devoir conjugal'' en étant à l'écoute des besoins de l'autre, en étant là l'un pour l'autre, etc. Bref, une fois ce moment survenu - moment qui d'ailleurs figurait parmi les plus embarrassants de sa vie - sa soeur l'avait prise à part pour lui donner les explications que ses parents n'avaient jamais cru bon de lui prodiguer. Pas qu'ils aient voulu se jouer d'elle en la gardant dans l'ignorance cependant. C'était juste les moeurs rigides d'une autre époque durant laquelle on ne parlait pas ouvertement de ''ces choses-là''. Tant son père que sa mère s'étaient dit qu'il vaudrait mieux ne l'informer de ce genre de chose qu'au moment où elle recevrait une demande en mariage. Sauf que, comme on le sait, ils décédèrent avant cela. Bref, sa soeur lui avait fourni lesdites explications, mais celles-ci avaient été très évasives, très floues. Et Eleonor, qui s'était trouvée fortement embarrassée par les paroles de sa soeur d'une part, et par les propos qu'elle avait eus plus tôt dans la journée d'autre part, s'était retenue de poser des questions, parce qu'à 18 ans, elle était une jeune femme très timide et réservée. Ainsi, elle souffrit de ce manque de connaissance jusqu'à l'âge avancé de 24 ans, moment de ses premiers émois tardifs… Mais encore une fois, trêve de souvenirs!

La vieille vampire s'était remémoré cette journée en une fraction de seconde, avec une apaisante nostalgie, puis le souvenir s'était aussitôt évanoui. Qu'est-ce qu'elle en avait vécu des choses, au cours de sa longue vie. De la honte, de la joie, de la colère, de la tristesse, de l'émerveillement, et toutes ces émotions, tous ces évènements qui s'étaient succédé dans sa vie durant le siècle dernier lui avaient apporté différentes leçons. Ainsi s'était-elle promis que, si un jour elle avait des enfants, elle leur donnerait des explications claires et détaillées sur absolument tout, sans jamais leur mentir, ni leur laisser croire que la curiosité était une chose dont il fallait avoir honte. Les circonstances firent en sorte qu'elle n'en eut aucun, mais elle venait d'appliquer ce principe avec Vegeo, ce qui en soi était une réussite. Reprenant place dans le présent, elle avait fait sa proposition au jeune homme, qui de son côté avait encore le visage rouge comme une pivoine. Elle estimait lui avoir laissé suffisamment de temps pour assimiler ses mots, et avait l'impression qu'il n'oserait pas être le premier à briser le silence de cette ambiance qui semblait pour lui difficile à supporter. Il avait pris la peine d'y réfléchir un peu, puis avait accepté avec au visage le teint qui l'avait quitté plusieurs minutes plus tôt. À ce moment, Eleonor avait eu, au fond des yeux, une étincelle de satisfaction. Il lui avait fallu faire sa demande deux fois, mais le jeune homme avait fini par accepter son aide. Enfin, il était sous ses bons soins, et n'était plus laissé à lui-même. Plus question qu'il se retrouve à la rue ou dans de mauvaises situations, elle l'instruirait au meilleur de ses connaissances afin d'éviter cela. ''Et comme ça les biscuits que j'ai achetés ne finiront pas à la poubelle.'', pensa-t-elle stupidement.

- Tu..tu sais je t'aiderai pour le loyer...et pour le reste ça va de soi. Et puis, si comme tu le dis tu as des problèmes financiers..je peux toujours prendre un autre travail..je suis libre l'après-midi, ça me laisse un créneau de plus pour gagner de l'argent..

Dans un premier temps, elle ouvrit grand les yeux, se rendant enfin compte qu'elle avait parlé de son mauvais état financier. Elle ne voulait pas l'inquiéter inutilement avec ça; si elle lui faisait une telle offre, ce n'était pas pour, du même coup, lui réclamer de l'argent. Et puis elle était encore loin du gouffre, il lui suffirait de payer sa part, et pas plus. Mais elle reconnaissait bien là la gentillesse légendaire du jeune homme. À peine avait-elle suggéré avoir un état financier peu enviable que déjà il proposait de trouver un autre emploi pour la soutenir, lui qui venait tout juste de se remettre sur pied et n'avait officiellement de domicile que depuis à peine une minute. Elle lui adressa un sourire chaleureux.

- Mon état financier n'est pas si mauvais, il va juste falloir que je me trouve un emploi sous peu... Et pour le loyer, pas besoin de t'en faire: cette maison est entièrement payée, et ce, depuis le jour où j'en ai fait l'acquisition. J'exerce… ou plutôt j'ai exercé le métier de chirurgienne pendant plus de quarante ans, et ce petit pactole m'a permis d'amasser pas mal d'argent au fil du temps. Je l'ai mal géré dernièrement, voilà tout.

Cela faisait beaucoup d'information qu'elle transmettait au jeune élémentaire d'un coup, information qui d'ailleurs devait soulever plus de questions qu'elle n'apportait de réponses. Elle hésita un petit moment à continuer, à avouer la raison pour laquelle elle n'avait plus d'emploi, la raison pour laquelle elle avait passé les deux derniers mois toute seule chez elle à broyer du noir, et les circonstances qui entouraient tout cela. En avait-elle trop dit? Plus elle y réfléchissait, plus il était clair que non: s'ils devaient cohabiter, elle devrait bien tôt ou tard le mettre au courant de la raison pour laquelle elle avait une si mauvaise mine. Autrement ce n'était pas honnête, et puis il était certain qu'il finirait par se rendre compte qu'elle ne travaillait plus à l'hôpital d'une façon ou d'une autre, éventuellement. Il y avait des tas d'inconnus qui étaient au courant de ce qui s'était passé, alors pourquoi ne pas en informer le jeune homme? Elle déduisait par son attitude de envers elle qu'il ne devait pas être au courant, ce qui n'était pas si étonnant : avec tous les crimes qui étaient perpétrés dans cette ville, les médias avaient fini par la laisser tranquille et s'intéresser à autre chose, ainsi ce genre de scandale basculait vite dans l'oubli. Il n'y avait qu'elle qui n'arrivait pas à oublier. Mais comment lui expliquer tout cela? Elle pensa soudain à un moyen plus efficace que ses mots pour lui faire comprendre. C'était un peu honteux à avouer, et ce n'était pas de gaité de coeur qu'elle s'était mise à farfouiller dans le tiroir d'un petit meuble situé juste à côté du fauteuil dans lequel elle était assise, mais elle s'y était résigné, et pas de meilleur moyen que celui-ci; car tout y était inscrit. De toute façon que pouvait-elle faire d'autre? Elle n'allait tout de même pas inventer des histoires ou lui mentir.

- J'ai ici quelque chose qui devrait tout expliquer… Ah, voilà!

Dans ses mains se trouvait une copie du journal dans lequel étaient décrits un résumé, puis le dénouement de son procès. On pouvait y lire les accusations portées contre elle, et les évènements qui s'étaient produits lors des trois jours sombres. Il était déjà ouvert à la bonne page, et Eleonor l'avait tendu en direction du jeune homme, l'encourageant à lire. Elle espérait au fond d'elle-même que cela ne change pas la façon dont il la percevait, mais savait bien que ce ne serait pas le cas, qu'apprendre qu'elle ait pu commettre pareils actes n'allait certainement pas le laisser de glace. C'était une réalité avec laquelle elle devrait désormais composer. Le regard sérieux plongé dans son thé à moitié vide, elle laissait le jeune homme parcourir les colonnes de l'article.

- Pour ce que ça vaut, sache que je regrette sincèrement ce qui s'est passé, mais que je ne peux rien y changer.

Message par Invité Ven 5 Juil - 2:38

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Buvant une gorgée du thé chaud, Vegeo attendait une réponse de sa nouvelle hôtesse. Plus les secondes passaient plus l'idée de vivre ici, dans cette grande maison, avec cette personne, lui plaisait. Il se concentra un instant sur le liquide chaud coulant dans sa gorge. Une nouvelle énergie semblait l'envahir : le thé avait des effets de ce genre chez ceux qui prenaient le temps de savourer leurs goûts tantôt épicés tantôt doux. Une mèche retomba sur son front, masquant sa vue et lui donnant un air de peluche. Il soupira intérieurement et reposa sa tasse, pour ensuite tenter de soulever sa mèche grâce à son souffle. Maigre tentative qui se solda par un échec cuisant et qui l'obligea à utiliser ses mains pour recouvrer un minimum de sa vision.

