Coloc d'ENFER *o* [Leannette et Natsumichou]

Quelque part dans les tréfonds des ténèbres, un bruit se faisait entendre. Un petit « ploc » se répétait inlassablement, désireux de troubler le silence dans lequel la pièce était plongée. D’abord lointain et confus, le son devint de plus en plus net aux oreilles de l’étudiant tandis que ce dernier émergeait lentement du sommeil. Natsume étouffa un baillement, l’esprit toujours embrumé. Ce n’est que lorsque son cerveau analysa l’origine probable du bruit, semblable à celui que faisait son robinet quand il le fermait mal, qu’il lâcha un grognement incompréhensible avant de se réfugier sous sa couette. Ce n’était pas un malheureux robinet qui troublerait sa grasse matinée. Malgré l’insistance du « ploc », il était sur le point de repartir dans les bras de Morphée quand deux coups résonnèrent avec force contre sa porte, manquant de peu, de le faire bondir de son lit. Emergeant pour de bon cette fois-ci, il râla de nouveau en jetant un coup d’œil à son réveil. Bon sang ! On était samedi, qui pouvait donc se présenter chez lui à 8h un samedi matin ? Certainement pas un collègue de fac, restait-il des fonctionnaires assez motivés pour travailler un jour pareil ? Le garçon était tenté de faire comme s’il n’avait rien entendu –chose difficile dans son cas- quand les coups se firent entendre une nouvelle fois. Repoussant sa couette, il s’assit sur le bord du lit, tentant de remettre de l’ordre dans ses idées. Il ne pouvait pas se ruer sur la poignée sans un minimum de dignité. Il se saisit nonchalamment d’un tee-shirt jadis blanc qui trainait par là avant de le revêtir et laissa son regard rubis descendre un peu plus bas. Le tout, un vieux short et ledit tee-shirt, lui donnait vraiment l’air de sortir du lit mais c’était toujours mieux que rien. Il se mit debout, s’étirant au passage avant de mettre prudemment un pied devant l’autre en direction de la porte. Sauf que son pied rencontra, non pas la surface rigide de son plancher mais une substance liquide et glissante. Emporté dans son élan, il ne réussit qu’à battre des bras sans succès avant de partir en arrière et de s’écraser avec fracas sur le sol.

« P*tain de b*rdel de m*rde ! » s’exclama t-il, mi-sonné, mi-furieux par sa chute.

« Monsieur ? Est-ce que tout va bien ? » interrogea une voix masculine derrière la porte.

Sans se donner la peine de répondre, il se remit debout avec maladresse et tituba vers la porte qui prenait des allures de Saint Graal. Se saisissant de la poignée, il l’ouvrit presque à la volée pour se retrouver nez à nez avec deux hommes en uniformes gris-vert. A en juger par la couleur de leurs tenues de travail, c’étaient des employés chargés de l’entretien de l’immeuble où le garçon résidait. Ces deux là en particulier étaient affectés au secteur des canalisations, Natsume les avait déjà croisé plusieurs fois auparavant. Mais s’il avait désormais une idée à qui il avait affaire, il ne comprenait toujours pas la raison de leur présence sur le palier de son appartement. Son incompréhension devait aisément se lire sur son visage car l’un des deux hommes se racla la gorge avant de prendre la parole.

« Pardonnez-nous de vous déranger d’aussi bonne heure mais l’immeuble a été victime d’un dégât des eaux. Nous avons des fuites à plusieurs endroits stratégiques des canalisations et tous les appartements ont été plus ou moins inondés. Vous n’aviez pas remarqué ? » ajouta t-il en voyant l’expression perplexe qui naissait sur le visage de Natsume.