Les choses allaient si rapidement dans sa vie qu'il avait rarement le temps de faire plus ample connaissance avec les personnes qu'il croisait. À ce titre, il se posait encore beaucoup de questions sur la jeune femme, ce depuis leur toute première rencontre. Comment était son quotidien ? Était-elle heureuse ? Quelle était son histoire ? Depuis quand vivait-elle ? Après tout, les vampires semblaient avoir une longévité fort appréciable - du moins les livres disaient ainsi. Son âme n'était probablement pas aussi vieille que celle de sa partie naturelle (qui existait probablement depuis plusieurs milliers d'années) mais sûrement plus que celle de Calions, l'humain qui avait tout sacrifié pour lui donner une chance d'exister. Quoi qu'il en soit, et c'était la seule chose de certaine : elle était plus âgée que lui, qui n'avait même pas atteint sa première année en ce monde. Il se posait aussi une autre question, depuis quelques instants : cette jeune femme qui aidait les gens, était-elle aidée de temps en temps ?

Il ne se laissa pas le temps de divaguer sur cette idée et reporta son attention sur la doctoresse, qui était sur le point de répondre à sa proposition d'aide. Il avait à cœur de participer au quotidien - financier et social - de celle qui lui offrait un nouveau foyer. Acte honorable et bon qui avait pourtant une teinte d'égoïsme : il désirait conquérir une certaine autonomie et ne voulait plus s'autoriser à vivre sur le dos d'une autre personne, comme il l'avait fait avec l'inquisiteur pendant un moment. Lui qui avait encore parfois en tête cette illusion de sauver la forêt, qui avait encore parfois en tête les images macabres d'un passé beaucoup trop sombre ; se devait d'apprendre à s'impliquer. S'il voulait protéger ce qui lui était cher et être capable de défendre ceux qui en avaient besoin, il devrait bien cesser d'observer pour enfin agir. L'opportunité semblait se présenter : il pouvait enfin tenter d'être là pour quelqu'un d'autre que lui-même. Finalement la réponse arriva.

Il écouta attentivement sans rien dire. Il était étonné par plusieurs des informations qu'elle était en train de lui fournir. Tout d'abord il ne savait pas trop quoi penser du fait qu'elle devait se trouver un nouvel emploi - il se demandait pourquoi elle avait quitté l'ancien, qui semblait pourtant lui convenir. Après une mince tentative pour comprendre, il se fit la remarque qu'il ne savait pas tout de la vie de la vampire et que les raisons pouvaient être multiples. Il bloqua ensuite sur les nombreuses années passées à travailler dans le milieu.

*Quarante ans...les vampires sont lents à vieillir.* songea-t-il en se demandant à partir de quel âge un vampire semblait vieux.

La question de l'âge souleva soudain un doute dans son esprit : quelle était la durée de vie d'un élémentaire ? Après tout il semblait être de cette race là - tout du moins c'était ce qu'il avait découvert après en avoir discuté avec une représentante de la race, qui elle était née de l'eau. Mais plus troublante encore était la seconde question qu'il se posait. Lui qui était théoriquement à mi-chemin entre l'humain et l'élémentaire, combien de temps allait-il fouler le sol de ce monde ? Il frotta son index droit contre sa tempe, comme pour organiser ses idées. Mais pas moyen de trouver une réponse : c'était une de ces choses qu'il devrait attendre d'observer avec les années. Il se résigna donc à prendre son mal en patience : il attendrait la faucheuse en profitant. Inévitablement elle viendrait vers lui, lui prenant la main pour l'accompagner vers son ultime voyage. Un bruit de cuillère tintant résonna d'un coup et l'élémentaire fut contraint de reposer la tasse qu'il venait de reprendre. Sa main droite tremblotait doucement. Prendre soudainement conscience que sa vie avait une fin venait de glisser en lui un léger sentiment d'horreur.

*Un jour je m'éteindrai..et ceux que j'aime aussi...* pensa-t-il en sentant son cœur battre un peu plus vite.

Il toussota pour reprendre contenance. La fin n'était qu'une étape, et pourtant elle semblait si intense qu'il était désagréable de l'envisager. Il passa sa main sur son menton et regarda Eleonor, un peu perdu par l'idée qui en une fraction de secondes venait de traverser son esprit. Sans le savoir, son regard apaisa Vegeo dont le visage se colora doucement d'un rouge léger. Même si le prix était lourd, la vie méritait d'être vécue pleinement et en bonne compagnie. Pas le temps de répondre néanmoins car la jeune femme se lança soudainement à la recherche de quelque chose dans un tiroir proche. Intrigué, il pencha la tête pour mieux l'observer. Son regard passa cependant du meuble à l'ancienne doctoresse. Il repensa à ses paroles concernant les relations entre les hommes et les femmes. Il se souvint aussi de l'amour et de toutes ses dérives, concepts compliqués pour un être aussi jeune que lui. Pourtant il avait une idée de la chose : ce n'était pas si différent de l'amour qu'il avait pour la vie elle-même et pour la végétation de la forêt vierge ; c'était juste plus fort. Son bras était posé sur l'accoudoir, sa tête posée sur sa main droite. L'élémentaire était rêveur. Il détaillait la vampire en se disant que sa présence suffisait à le calmer et que c'était une bonne chose.

*Pourquoi remarquer ça après ses explications ?*

Trop concentré sur ses soucis, il ne s'était probablement jamais rendu compte de rien. Aborder le sujet avait sûrement réveillé quelque chose. Il secoua sa tête comme pour se sortir d'un rêve, alors qu'elle reprenait la parole. Elle lui tendait un journal ouvert sur de nombreuses lignes, en lui disant que tout y était expliqué. Curieux de son geste, qu'il ne comprenait pas entièrement, il prit le journal et commença à le lire, après la phrase mystérieuse de la jeune femme. Force était de constater qu'il se prépara, avant de commencer la lecture, à un effort de concentration. En vérité il n'aimait pas les journaux, qui beaucoup trop souvent ne faisaient que proposer à la vue des lecteurs atrocité sur atrocité. Sans jamais trouver de solutions, les journalistes ne présentaient que les problèmes de ce monde. Pour lui c'était du papier gaspillé. Néanmoins il devait se forcer un peu, pour comprendre de quoi parlait son hôtesse. Alors il lut.

C'était comme s'il lisait une histoire. Celle-ci parlait d'une jeune femme et d'un procès, de son procès. Le récit commençait en précisant un passé hypothétique où en fin de compte selon le journaliste, peu de choses étaient crédibles. La vie de la jeune femme avait été passée au peigne fin, on pouvait tout lire ou presque. Après quelques précisions sur les meurtres peut-être commis par des lycans, l'article parlait des trois jours sombres. Il relatait l'histoire de la jeune femme qui, devenue doctoresse, s'était retrouvée dans un camp pour soigner des blessés. Il ajoutait aussi que la vengeance était passée devant le devoir et qu'un lycan innocent, malheureusement, s'était retrouvé dans les mains d'une personne qui finalement était beaucoup trop instable pour mériter son titre. On y disait, dans ces lignes, que cette personne était raciste, qu'elle avait volontairement fait preuve de négligence, qu'elle avait torturé et que sa froideur lors du procès prouvait qu'en plus, elle n'avait aucun problème de conscience. Au cours de sa lecture, Vegeo releva à plusieurs reprises son regard vers la vampire, sans trop savoir quoi penser. D'un côté il n'aimait pas trop les journaux et leurs exagérations, d'un autre côté il doutait que les journalistes inventent des histoires de ce genre pour passer le temps et attirer les lecteurs. Il y avait peut-être un fond de vérité. Désarçonné, il reposa le journal sur la table basse avant de se poser contre le dossier du fauteuil en soupirant. La personne décrite dans l'article et celle qu'il connaissait ne se ressemblaient pas vraiment. Ainsi donc Eleonor Doherty avait été rayée de l'ordre des médecins pour cette raison. Que devait-il en penser, lui, qui venait de décider de vivre avec elle ? Devait-il la mépriser pour son acte ? Devait-il la condamner ? Devait-il la pardonner ?

*Ce n'est pas à moi de faire ce genre de choses..je dois juste me faire un avis..est-ce ce qu'elle attend de moi ?*

La logique voulait pousser Vegeo à penser que ces choses étaient horribles. Pourtant son instinct lui demandait d'y repenser. Après tout il devait bien y avoir une bonne raison, l'histoire de la vampire devait être vraie. Il se souvint sur l'instant de leur rencontre dans les bois, le jour de sa naissance ; il se souvint qu'elle avait décidé de le prendre à l'hôpital après seulement quelques moments passés ensemble dans la forêt ; il se souvint qu'après seulement trois rencontres, elle s'était proposée de l'accueillir chez elle pour l'aider. Non, cette personne et celle du journal ne pouvaient pas être les mêmes. La souffrance naissait de la souffrance : si ce lycan avait souffert, il devait y avoir une bonne raison. Il ne pouvait que lui faire confiance et croire son histoire. Par ailleurs, Vegeo avait déjà pardonné à celle qui était la plus grande meurtrière de l'histoire des trois jours sombres, il avait pardonné à celle qui avait ravagé la forêt et provoqué sa naissance. Le jour de sa venue au monde, il avait compris que la haine de la darkness n'était probablement que le résultat de la haine des autres habitants de ce monde. Chaque conséquence dérivait directement d'une action et donc, si la haine d'Elisabeth avait une explication, l'acte d'Eleonor en avait une aussi. Pour autant, faire souffrir quelqu'un n'était pas aisé à pardonner..mais beaucoup plus à comprendre, spécialement dans le cas de l'ancienne doctoresse - il avait une idée de son histoire et comprenait sa réaction.

*Tout n'est qu'un cycle. La violence engendre la violence, le mal donne naissance au mal, même chez les personnes les plus tendres de ce monde..*

Impossible en effet d'oublier que lui-même avait sa part d'ombre. En lui aussi sommeillait un monstre capable du pire. Il ne l'avait croisé qu'une fois, cet animal en lui, dans la forêt lors de sa rencontre avec un Lightness. Ce dernier l'avait attaqué - et le naïf élémentaire ne savait toujours pas que c'était le cas en fait - en l'exposant à un orbe magique aux pouvoirs bien sombres. Vegeo ne savait pas comment il était devenu si violent et pensait encore que l'individu ne lui voulait aucun mal. Peut-être une prochaine rencontre allait-elle lui ouvrir un peu plus les yeux. L'orbe ayant absorbé tout ce qu'il y avait de positif en lui, il ne s'était retrouvé avec rien d'autre au fond du cœur que la haine des humains et de nombre d'autres créatures. En fin de compte, c'était bien ça : tout n'était qu'un cycle, un sentiment néfaste ne pouvait semer qu'un sentiment identique à lui-même. Quoi qu'il en soit, il vouait une grande affection à la vampire et ne doutait pas un instant qu'elle puisse avoir des circonstances atténuantes. Il se pencha donc en avant pour refermer le journal tout en la regardant avec douceur - non sans rougir légèrement encore une fois, sous l'effet du charme nouveau qu'il lui trouvait.

"Nous faisons tous des choses dont nous sommes peu fiers.." fit-il en tapotant la première page du journal, toujours en la regardant dans les yeux "..et je n'ai rien à dire sur ça. Même si l'acte est à condamner..je suppose que tu avais une raison, donc tu n'as pas besoin de t'excuser.." ajouta-t-il en souriant doucement.

Il hésita un instant puis ajouta en détournant un peu le regard.

"Et puis..je ne t'en veux pas. Enfin..je veux dire..ne t'inquiètes pas, je t'aim....je t'apprécie toujours autant, rien n'a changé !"

Vegeo ne savait plus où se mettre, lui-même perturbé par les paroles qu'il était sur le point de prononcer. Il se leva de son fauteuil d'un bond, tout en tirant un peu nerveusement sur ses boutons de chemise.

"Bon..eh bien..heu..je vais contacter l'agence pour annuler ce fameux rendez-vous pour l'appartement ! Je reviens tout de suite !" lança-t-il à la dérobée en sortant un vieux téléphone portable de sa poche et en quittant la pièce.

Il s'absenta donc dans le couloir le temps d'arranger cette histoire de visite, pour ensuite revenir environ cinq minutes plus tard. Il s'installa à nouveau dans le fauteuil, un peu plus taciturne, le regard parcourant la pièce en évitant soigneusement la zone où se trouvait Eleonor. La collocation commençait plutôt bien, mais c'était un départ plutôt troublant.

Spoiler:

Message par Invité Ven 19 Juil - 11:06

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La vampire vidait sa tasse de thé d'un trait. Certaines appréhensions lui venaient en tête, la mettait mal à l'aise. Guignant le journal, puis le visage du jeune homme, elle ramenait ses yeux sur sa tasse vide dès qu'il levait son regard sur elle. Quoiqu'elle gardait un air neutre, elle était néanmoins très attentive à chacune des mimiques de l'élémentaire. Qu'allait-il bien pouvoir penser de tout cela? Cela faisait beaucoup d'information en même temps. Des informations qu'elle n'était pas spécialement fière de partager. À ce moment exact, au milieu du lourd silence qui s'était installé dans la pièce, et qui n'était interrompu que par les froissements de papier occasionnels et le tic tac rythmé de l'horloge, Eleonor avait l'impression d'être une enfant qui avait choisi d'aller se dénoncer dès son méfait accompli, et ce, dans l'espoir qu'avec une telle prise de responsabilité, la sanction infligée, ou du moins le jugement qu'on lui porterait, serait moins sévère. En y repensant bien, elle ne s'y était pas prise de la façon la plus habile pour amener le sujet. En fait, la transition avant été carrément brusque. Un mince prélude avait suffi avant qu'elle ne lui balance l'article au visage. Mais, quoique maladroit, son but était louable : jouer carte sur table dès le départ. S'il voulait vivre avec elle, alors elle en serait ravie, mais il devrait d'abord être informé de certains évènements concernant son passé et décider si, oui ou non, il était en mesure de passer par-dessus ce qu'il apprendrait. Dans l'ambiance coite toujours persistante, tandis que l'élémentaire s'évertuait à assimiler chaque mot de chaque colonne, de nouveau la vampire agrippait la poignée de la théière et remplissait sa tasse. Une fois le thé entre ses mains, elle soufflait sur la buée blanchâtre qui s'élevait dans les airs et buvait sans se soucier de la température. Quoiqu'encore brûlant, le breuvage était très bien supporté par les papilles détruites, puis aussitôt réparées de sa bouche, qui retrouvait toutes sensations très rapidement, et ce, peu importe la gravité des brûlures qu'elle s'infligeait. C'était l'avantage d'avoir une guérison accélérée. C'est qu'elle avait l'habitude, acquise dans sa jeunesse, de faire le thé particulièrement bouillant, et de veiller à ce qu'il le reste. Ainsi malgré le temps qui s'était écoulé depuis les retrouvailles de nos deux protagonistes, le thé n'avait à peu près pas baissé de température dans la théière de porcelaine très isolante.

Tandis qu'elle se concentrait sur la sensation de brûlure qui avait assiégé sa bouche - afin de chasser les appréhensions qui lui revenaient sans cesse à l'esprit -, Vegeo de son côté, enfoncé dans le sofa, en était probablement à décider s'il devait fuir pendant qu'il en était encore temps ou lui laisser le bénéfice du doute quant à ses motivations réelles. Alors qu'elle observait le visage de l'élémentaire se colorer de nouveau (elle le mettait donc mal à l'aise à ce point depuis leur petite discussion?) il avait fini par prendre la parole, et clamer que, si elle avait agi ainsi, alors elle devait avoir une raison. De raisons qui puissent justifier de tels actes, il n'y en avait aucune. Ça, elle avait eu beau chercher, la violence ne prenait racine dans aucune réflexion sensée. Mais à quel autre genre de réaction s'attendait-elle de la part du jeune homme? S'attendait-elle réellement à ce qu'il parte de chez elle, dégoûté? Pas vraiment. Au fond, elle n'était pas surprise d'une telle réponse et croyait que, si en réalité il lui tenait rigueur de ses actes, alors il ne le montrerait probablement pas, parce qu'il était d'un naturel trop gentil. En fait, elle l'imaginait mal s'indigner de la conduite de qui que ce soit, même en son for intérieur : de ce côté il semblait plutôt indulgent. Du genre à ne jamais mépriser qui que ce soit, peu importe son comportement. À fournir de l'aide et non du jugement, ce qui, il fallait bien l'admettre, était tout à son honneur. Si tel était son avis sur la question, alors elle pouvait se sentir soulagée un peu. Il lui était passé par la tête l'envie de lui faire savoir combien elle était rassurée qu'il prenne si bien une telle annonce, et il y avait également la phrase récurrente ''Il avait tenté de massacrer des enfants, c'est pour ça que j'ai dû l'opérer!'' qui de temps à autre revenait, hurlante, dans ses pensées, mais elle ne cherchait pas d'excuses, ni à s'épancher d'une telle façon.