Il faut dire que le studio était encore plongé dans le noir le plus complet, hormis le « ploc » significatif qui avait réveillé le jeune homme, comment aurait-il pu se douter de quelque chose ? Considérant les propos que lui avait tenu l’homme en uniforme, l’étudiant fit quelques pas dans l’unique pièce qui constituait son quotidien. L’air était chargé d’humidité et cela le fit grimacer. Mais le plus dur arriva lorsqu’il se décida enfin à allumer la lumière. Les dégâts étaient considérables. L’eau était présente partout, du sol jusqu’au plafond. C’était un miracle que son lit avait été épargné mais son armoire, situé près des canalisations suspendues au plafond, avait subit l’attaque liquide de plein fouet. Interdit, Natsume ne put que constater avec consternation l’étendue de la catastrophe. Il faudrait plusieurs mois pour remettre à neuf le studio et il n’avait pas les sous pour.

« Je regrette Monsieur mais vous devez quitter les lieux d’ici 30min, tous les appartements touchés vont être investis par nos équipes afin de régler le problème le plus rapidement possible. Je vous prie de nous excuser pour le dérangement. » reprit l’homme, resté sur le palier.

« Mais attendez une minute ! Où voulez-vous que j’aille ? Je… »

« Vous n’avez qu’à passer à la loge du concierge, tous les résidents s’y sont regroupés. Ou alors il y a un petit hôtel à deux pas d’ici si vous le souhaitez. Bonne journée à vous. »

Ces derniers mots résonnèrent ironiquement aux oreilles de l’étudiant. Cette journée s’annonçait comme la pire qu’il avait vécu depuis longtemps. Il n’avait pas réellement le temps de s’attarder pour réfléchir à quand exactement remontait une journée désastreuse comme celle-ci aussi s’empressa t-il de suivre les indications de l’employé. Il se changea rapidement, se contentant d’un jean et d’un autre tee-shirt, noir celui-ci. Il attrapa un gros sac, le plus gros et toujours sec qu’il put trouver et commença par y mettre ses affaires de cours ainsi que quelques bouquins dont le livre qu’Amarra lui avait offert. S’ensuivit une maigre pile de vêtements que l’eau avait plus ou moins épargnés. Tant pis s’ils étaient un peu humides, ils feraient l’affaire. Avant de vider les lieux, il parcourut ce qui avait été son chez-lui, enfin ce qu’il en restait. Il s’assura qu’il n’avait rien oublié d’important et s’en alla, son sac en bandoulière sur une épaule et le second sac sur l’autre. Il ne prit pas la peine de s’arrêter à la loge du concierge, qu’y aurait-il appris de toutes manières ? C’est avec lassitude qu’il se traina dans les rues jusqu’à s’installer sur le premier banc qu’il aperçut. Voici que du jour au lendemain il se retrouvait SDF. La situation ne pouvait pas être pire… Soudain, il entendit la sonnerie de son portable. Machinalement, il décrocha.

« Oui ? »

« Monsieur Kageya ? C’est Monsieur Kalver. »

Son tuteur. Natsume reconnut s’être planté quand il avait pensé que la situation n’aurait pu être pire. Si cet homme s’en mêlait… Soit, il devait avoir un bon fond mais il avait la fâcheuse manie de vouloir tout décider à la place de l’étudiant, sans comprendre que ce dernier était désormais majeur et était en droit de faire sa vie. Le dénommé Kalver lui expliqua comment il avait appris la situation par je-ne-sais-quel-ami et voulait savoir où le garçon comptait se rendre à présent. Forcé de reconnaitre qu’il n’avait aucun endroit où aller, son tuteur lui proposa alors une solution à ses problèmes :

« J’ai contacté un vieil ami à moi et j’ai réussi à vous obtenir un appartement, par contre vous devrez le partager avec deux autres personnes. La colocation vous pose t elle problème ? »

« Euh, c'est-à-dire que… »

« Parfait ! Je vous envois donc l’adresse par sms et non, ne me remerciez pas voyons ! »