Certes elle avait vu en un laps de temps très court des choses horribles, plus qu'en toute sa carrière, et en avoir un aperçu pouvait aider à mieux la comprendre; la guerre, c'était affreusement laid. À un rythme effréné qui pourtant ne semblait pas avoir de fin, elle avait vu passer sur la table d'opération des gens hurler de désarroi, pleurer, hoqueter, se secouer de spasmes tandis qu'elle les amputait de force, n'ayant pas de meilleure solution. Elle avait vu des femmes violées et battues à mort qu'on lui apportait sans raison claire, comme s'il fallait bien que quelqu'un les déclare morte et les regrettent, parce que personne d'autre n'en avait le temps, et des enfants mutilés gravement, ou encore portés par des adultes couverts des viscères et du sang de leur progéniture, qui espéraient que malgré des blessures si graves, Eleonor puisse y changer quelque chose. Elle n'inversait pas le temps, et pourtant il était arrivé à de nombreuses reprises que les blessés qu'on lui apporte soient déjà morts. Les proches incrédules tremblaient, trépignaient sur place, enfiévrés, brûlant d'espoirs chimériques, presque fous, et, un mort dans les bras, énonçaient des phrases insensées du genre : ''Oui il a l'air en mal en point, mais vous pouvez certainement faire quelque chose docteur?'' Et il lui fallait bien des mots, bien du temps avant que les illusions ne se brisent, avant que les victimes ne réalisent que, pour le reste de leur vie ils n'auraient plus l'usage de leurs bras, qu'ils seraient pour toujours défigurés de brûlures, ou que la cervelle d'un proche, qui les avait éclaboussés sous la balle d'un fusil, ne pouvait pas être remise en place en ce qui n'était maintenant plus qu'un cadavre sans tête. De son campement, elle entendait les crimes se perpétrer, mais elle était trop occupée à réparer ceux qui avaient déjà eu lieu pour intervenir. C'était frustrant. À certains moments au cours de ces jours pour le moins difficiles à vivre, Eleonor avait souhaité posséder la capacité de se défaire de ses émotions, juste pour cette période. Et, à la conclusion de ces trois jours infernaux, quelque chose en elle avait crié vengeance. Il fallait avoir été là pour comprendre, il fallait avoir été là pour se réjouir que sa santé mentale soit restée si intacte suite à ces évènements. La vampire avait déjà un bel âge au moment où c'était arrivé, et il lui était arrivé de perdre des patients avant cela, mais rien n'avait pu la préparer à ce genre de chose. Cela dit la loi prévoyait des sanctions pour tout crime, peu importe le contexte dans lequel il était survenu. Ainsi, quoique la femme qui l'avait jugé n'avait jamais connu les trois jours sombres, ni toute autre forme de guerre, elle s'en remettait à son jugement, et comprenait très bien que rien ne pouvait justifier ses actes.

Eleonor n'avait jamais parlé ouvertement à qui que ce soit de ce qu'elle avait vu. Comme bien des gens traumatisés, elle s'était contentée de laisser le temps panser ses plaies, et de ne plus y songer. Aujourd'hui elle pouvait survoler plusieurs moments avec un certain détachement. Sans dire qu'elle s'en était parfaitement remise, la vie avait suivi son cours, et elle avait réussi à chasser ces évènements de son quotidien, car le métier qu'elle avait exercé l'obligeait à une certaine résilience, et qu'il fallait bien passer à autre chose. Néanmoins, la réaction de Vegeo lui apportait un fort apaisement. Voilà pourquoi elle avait dit tout bas, lui rendant son sourire :

- Merci.

À ses yeux il n'était pas en mesure de comprendre parfaitement, mais elle appréciait tout de même son absence de rancoeur et d'hostilité. C'est qu'elle ne songeait pas à la naïveté du jeune homme dont, forcément, des gens malhonnêtes avaient dû profiter. De son côté, il avait certainement vécu, lui aussi, de mauvaises expériences. Quoi qu'il en soit, la vampire, soulagée, avait repris le journal et l'avait soigneusement remis à sa place. C'était un souvenir qu'elle conserverait longtemps, car il contenait une morale indéniable; la vengeance, ça ne mène nulle part. Le jeune homme avait alors détourné le regard, et ajouté à son précédent commentaire :

- Et puis..je ne t'en veux pas. Enfin..je veux dire..ne t'inquiètes pas, je t'aim....je t'apprécie toujours autant, rien n'a changé !

Passé la surprise, qui lui avait fait relever les sourcils, Eleonor observait sans rien dire le jeune homme, manifestement gêné d'une déclaration qui aurait facilement pu passer pour un lapsus linguae s'il avait réagi adéquatement et au bon moment. Elle ne savait pas trop quoi rétorqué, elle-même un peu dérangé, et d'ailleurs n'eut pas le temps de placer le moindre mot, car déjà Vegeo sortait un téléphone portable de sa poche et déclarait qu'il devait annuler le rendez-vous dont il lui avait parlé un peu plus tôt.

- Oui, d'accord. Prends ton temps, disait-elle tandis qu'elle le suivait des yeux, affichant un air qui se voulait placide.

Peut-être parce qu'elle ne voulait pas avoir eu l'air bouche bée, la vampire s'était sentie obligée de répondre quelque chose, même si le message contenait peu de mots, et même s'il était inutile. Et, alors que son interlocuteur s'éloignait vers elle ne savait trop quel coin de sa maison (qui était désormais également la sienne au fond) pour faire son appel, une seule pensée revenait inlassablement à l'esprit d'Eleonor: ''Il aurait dû ajouter ''bien'' à la fin de je t'aime, et comme ça ce serait passé inaperçu...''

Enfoncée dans son fauteuil, et désormais seule au salon, le silence uniquement perturbé par les quelques mots qui ricocheraient vaguement vers elle depuis le couloir, elle réfléchissait à ce qui venait de se passer tandis que ses doigts, chacun leur tour, de l'index à l'auriculaire, tambourinaient sur le cuire des accoudoirs en cadence rythmée. Qu'allait-elle bien faire de ce qu'elle venait d'entendre? Car quoiqu'un peu longue à la détente pour ce genre de chose, elle n'était pas dupe non plus, et avait bien remarqué les yeux du jeune homme qui la détaillaient de bas en haut lorsqu'elle avait fouillé pour trouver son journal. Elle n'avait alors pas réagi, trop concentrée qu'elle était à faire valoir les preuves accablantes de son manque d'humanité, mais avait gardé l'impression qu'il ne l'observait pas d'une façon tout à fait innocente. Et elle repensait également à sa façon de rougir lorsqu'il la regardait, ce qu'elle avait d'abord interprété comme un malaise : celui de se retrouver face à une personne avec laquelle il venait d'avoir une discussion dérangeante, et de ne pas trop savoir comment se comporter suite à cela. Mais désormais de ces comportements elle déduisait que, à tout le moins, elle plaisait bien au jeune homme. Elle regardait le plafond en souriant légèrement face à cette conjecture. Cela la portait à se demander si ce n'était pas d'avoir parlé d'amour et de sexualité un peu plus tôt qui avait pu lui donner une telle idée. Est-ce que, puisque ces nouveaux sentiments semblaient avoir été déliés par ses enseignements, l'élémentaire ne les dirigeait pas simplement et instinctivement vers la première personne disponible qui puisse les recevoir. En l'occurrence, elle-même. En effet l'apprentissage avait été soudain et très exhaustif pour le temps qui lui avait été alloué, et Vegeo se trouvait peut-être en proie à des sentiments nouveaux qu'il ne comprenait pas parfaitement, et face auxquels il ne savait trop comment réagir.