Sans même lui donner le temps de répondre, il avait déjà raccroché. Quelques minutes plus tard, le garçon recevait un sms lui indiquant l’adresse, le plan pour se rendre jusqu’à l’immeuble ainsi que le fait qu’il devait récupérer les clés de l’appartement auprès du concierge. Comme aucune autre solution ne lui venait à l’esprit, Natsume prit la direction indiquée dans le sms, un peu dépité que son tuteur ait réussi son coup mais soulagé tout de même d’avoir un nouveau logement. Quand il aperçut l’immeuble en question, il vérifia à plusieurs reprises que l’adresse était la bonne. Le bâtiment était en bien meilleur état que celui dans lequel il avait habité ces dernières années. Après avoir récupéré les clés, il arriva enfin dans son futur appartement. Il en resta béat. L’endroit était magnifique, complètement à l’opposé de son précédent studio. Mais bientôt l’éblouissement laissa place au scepticisme. Qu’on lui offre une telle opportunité, c’était bizarre. Il se dirigea vers l’une des deux portes fermées, s’attendant à y trouver l’un ou l’une de ses futurs colocataires. La chambre était déserte tout comme l’endroit était silencieux. Refermant la porte derrière lui, il déposa ses sacs dans un coin, attrapa son mp3 et s’allongea sur le lit qui trônait au centre de la pièce. Il n’avait aucune idée de quand les autres locataires allaient arriver aussi décida t-il de passer le temps avec de la musique. C’était toujours mieux que de ruminer sur les événements passés. Il n’entendit pas l’arrivée de Miku, trop absorbé par la mélodie. Ce qui le tira de sa torpeur fut le cri strident qui retentit dans tout l’appartement. Il bondit du lit, arrachant les écouteurs de ses oreilles au passage et se rua dans le salon pour savoir ce qu’il se passait.

Voici qu’il se retrouvait à nouveau dans cet impressionnant salon dont la superficie seule était égale à celle de son studio, salle de bain et toilettes inclues. Natsume avait encore du mal à s’y sentir à son aise. Tout était beaucoup trop grand pour lui. Il y avait tellement de portes sur lesquelles donnaient des pièces probablement différentes –il n’avait pas pris la peine de le constater par lui-même- que le jeune homme hésita sur la marche à suivre. D’où était provenu le cri qu’il avait entendu ? Rien ne semblait bouger dans l’appartement totalement vide. N’avait-il pas rêvé ? Tendant l’oreille, il discerna des voix provenant de l’une des pièces ainsi qu’un… bruit d’eau ? Le garçon fronça les sourcils malgré lui : décidément le liquide s’acharnait à le poursuivre où qu’il soit ! Il se dirigea vers la porte d’où le son paraissait provenir mais il n’eut pas le temps de l’atteindre pour en vérifier l’origine qu’elle s’ouvrit pour laisser sortir une jeune femme. La première chose qui interpella l’étudiant fut ses longs cheveux. De couleur mauve, ils ne choquaient pas par leur teinte mais par leur longueur. L’inconnue le remarqua aussitôt et se tourna vers lui pour le dévisager. Son visage exprimait à la fois la surprise et l’incompréhension. Est-ce qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer ses futurs colocataires ? Minute ! Colocataires ?! Il allait vivre avec une femme ? Ce n’était pas prévu au programme ça ! Pas du tout ! Natsume pesta intérieurement. Son tuteur s’était encore bien foutu de lui. A l’heure qu’il est, il devait bien rire du tour qu’il venait de lui jouer. Peu importe il… Ses réflexions s’interrompirent à la minute où son regard rubis descendit légèrement en dessous du visage de la jeune femme.


S’ensuivit toute une suite de pensées qu’il serait inutile de retranscrire ici, hormis peut-être la dernière dans laquelle le garçon se demandait la sensation que l’on devait ressentir en portant des obus pareils. Réflexion inutile en fin de compte, erreur du narrateur. Se sentant comme jugé par le regard de l’inconnue toujours posé sur lui, l’étudiant releva vite fait les yeux pour les ancrer dans ceux, d’une jolie nuance absinthe ponctuée de touches de jaune. Avec une poitrine comme la sienne, elle devait certainement être habituée à ce qu’on remarque d’abord ce détail de son anatomie plutôt que l’ensemble de sa personne. A la longue, cela devait être lassant. Si Natsume ne pouvait comprendre l’opinion de la jeune femme vis-à-vis de ses seins, il savait en revanche ce qu’on ressentait face aux regards insistants des autres. La couleur inhabituelle de ses prunelles ne passait pas inaperçue, où qu’il se rende, mais avec le temps, il avait fini par ne plus y prêter attention. Il espérait seulement que l’inconnue n’avait pas deviné ses pensés. Et si elle se méprenait sur son compte ? A peine rencontré et déjà classé comme un parfait pervers amateur de gros seins ? C’était dur. Son égo ne risquait pas de le supporter. Comme ni l’un, ni l’autre n’entamait la conversation, il réfléchit à toute vitesse. Chercher quelque chose à dire, n’importe quoi.

« Est-ce que c’est vous qui av-… ? » finit-il par demander.

La porte s’ouvrit à nouveau sans même lui laisser le temps de terminer sa question. Son cerveau eut quand même l’opportunité de s’interroger sur le nombre exact de personnes qui allaient loger ici. Vu la taille de l’appartement, cela risquait d’être un chiffre élevé. Mais si Natsume ne s’attendait pas à rencontrer un colocataire du sexe opposé, son ahurissement fut total lorsqu’une seconde jeune femme jaillit de ce qu’il devenait être la salle de bain à la vue de la tenue de la demoiselle : une simple serviette nouée autour de la taille, tout juste suffisante pour dissimuler son corps entièrement nu. Du moins, sa peau encore humide le laissait présager. Personne ne se douchait habillé si ? L’étudiant se demanda bien quelle tête il pouvait faire à cet instant précis. Sûrement pas celle de celui qui s’était précédemment engagé à vivre en colocation. Il n’allait pas pouvoir accepter l’offre de son tuteur. Trop c’était trop. Peut-être qu’un autre homme aurait trouvé la situation plus qu’acceptable, voir même envieuse mais pas pour lui. Il avait suffisamment de problèmes pour en plus gérer une vie commune avec deux femmes. Cependant, la couleur bleu ciel –pas très courant en effet- des cheveux de la nouvelle venue lui rappela vaguement quelqu’un. Pendant que la jeune femme pilait net en le découvrant, il s’efforça de se rappeler. Une chevelure de cette teinte ne passait pas inaperçue… Et enfin il se souvint ! Il s’agissait de la personne qu’il avait rencontré par hasard alors qu’il tentait de secourir Flame. Le garçon ne conservait qu’un souvenir flou de cette rencontre, il n’avait pas eu le temps de la connaitre davantage. Quel était son nom déjà ? Quelque chose commençant par mi… Miki ? Mika ? Mi-…

« Saluuuuut ! Je suis Miku ! Ravie de te rencontrer ! » s’exclama la dénommée Miku avec énergie.

En un bond, elle fut à côté de l’étudiant, lui faisant la bise sans aucun embarras. Passée la gêne de tomber sur un inconnu alors qu’on se baladait uniquement vêtue d’une serviette de bain. Enfin, pas tout à fait, son sourire semblait un peu tendu. Quoi de plus normal ? Personne n’aimait se faire surprendre dans un attirail pareil. Et la jeune femme tentait de le cacher à l’aide d’un ton enjoué. Natsume l’observa sans rien dire pendant qu’elle s’adressait à la fille aux cheveux mauves. Il croyait pourtant qu’ils s’étaient échangé leur prénom lors de leur première rencontre ? Elle devait probablement l’avoir oublié pour agir de la sorte sans même une lueur d’étonnement dans le regard. C’était peut-être mieux ainsi tout compte fait. Après que Miku se soit éclipsée dans sa chambre, le silence s’installa de nouveau entre les deux interlocuteurs restés dans le salon. Finalement, l’intervention de Miku avait détendu l’atmosphère l’espace d’une fraction de secondes mais il restait un problème : la perspective de la colocation était-elle toujours envisageable pour chacun des acteurs ?