Elle réalisait soudain qu'elle réfléchissait trop et que, pourquoi pas, l'élémentaire pouvait très bien l'apprécier sans que de telles influences n'aient rien à y voir. De son côté, elle ne savait pas trop comment prendre la nouvelle. Vegeo était, à l'évidence, un ami dont elle appréciait le caractère fondamentalement bon et les quelques ineffables maladresses. Lorsqu'elle y songeait, il avait aussi une présence douce, un sourire désarmant, quelque chose d'un peu câlin… Alors pourquoi se bloquait-elle ainsi? Pourquoi ne pas avoir songé à cela plus tôt? C'est qu'elle s'était toujours inconsciemment découragée de penser au jeune homme en ces termes étant donné leur très grande différence d'âge. La question était tout de même légitime : n'était-il pas trop jeune pour elle et, à l'inverse, n'était-elle pas trop vieille pour lui? N'étaient-ils pas un peu dépareillés tous les deux? Pourtant, il y avait une chose qu'après mûre réflexion elle acceptait bien d'admettre, indépendamment de ses réticences : il était le genre d'homme dont elle pourrait facilement tomber amoureuse et, de toute façon, elle aimerait bien apprendre à le connaître davantage. Les pas résonnaient depuis le couloir. Vegeo avait terminé son entretien et il reprit sa place au salon, tirant Eleonor de ses réflexions sentimentales. Il évitait soigneusement son regard, encore troublé de ce qu'il avait dit plus tôt. ''Il réagit à ses émotions comme un jeune adolescent'', constatait-elle attendrie. Puisqu'elle sentait que le jeune homme n'oserait probablement pas rompre le silence le premier, elle s'était décidée à poser sa main glacée de vampire sur celle - d'une chaleur et d'une douceur surprenante - de l'élémentaire, afin de réclamer son attention.

- Je sais bien que ce n'est pas ce que tu as voulu dire. Il ne faut pas faire un drame de ce genre de chose...

Elle cherchait une façon de renouer avec le dialogue, et affichait un sourire sympathique. Puis, après un bref moment, avait retiré sa main doucement, étonnée par sa propre audace et, toujours en proie à un silence qu'elle n'appréciait guère, avait fini par proposer:

- Je te ressers un peu de thé?

La tasse du jeune homme était encore au moins au tiers plein, mais qu'importe. Eleonor avait en main la théière, et en tête l'impression qu'elle venait de mettre l'élémentaire mal à l'aise de par son geste, ce qui n'était pas dans ses intentions. Il se produisit alors une chose surprenante. Son regard percuta le sien et, déconcentrée l'espace d'un court instant, alors qu'elle observait son visage avec un air inhabituellement ingénu, comme si elle cherchait à vérifier les pensées qu'elle avait eues plus tôt, elle ne tenu pas compte de l'endroit exact où se situait son poignet. C'est ainsi que le thé ne fut pas versé dans la tasse de Vegeo, mais plutôt sur l'intérieur de sa cuisse. Se doutant de la douleur cuisante qu'avait dû provoquer le contact du brûlant liquide sur sa peau, Eleonor avait réagi à sa gaffe sans trop réfléchir et, à l'aide d'une serviette qu'elle avait sous la main, s'était mise à éponger le liquide en se confondant en excuses (car, comme chacun sait, le thé est un breuvage excessivement tâchant qui doit être nettoyé dans les plus brefs délais…). Pour une fois elle devenait gauche et, sur le coup, avait rougi à son tour de sa maladresse qui ne lui ressemblait pas vraiment. Elle cessa d'éponger, se recula dans son siège et demanda :

- Je suis vraiment désolé... Est-ce que ça va? Ça ne fait pas mal au moins?

Spoiler:

Message par Invité Lun 22 Juil - 23:13

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Faute de ne pas savoir quoi ajouter, il se recula un peu plus dans son siège. Ses iris parcouraient doucement la pièce, tentant en vain de ne pas revenir vers sa nouvelle hôtesse - action délicate car plus ses pensées et son regard s'éloignaient d'Eleonor, plus il avait envie de l'observer et de lui parler. Le silence faisait office de second invité et semblait s'amuser en dansant autour de l'élémentaire, qui ne disait plus grand chose. La seule rumeur audible était celle de son souffle retenu, qui lui aussi s'ajoutait à la liste des choses qui rendaient l'atmosphère un brin particulière. C'était une situation nouvelle que de s'entendre avouer des choses de ce genre sans l'avoir décidé. Premier lapsus ? L'hypothèse était tentante quand on savait que d'habitude, il ne faisait que rarement part de ses pensées les plus intimes. Il tapota avec délicatesse l'accoudoir de sa main droite, tout en tentant de réprimer cette sensation qu'il avait au niveau du torse : celle que ses poumons et son cœur étaient depuis quelques instants prisonniers d'une cage. Plongé à moitié dans ses pensées - moins de dix secondes s'étaient écoulées depuis son retour sur le fauteuil - il s'étonna d'un soudain changement de température au niveau de sa main : il regarda pour constater que c'était la main d'Eleonor. Reportant son regard vers celui de la jeune vampire, il écouta ce qu'elle était sur le point de dire.

"Je sais bien que ce n'est pas ce que tu as voulu dire. Il ne faut pas faire un drame de ce genre de chose..."

Elle souriait. Le visage de l'élémentaire changea une nouvelle fois de couleur, retournant à un rouge un peu moins discret que le précédent. Il détourna son regard de celui de son interlocutrice pendant un court instant, tout en pensant à ce qu'elle venait de dire. Hésitant, il se posait une question : celle de la validité de ses sentiments. Peut-être qu'il n'était pas encore assez mûr pour comprendre ce qu'étaient l'amour et l'amitié ? Peut-être qu'il était beaucoup trop jeune dans ce monde, pour pouvoir prétendre à autre chose qu'un simple accompagnement ? Il n'en savait rien. La seule chose sur laquelle il n'avait aucun doute, c'était la sensation éprouvée par son âme. Quand l'ancienne doctoresse était là, il se sentait bien. Il était prêt à des sacrifices pour son bien-être. Bien évidemment on pouvait penser que c'était simplement une sorte de grande amitié - au fond il était prêt à la même chose pour Elisabeth et Natsume - mais le fond n'était pas vraiment identique : il voulait être avec la darkness et l'humain pour les aider ; il voulait être avec la vampire pour..autre chose, une chose dont il ne savait toujours rien. Pour la première fois, il trouvait lassant le concept de devoir trouver des mots à mettre sur ses émotions. Il se sentait bien en sa compagnie et c'était tout. Pourquoi devait-il forcément se compliquer la vie en se demandant si c'était de l'amitié ou quelque chose de plus fort ?

"Je te ressers un peu de thé?"

"Oui, volontiers" fit-il sans se souvenir que sa tasse n'était toujours pas vide de son contenu.

Il remonta doucement les yeux et, avant de rencontrer le regard d'Eleonor, se posa de nouvelles questions, inquiet. En effet il se sentait bien avec elle, mais si ce n'était pas réciproque ? - les sentiments forts devaient l'être selon leur précédente conversation. Était-il possible que la jeune vampire n'éprouve que le simple besoin de le guider ? Habitude probablement acquise lors de ses années de travail dans le domaine médical ? Il se posait beaucoup trop de questions pour pas grand chose et une pensée ne voulait pas quitter son esprit : si jamais il devait lui avouer ce qu'il avait en tête et que la vampire lui demandait "Pourquoi ces émotions ?" pouvait-il vraiment se contenter de répondre "Simplement parce que je me sens bien en ta présence ?"

*Mais alors que faire ?* songea-t-il un peu agité.

Il ne savait pas comment expliquer clairement ce qu'il avait en tête et songea, ironiquement, que c'était peut-être bien cette incapacité à organiser ses pensées - habituellement limpides - qui prouvait que l'amitié n'était peut-être pas le seul sentiment impliqué. Son regard remontait un peu plus et était sur le point de croiser celui de la vampire. Il décida mentalement de se faire violence et opta pour une solution simple et bien connue, qui pourrait résoudre ses problèmes définitivement : celle de ne plus y penser. Il s'en était rendu compte le jour de sa naissance : avoir un côté humain était chaotique et il était préférable de ne pas tenter de mélanger émotions et logique. Quelle importance si c'était de l'amour ou de l'amitié ? S'il se sentait bien en sa compagnie, l'essentiel était d'apprendre qui elle était vraiment et de laisser le temps faire les choses. Fort de ce constat il releva la tête, bien décidé à profiter de la présence d'Eleonor. Il remarqua que celle-ci était bien proche de lui. Un bref instant se déroula qui sembla durer une éternité et, si les yeux étaient bien le miroir de l'âme, alors ceux de l'élémentaire livrèrent toutes ses précédentes pensées à la jeune femme.