« Hum… Je ne m’attendais pas ce genre de… situation. J’avais accepté la colocation mais sans savoir qui j’allais rencontrer. Je m’appelle Natsume et vous ? »

Trop nerveux pour se contenter de rester face à son interlocutrice, il en profita pour faire un tour de la pièce toujours immense malgré les personnes qui s’y rassemblaient à présent. La nervosité n’était pas un inconvénient, plutôt une excuse mais en ce moment, l’étudiant s’interrogeait sur ce qu’il allait faire dans un avenir proche. Envisager de rester ? C’est vrai qu’il n’avait pas d’autres endroits où aller mais dans les conditions actuelles… Il n’aurait jamais dû accepter la proposition de son tuteur, et ce, dès le début. Il l’avait fait sous le coup du désespoir mais maintenant il constatait son erreur. Il dissimula un léger soupir.

« Vous voulez boire quelque chose ? » questionna soudain la voix de Miku, réapparue comme par enchantement.

Natsume lui jeta un cou d’œil, en arquant un sourcil. C’était sa réplique la plus sensée depuis son intervention mais pas vraiment le genre de phrase que l’on sortait naturellement dans une situation comme la leur. Visiblement, l’idée –et les conditions- de la colocation n’avait pas été précisées pour tout le monde et cela rendait les choses compliquées. Arrivé près de l’espace réservé à la cuisine, il ouvrit le frigo pour fournir un premier élément de réponse à la jeune femme aux cheveux bleus.

« Si toutes les deux, vous n’avez rien contre l’eau du robinet, je ne dis pas non. Je crois qu’une petite conversation s’impose. » déclara t-il en se retournant vers ses interlocutrices.

Sitôt que Miku se soit éclipsée le plus discrètement possible, du moins, autant qu’il était possible de le faire dans sa situation, l’autre jeune femme avait répondu à Natsume. Il avait froncé les sourcils quand elle avoua ne pas être au courant de leur colocation. D’habitude, quand on cherchait un appartement, c’était le genre de détail que les employés des agences immobilières s’attachaient à préciser non ? Ou alors la pauvre n’avait simplement pas été informée des faits par un salarié peu soucieux de faire au mieux son travail. L’étudiant s’était sentit désolé pour elle. Elle devait être certainement encore plus perdue que lui, n’ayant pas été prévenue et apprenant sur le moment qu’elle, si elle acceptait toujours de rester, risquait fort bien de partager les lieux avec un homme. Natsume réalisa que les deux femmes devaient penser la même chose que lui, à quelques différences près : comment vivre avec un inconnu de sexe opposé ? Ce genre de situation n’était envisageable que pour les couples, ce qui rendait l’atmosphère un peu étrange. Même si cela n’avait pas empêché la dénommée Miku de se présenter à lui, uniquement vêtue d’une serviette de bain. Peut-être que cette dernière envisageait les choses sous un autre angle ? L’inconnue s’était alors présentée et les propos qu’elle ajouta avaient perturbé le jeune homme. Heureusement pour lui qu’il lui faisait dos, sinon sa surprise se serait vue sur son visage. Sa gêne se voyait-elle autant que ça… ? Les propos directs de Leann contrastaient avec sa douce voix.

Dès lors qu’elle fut revenue parmi eux, la jeune fille aux cheveux bleus le dévisagea pendant plusieurs minutes avant de s’apercevoir de l’insistance déplacée de son regard. Son expression faciale changea immédiatement, remplacée par un sourire en guise d’accord pour la proposition du garçon. Elle ne lui laissa pas le temps de s’interroger davantage sur la suite des événements qu’elle repartit aussitôt dans sa chambre attitrée pour en ramener deux verres ainsi qu’une tasse. Natsume la remercia mentalement pour son initiative. Si aucun des trois colocataires n’avait d’ustensiles, cela allait se révéler très vite problématique. Il la gratifia d’un sourire quand elle se proposa de prendre la relève dans la cuisine, acceptant sans mal de se faire congédier de là. Ne sachant pas trop où se mettre, il s’efforça de paraitre détendu et s’installa dans le canapé tandis que Leann restait debout. Il n’osa pas lui proposer de le rejoindre, ne sachant pas comment elle envisageait les choses de son côté. Etrangement, il ne réagit pas à la présence de Miku à ses côtés, peut-être parce qu’il l’avait déjà rencontré auparavant ? Il s’étonna qu’elle ne lui demande pas son prénom, l’avait-elle reconnu ? C’était possible mais pas évident. L’étudiant fut reconnaissant à la jeune femme de lancer le sujet qui les concernait tous mais beaucoup moins lorsqu'elle s’adressa directement à lui.

« On m’avait averti qu’il s’agissait d’une colocation mais je n’ai pas songé à demander plus d’informations à ce sujet. »

Ce n’était pas tout à fait vrai. En réalité, on ne lui avait laissé le temps de poser des questions sur les conditions de la colocation. Mais il se garda bien de le préciser. Lui-même se demandait si l’on pouvait exiger des agences, qu’elles divulguent l’identité des autres occupants ? Cela paraissait déplacé en tous points, si on acceptait une colocation, ce n’était pas pour se montrer difficile sur les critères de sélection des colocataires en question. A moins de devoir vivre avec un psychopathe ou tout autre genre de tordus, on pouvait, en faisant quelques compromis, s’adapter à ce nouvel environnement en communauté. Voyant qu’il n’ajoutait rien, Miku reprit la parole pour expliquer comment elle était arrivée ici. Le garçon l’écouta sans l’interrompre ni poursuivre à sa suite. Il préférait avoir l’avis de ses deux interlocutrices avant de se prononcer. Pour l’instant, personne n’avait soulevé le problème de la cohabitation entre les sexes opposés.

« Je ne sais pas trop quoi en penser non plus… Je peux comprendre si vivre ensemble dans ces circonstances vous met mal à l’aise. J’ai accepté cette offre de colocation parce que je n’ai pas d’autres solutions d’hébergement pour le moment. » déclara t-il enfin.

Il marqua une pause, remarquant bien que sa dernière phrase ne pouvait être laissée en suspens trop longtemps. Bien sûr que ni Leann, ni Miku ne lui aurait demandé de détails supplémentaires concernant sa situation personnelle mais puisque la jeune femme aux cheveux bleus s’était confiée d’elle-même, pourquoi pas lui ? D’autant que plus le temps défilait, plus il se disait qu’il allait devoir accepter cette colocation. Au moins le temps de trouver une solution alternative. Natsume savait que dénicher un studio pas trop cher en cette période de l’année relevait de la mission impossible mais il ne désespérait pas pour autant. Il ne pouvait pas se le permettre.

« Le studio où je résidais a subi un lourd dégât des eaux. Tout l’immeuble en a pâti mais mon studio a été durement touché et j’ai dû évacué les lieux en vitesse pour que les réparations puissent débuter. Avant de tomber sur cette offre, j’étais à la rue. Si j’avais eu une autre solution, je vous aurai laissé entre filles. »

Et ben quoi ? Il n’y avait pas que des opportunistes obsédés sur Terre ! Il se saisit de l’un des verres déposés sur la table et fit la moue en voyant le liquide transparent s’agiter dans le récipient. De l’eau. Encore de l’eau. Il allait vraiment finir par détester ce liquide pourtant vital. C’était stupide il le savait et but une longue gorgée dans l’espoir que quelqu’un d’autres prenne la parole à sa suite. Il fut surpris d’entendre Miku préciser qu’elle était humaine. A vrai dire, cela ne lui serait même pas venu à l’esprit de lui demander ou de s’affirmer lui-même humain. Il considérait les autres races comme égales à la sienne et le garçon en oubliait parfois qu’ils n’étaient pas tous des êtres humains sans pouvoirs. Et dans son cas, il préférait dévoiler sa véritable nature. Peut-être ne serait-il pas contraint de vivre avec ses deux interlocutrices et le problème serait en partie réglé. La jeune femme le rassura quand elle déclara n’avoir aucune raison d’annuler la colocation. Peut-être avait-elle toujours des doutes concernant le jeune homme mais elle les cachait très bien. Il réfléchit un court instant avant d’ajouter, un sourire amusé figé sur les lèvres :