Le destin décida malgré tout de ne pas laisser la situation s'éterniser et poussa doucement la main qui servait le thé, comme pour signifier que la contemplation était terminée. Le résultat obtenu fut celui escompté : Vegeo sursauta sous l'effet du thé brûlant, rompant le contact visuel. Mais la surprise de la douleur fut bientôt remplacée par celle d'Eleonor se saisissant d'une serviette pour s'occuper des dégâts. Ainsi, avant même d'avoir le temps de manifester une quelconque réaction verbale et pendant que la jeune vampire épongeait la tâche, l'élémentaire se retrouvait exposé à une sensation bien éloignée de son quotidien : celle bien connue de la gente masculine humaine et généralement située vers la zone du bas-ventre. En cette seconde précise, pendant que Vegeo découvrait - presque avec appréhension - qu'une certaine partie de son anatomie pouvait réagir d'une façon bien étrange, le rouge découvrait qu'il pouvait colorer le visage d'un homme avec une teinte jamais vue auparavant. D'un autre côté, le visage délicatement empourpré de l'ancienne doctoresse n'arrangea en rien la situation, qui fit trembler doucement le jeune homme d'un frisson qui n'avait rien à voir avec le froid. La réponse à la question posée ensuite ne tarda pas à arriver.

"N..non non non ! P..pas de sou..soucis, c'est juste...juste..du thé..chaud..."

Au moins cinq secondes de silence suivirent sa phrase. Pendant ces cinq secondes, il repensa à ce qui venait de se passer, non sans être troublé - et le mot était faible - et angoissé - de ne pas être le seul à avoir remarqué. Ne sachant plus que dire ni que faire, il décida de suivre son instinct. Il approcha lentement sa main de celle d'Eleonor - tout en adoptant une couleur un peu plus normale - puis la recula en un bref à-coup, avant de la rapprocher à nouveau. Une fois sa main posée sur la sienne, sans réussir à la regarder fixement dans les yeux, il lui avoua :

"Je..en fait je..je voulais te dire que..je suis content que tu sois là."

Il patienta quelques secondes. Son visage était celui d'un jeune homme qui venait de se lancer dans une aventure dont il ne savait rien du tout. Son regard passait des yeux d'Eleonor à la table blanche et ne savait plus où se fixer. Il recula sa main pour la faire venir sur son jean et, comme s'il voulait se débarrasser d'un grain de poussière, frotta pour tenter de refroidir la zone, encore chaude de la présence du thé. Il ajouta, en regardant ses chaussures.

"Tu es importante pour moi. Sans toi je..je ne sais pas dans quelle situation je serais aujourd'hui.."

Ses iris venaient de prendre une teinte plus verte, comme ils avaient pour habitude de le faire quand le corps de l'élémentaire entrait en contact avec une plante - sans doute était-ce l'effet du thé qui avait eu le temps de filtrer à travers son pantalon quelques secondes plus tôt. Il ajouta, en regardant vers le mur, sur sa droite.

"Ce n'est pas pareil avec toi..tu es la seule personne avec laquelle..je me sente vraiment bien..."

Trois journées, probablement moins de vingt-quatre heures : c'était depuis autant de temps qu'il connaissait Eleonor. À ce titre des propos de ce genre pouvaient sembler hâtifs, vides de tout sens et de tout sérieux, inquiétants même. Pourtant les sentiments de l'élémentaire étaient vierges de toute corruption. Il était un être brut et simple. Impossible donc de s'attendre à autre chose que la révélation de ses plus sincères émotions.

Spoiler:

Message par Invité Mar 6 Aoû - 6:51

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Les secondes s'écoulaient dans une hâte tranquille sans que rien de décisif ne se produise d'un côté ou de l'autre, alors qu'une nouvelle fois un silence fort éloquent s'était installé entre nos deux protagonistes. Chacun semblait méditer de son côté sur les évènements à venir. Eleonor, quant à elle, en était encore à retrouver son calme. S'il est quelques désavantages à avoir un teint aussi blême que le sien, le plus désagréable était sans conteste son penchant à laisser voir la moindre augmentation du débit sanguin, la mélanine n'étant pas assez forte pour masquer même la gêne la plus ténue. Mais le temps faisait son oeuvre, et son visage redevenait peu à peu exsangue. Vegeo venait de lui faire savoir que ses blessures ne lui faisaient pas trop mal et, bien qu'elle n'en crut pas un mot, la vampire n'ajouta rien, car elle venait tout juste de se confondre dans des excuses qui au final n'avaient été que de longs balbutiements maladroits qu'elle ne souhaitait pas rallonger davantage. Le regard penaud fixé sur la table basse blanche devant elle, elle en était à constater combien sa tentative de retour vers un dialogue normal venait d'échouer lamentablement. Mais comment aurait-il pu en être autrement après qu'elle ait eu des gestes aussi déplacés? Elle avait cherché à désamorcer les états agités de l’élémentaire, et avait en fait rendu les choses dix fois pires. Le pauvre homme avait rougi d'une façon si violente, lorsqu'elle s'était permis d'éponger le thé sans son accord - geste éhonté qui étonnamment, sur le coup, lui avait semblé tout naturel - qu'elle se demandait bien si une telle montée de sang à la tête n'avait pas pu l'étourdir. Supportant mal la tension qui s'était établie entre eux depuis, et redoutant de devoir à nouveau briser le silence la première, Eleonor s'était vite lancée à la recherche de paroles qui puissent sauver la situation, mais malheureusement les seules qui lui venaient en tête étaient encore des excuses, alors qu'elle souhaitait que tous deux considèrent l'incident comme clos. De toute façon, il n'y avait rien à ajouter à ce qui venait de se produire, et cependant elle se voyait mal débuter une conversation sur un sujet tout autre, ce qui, forcément, dans cet espace relativement étrange qui les reliait à présent, fracasserait une bonne fois pour toutes leurs chances de se dire ce qu'ils avaient sur la conscience. Et pourtant, il ne lui venait toujours rien d'autre à l'esprit que ces satanées disculpations. Laissant donc tomber l'idée de trouver quelque chose de sage et d'intelligent à dire, elle s'était plutôt renfrognée dans le mutisme le plus total. Il s'agissait de l'un des rares moments de sa vie durant lesquels elle s'était sentie complètement déboussolée, et il allait lui falloir un peu de temps avant de reprendre confiance en son propre jugement. D'abord, il ne lui arrivait pas souvent d'avoir des gestes aussi malhabiles (elle en prendra l'habitude dans un travail ultérieur, mais ça, ce n'est que pour plus tard), puis il y avait eu cette espèce de sensation de perdre pied, d'avoir le souffle coupé, qui l'avait étreinte avant de verser le thé au mauvais endroit, et depuis cet instant une fébrilité latente, dont elle n'arrivait plus à se défaire, l'habitait. Elle chassait néanmoins ces impressions qui ne lui étaient pas tout à fait étrangères, mais auxquelles il était malheureusement impossible de s'habituer, et refusait également de revoir les yeux du jeune homme dans les siens, car à coup sûr, connaissant bien sa propre physionomie, elle rougirait encore. Elle y avait lu, du moins, lui semblait-il, l'espace d'une seconde, un mélange inextricable d'espoir et d'appréhension, de douceur et de défiance, mais surtout de crainte et d'envie, tout à la fois, d'aller vers une chose fascinante qui lui était parfaitement inconnue. C'est cet enchevêtrement expressif qui l'avait laissé un instant sans voix, et dont elle tentait de se remettre, sans que toutefois elle ne puisse se soustraire à cette nervosité qui ne semblait plus vouloir la quitter - en effet, il est des sentiments dont même l'âge et l'expérience ne peuvent diminuer la violence.

Étonnamment, et quoi qu'elle prenait pour acquis qu'il en tenait en fait de sa responsabilité, ce fut plutôt l'élémentaire qui mit un terme à l'ambiance statique dans laquelle ils avaient baigné trop longtemps. Il avait posé sa main sur la sienne, non sans quelques hésitations, et, d'une honnêteté frappante face à ses sentiments, lui avait fait quelques aveux auxquels, encore une fois, elle ne sut pas quoi rétorquer immédiatement. Si le jeune homme avait décidé d'être parfaitement transparent, Eleonor, de son côté, bouillonnait intérieurement, et essayait tant bien que mal de rationaliser ses émotions, combat indiscutablement perdu d'avance. Cela lui était arrivé encore une fois, apparemment. Étant donné sa durée de vie, il fallait bien qu'elle s'attende à ressentir de l'affection envers un homme à nouveau, un jour ou l'autre. Mais pourquoi maintenant, et pourquoi d'une façon si brutale, si soudaine? Cela faisait des années qu'elle était seule, et de telles émotions - alors qu'en matinée elle s'attendait davantage à passer une autre journée en solitaire à déprimer tranquillement - la désarçonnaient complètement. Elle ne s'attendait pas à vivre ce genre de chose. Pas qu'elle ait officiellement tiré un trait sur les relations amoureuses, mais voilà son passé affectif était peu enviable, et avec le temps l'idée d'avoir quelqu'un dans sa vie était devenue de moins en moins importante, et déjà ça n'avait jamais vraiment été une priorité. La vampire avait tout de même connu le grand amour, le vrai, une fois, mais l'avait laissé lui filer entre les doigts pour des peccadilles qu'elle avait longtemps regrettées amèrement. C'est qu'elle avait été jeune et impulsive. Les années s'étaient par la suite enchaînées et, étant donné la race à laquelle elle appartenait, qui était restée inconnue et effrayante aux yeux du monde pendant la très grande majorité de sa vie, il lui avait toujours semblé normal de ne pas chercher davantage la compagnie qu'en des amitiés fugaces et des flirts détachés. Il y avait bien quelques hommes particulièrement tenaces, qui n'étaient pas dérangés par sa nature vampirique, avec lesquels elle avait eu de bons moments, mais les liens qu'elle établissait restaient toujours en surface, s'étalaient sur de courtes durées, et l'attrait de ce genre de relation avait fini par s'estomper au fur et à mesure qu'elle voyait sa vie sentimentale stagner. Alors, comme bien des femmes dont la vie affective ne prend pas son envol, elle s'était tournée vers ce dans quoi elle excellait le plus : son travail. Cependant, elle n'était pas à plaindre. Il y avait eu de grandes joies, des problèmes intéressants à résoudre, des leçons de vie importantes qui s'étaient mises sur son chemin. Et, s'il était donné au commun des mortels même une seule chance de trouver l'âme soeur au cours d'une vie, alors Eleonor pouvait raisonnablement en espérer quelques-unes au cours de l'éternité. C'était une possibilité qui ne l'avait jamais quitté, elle s'était seulement rangée dans un coin de sa conscience, patiente.

- Vegeo…

Toujours prise de court par de telles déclarations, elle en était à considérer la chose sérieusement. La vampire ne cessait jamais de s'étonner qu'il y eût bien certains hommes qui semblaient se ficher éperdument de sa peau froide, de son âge, ou de son coeur qui ne battait pas. De son côté, elle avait depuis longtemps réalisé que de telles différences restaient minimes par rapport à celles, psychologiques, qui l'opposait à ses semblables, avec lesquels elle n'avait jamais été en mesure d'établir la moindre relation, bien que d'emblée on aurait pu croire plus bénéfique pour elle de chercher un partenaire parmi eux. Les mots du jeune homme tournoyaient toujours dans son esprit, l'avaient ébranlé, et tandis qu'une agitation grandissante s'emparait d'elle, Eleonor remarquait pour la première fois qu'aucun d'eux n'avait été en mesure de regarder l'autre dans les yeux durant ces précédentes répliques. Si une partie de sa conscience la poussait à lui faire part honnêtement de ce qu’elle ressentait, une autre réalisait que peut-être il valait mieux ne pas se précipiter, car quoiqu'elle ait une idée de l'homme en général, elle connaissait en vérité peu de choses concernant Vegeo Natus. En fait, à chacun des moments qu'ils avaient passés ensemble, elle s'était pour sa part montrée très volubile et l'avait embêté à de nombreuses reprises sur sa vie, son travail, et différentes choses qu'elle lui apprenait, mais l'avait très peu écouté. Ainsi, il demeurait pour elle un mystère sur plusieurs points. En fait, elle venait de l'entendre pour la toute première fois exprimer ouvertement ses sentiments envers elle. Mais si l'envie d'aller vers une relation plus profonde que l'amitié semblait présente des deux côtés, chez Eleonor les sentiments étaient encore naissants. Encore un peu tourmentés, encore un peu enchevêtrés. Elle-même aurait eu du mal à les décrire, sauf peut-être si elle avait pris le soin de les décortiquer avec application, mais le moment dans lequel elle était présentement ancrée, empreint d'une légère tension, se prêtait fort mal à ce genre d'introspection. Néanmoins, elle s'était décidée à agir, et s'approchait pour poser sa main sur la cuisse du jeune homme, aux abords du genou cependant et très loin des hanches, car elle avait bien conscience, depuis l'incident du thé, que son tendre ami était un tantinet… sensible, et ne souhaitait pas commettre la même erreur. Elle lui disait, comme on dit un secret :

- Je suis contente que tu sois là, moi aussi... J'éprouve beaucoup d'affection à ton égard, et j'aime chacune des minutes passées en ta compagnie. Tu as une présence… très douce, tu le savais?

Sa main quittait le genou de l'élémentaire pour venir lui caresser la joue. Cette déclaration faite, elle eut un bref sourire entremêlé d'une expiration courte et parfaitement audible, expression commune aux gens qui prennent conscience de l'évolution trop rapide d'une situation et qui se préparent à parler honnêtement afin de mettre les choses au clair. Elle remarquait, ayant retrouvé les yeux du jeune homme dans les siens, qu'ils étaient plus verts qu'à l'habitude, et s'en était étonnée un bref instant. S'il s'agissait en fait du thé, Eleonor ne fit pas les bonnes déductions, et s'imagina, à tort, que les émotions de l'élémentaire étaient la cause de ce changement de phénotype. Si elle avait déjà trouvé un caractère attractif à ses yeux, elle leur trouvait maintenant les reflets incandescents de l'absinthe. Des yeux qui, comme le doux liquide, auraient la faculté de lui faire tout oublier, un regard dans lequel elle pourrait aisément se perdre. Elle avait frémi doucement, baissé le regard vers son torse, et, ne s'en trouvant pas mieux à cause du nombre de boutons de chemise qui avait été détaché, était revenue à son visage. Quoiqu'une nouvelle fois déstabilisée de constater les effets que provoquait la présence de son interlocuteur sur elle, et sentant qu'elle rougissait encore un peu, Eleonor s’était tout de même décidée à reprendre la parole. Sa première idée avait été de lui dire qu'elle l'appréciait, mais qu'ils avaient tout le temps qu'il leur fallait, qu'ils pourraient apprendre à se connaître mieux, car en y réfléchissant bien c'était le comportement le plus sage à adopter. Sauf que tout d'un coup elle n'était plus certaine du sens vers lequel elle souhaitait orienter ses paroles et, pourtant sur sa lancée, n'avait rien ajouté à ses premières phrases. Il y avait bien un ''Je'' inarticulé qui avait faiblement passé sa gorge étranglée, puis plus rien. Elle sentait toujours la joue de l'élémentaire au creux de sa paume, en appréciait les aspérités, la texture veloutée, et prenait alors conscience de sa propension à le toucher sans motif bien précis, et du fait qu'elle n'avait toujours pas rompu le contact physique entre eux.

- ...On peut y aller doucement, d'accord?

Il y avait eu un décrescendo dans sa voix, ainsi qu'une transition vers un timbre plus suave. Elle avait continué de le contempler sans rien dire, et, insidieusement, tranquillement, son visage s'était rapproché du sien. Ils étaient maintenant très proches, et elle se laissait alors enivrer par sa chaleur, par son souffle, qui était toujours de plus en plus près. Ses doigts effleuraient tendrement le visage du jeune homme, de la tempe à la mâchoire, jusqu'à ce que ses lèvres rencontrent enfin les siennes. Elle y déposa un baiser tendre, soyeux, et cependant de courte durée, se rendant bien compte de son impulsivité, et attendait avec appréhension la réaction du jeune homme, incapable de prononcer le moindre mot.

Message par Invité Dim 11 Aoû - 0:18

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Le mur devint un chemin vers des contrées lointaines, que le regard de l'élémentaire emprunta sans une once d'hésitation. Grâce à ce mur, il pouvait s'éloigner de cette pièce, faire le point, oublier pendant de brèves secondes la situation dans laquelle il se trouvait. C'était pour lui étrange d'avouer, déroutant de se livrer, singulier de partager ses émotions de cette manière. Pourtant il ne pouvait pas envisager autre chose : c'était là dans sa tête, dans son cœur. Il y avait dans chaque parcelle de son âme, dans chaque recoin de sa conscience, l'envie de se trouver aux côtés de la jeune femme. Une plante sans soleil ne pouvait pas pousser paisiblement, de la même façon Vegeo lui ne pouvait pas penser à une existence sans la présence d'Eleonor pour l'aider, pour le guider, pour accompagner son quotidien. C'était sans doute son ancienne grande solitude, qui le poussait à quémander la compagnie d'une autre personne. Mais ce n'était pas vraiment le seul facteur : quelque chose de plus intense était à l'œuvre. Il voulait le bonheur de la vampire. Quand son quotidien était sombre, il voulait pouvoir lui offrir de sa lumière. Impossible d'expliquer, vain de chercher à détailler son sentiment. Il cligna des yeux et sa conscience revint dans la pièce, dans laquelle rien ne semblait bouger. Même le temps semblait stopper sa course pour se reposer, posé dans un coin de la maison d'Eleonor. Il remua doucement dans son siège, non pas que sa position n'était pas agréable mais la chaleur du thé était encore présente. Maintenant que ses pensées étaient apaisées, il avait tout le loisir de se concentrer sur la douleur. Par chance celle-ci se faisait de plus en plus discrète, pendant que les secondes passaient lentement, comme des minutes, comme des heures, comme des jours entiers. C'était la sensation éprouvée quand on osait partager ses émotions ? Le temps devenait plus étendu que d'habitude ? Ce n'était peut-être pas le cas, mais la sensation était bien présente. Ses iris se portèrent sur Eleonor, qui semblait perdue dans ses pensées. Elle aussi était silencieuse, chose surprenante que l'élémentaire ne parvenait pas à comprendre : généralement elle avait des réponses à donner.

- Vegeo…

Il détourna son regard, sans savoir quoi dire. Il fallait de toute façon avouer que rien n'était à ajouter. Malheureusement aussi, la conversation venait de prendre une route à sens unique : on ne pouvait plus revenir en arrière, changer de sujet, oublier. Pendant un bref instant, le regret s'empara de l'élémentaire. À cause de lui la situation était devenue délicate et probablement gênante, sa décision était mauvaise. Pourtant il ne pouvait considérer l'idée d'avoir abordé un autre point. Il y avait quand même du bon à dire des choses de ce genre : si Eleonor s'était proposée de lui délivrer la vérité sur son passé, lui aussi devait jouer cartes sur table. L'ambiance pouvait ainsi évoluer sainement, sans ambiguïté. Il recula un peu dans son siège et passa une nouvelle fois sa main droite sur son jean, à cause de la désagréable sensation auparavant provoquée par le liquide. Il songeait au commun des vivants : comment pouvaient réagir les gens normaux, qui n'étaient pas nés de la dernière pluie à des déclarations de ce genre ? Probablement pas avec bienveillance. Lui en était au stade où beaucoup d'émotions étaient fortes et démesurées ; les autres étaient depuis bien longtemps capables de prudence, de délicatesse, de patience. Bien évidemment lui aussi pouvait faire preuve de patience, mais il n'était pas pour autant du genre à empêcher ses émotions de surgir à la surface, se dévoilant au monde par la même occasion. Non, lui vivait chacun de ses sentiments avec profondeur, avec sincérité. C'était la raison pour laquelle il ne se sentait pas réellement dérangé, par le fait d'avouer toutes ces choses à Eleonor.

Une main se posa sur son genou et il plongea son regard dans celui de la vampire. Mère de la Nature, qu'elle était belle ; que son visage était serein ; que son aura était attachante. Elle lui parla à son tour et il détourna ses pupilles un instant, sensiblement atteint par la douceur des propos de la jeune vampire il ne savait pas quoi répondre. La main s'envola ensuite dans les airs pour venir se poser sur la joue de l'élémentaire, qui frissonna. Il haussa encore une fois ses yeux pour se retrouver devant ceux de la vampire. D'après les livres, les personnes qui étaient de cette race pouvaient souvent utiliser leurs pouvoirs pour séduire les uns, envoûter les autres. Vegeo doutait que ce soit le cas pour Eleonor - après tout elle ne voulait pas s'abreuver de son sang - mais ne pouvait même pas imaginer comment elle pouvait se montrer plus désirable qu'en ce moment-même. Rougissant un peu, il ne quitta cependant pas les tréfonds de l'âme d'Eleonor, qu'il avait la sensation de voir à travers les iris de cette dernière. Elle semblait aussi déstabilisée que lui, chose qu'il ne parvenait pas à entrevoir comme une mauvaise chose. Son visage était délicatement empourpré - ce qui engendra une réaction similaire chez l'élémentaire - et elle articula un début de phrase qui ne trouva pas de fin. Le corps était en apparence calme, mais au fond de lui les choses s'agitaient encore : c'était la première fois qu'il se trouvait dans une ambiance de ce genre. Que s'était-il passé ? Que devait-il se passer ? Qu'allait-il se passer ? Comment devrait-il réagir et que devrait-il faire ? Beaucoup de doutes en quelques secondes seulement, et aucune réponse à l'horizon.

- ...On peut y aller doucement, d'accord?

C'était maintenant au tour de Vegeo, de ne trouver qu'un faible et presque inaudible "Je" à prononcer. Il ne parvenait plus à trier les sentiments, les sensations mentales et physiques. D'un côté son âme était comme en proie aux vagues d'une tempête ; d'un autre tout son corps semblait paralysé, bloqué sur un seul stimulus : la présence de la main d'Eleonor sur sa joue. Elle était douce, aussi douce que le regard de la jeune vampire. La peau était froide mais il ne s'en souciait pas. Il ne sentait pas le sang pulser dans ses veines, il ne sentait pas la chaleur supposée importante des humains, mais il ne s'en souciait pas. Il ne s'inquiétait pas de savoir si un élémentaire pouvait s'autoriser à aimer une vampire, il ne s'inquiétait pas de savoir si un être dont le cœur battait pouvait se dédier à une créature dont le cœur ne battait plus. Si le cœur d'Eleonor ne battait plus, alors le sien battrait pour deux, c'était aussi simple que ça. À mesure que le visage de la jeune femme s'approchait, le rythme cardiaque du jeune homme s'emballait, à un point tel qu'il lui sembla l'entendre nettement, dans la pièce. Il cligna des yeux et ne bougea pas. Il avait observé la chose tellement de fois dans les rues de l'Avventura, sans en comprendre le sens ou la puissance. Les lèvres se posèrent sur les siennes et il savoura son premier baiser, pendant que tout son corps tremblait doucement. Il y avait une saveur, une chose que l'élémentaire découvrit. Il ferma brièvement les yeux, puis le visage de la jeune femme s'éloigna du sien. Il la regarda sans bouger puis sa main droite se posa à son tour sur le visage de l'ancienne doctoresse. Il était froid mais sa peau était d'une douceur surprenante. Son pouce caressa les lèvres de la vampire pour ensuite continuer sur ses joues ; pendant que ses yeux ne lâchaient pas ceux d'une couleur rougeoyante qui étaient devant lui. Il approcha son visage du sien et l'embrassa à son tour, de la même manière, un peu plus longtemps cette fois. Sa main, elle, s'éloigna de la joue, continuant sa route derrière la mâchoire, puis sous l'oreille, terminant sur la nuque d'Eleonor. Une fois son baiser offert, son visage ne s'éloigna que de quelques centimètres et son front se posa contre celui de la vampire. Sans la lâcher du regard il répondit avec douceur, tout en caressant ses cheveux rouges.

"Oui..doucement..je veux prendre le temps de te connaître..Eleonor Doherty.."

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