« Enfin, si l’on doit vivre ensemble pendant quelques temps, la première chose à faire serait d’installer un verrou ou autre chose sur la porte de la salle de bain. Sinon j’en connais une qu’on risque souvent de surprendre… »

Jamais deux sans trois comme on dit souvent. Après que Miku et Natsume se soient livrés l’un après l’autre au sujet de leur arrivée dans l’appartement, ce fut au tour de la seconde jeune femme de s’exprimer à ce propos. Elle disait être arrivée en ville le jour même et comme si cela n’était pas suffisant, voici qu’en plus, un des salariés de l’agence immobilière vers laquelle elle s’était tournée pour dénicher un logement, s’était payé sa tête. A croire que les agents chargés de l’entretien de la plomberie de l’immeuble où l’étudiant résidait encore quelques heures auparavant, Mr. Kalver ainsi que l’employé malhonnête étaient de mèche dans cette mésaventure collective. Ou alors Natsume devenait réellement paranoïaque. Il fut surpris d’apprendre que Leann était en réalité une lycanthrope. Le garçon ne put s’empêcher de la dévisager pendant quelques longues minutes, incrédule. Cette fois-ci, son comportement ne pouvait pas se rapprocher du mattage pur et simple, ses yeux restèrent à leur place, rivés sur ceux de la louve. Si elle leur avait caché la vérité, ce n’était pas évident que lui ou Miku le découvre un jour. Elle qui paraissait si calme et discrète. Le total opposé des présumés membres de cette race que l’étudiant avait rencontré par le passé. Il songea un instant à Danaliel puis se ravisa. L’idée de comparer les deux pouvait se révéler intéressante en théorie uniquement, dans la pratique, il trouvait cela stupide –chaque être était unique- et en plus cela lui rappelait des mauvais souvenirs qu’il préférait oublier pour le moment. Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas le regard insistant toujours posé sur lui, de la jeune femme à la chevelure bleu. A vrai dire, il n’écouta qu’à moitié ce qui s’est dit ensuite et sursauta au cri de Miku.

Dévisageant tour à tour les deux femmes, il s’efforça de cacher le sentiment d’incompréhension totale qui naissait peu à peu dans son esprit. Qu’avait bien pu raconter Leann pour surprendre ainsi leur interlocutrice ? A en juger par l’expression nerveuse de la louve, cela devait être embarrassant de son point de vue mais après le peu qu’il avait apprit de Miku, elle était du genre à hurler pour pas grand-chose, les événements passés parlaient d’eux-mêmes. Le garçon observa distraitement sa seconde colocataire vider d’une traite son verre pour partir s’en resservir un autre. N’étant pas plus au fait de l’échange entre les deux femmes, il préféra rebondir sur un sujet qu’il maitrisait : les différentes races des protagonistes réunis. Natsume se retourna vers la lycane et lui sourit gentiment, histoire de la détendre un peu. Peut-être qu’elle craignait une réaction agressive de la part de l’étudiant et de Miku ? Après tout, l’Avventura prônait l’égalité pour tous mais les incidents et les rixes demeuraient fréquents, au point de parfois raviver les vieilles tensions entre les races.

« Je suis du même avis que Miku, je n’ai rien contre les autres créatures. Je connais des lycanthropes et je n’ai pas à le regretter, tu n’as pas de soucis à te faire à ce sujet. »

C’était ainsi qu’il préférait voir les choses. Toutes les rencontres qu’il avait faites jusqu’à présent, créatures et humains confondus, toutes ne s’étaient pas déroulées de la meilleure manière qui soit. Ses pensées volèrent de nouveau vers Danaliel. Tantôt ami, tantôt ennemi. Rien à voir avec le fait qu’il était un lycan pourtant. C’était purement un problème entre eux, non entre deux membres de races différentes. Il espérait sincèrement que ses mots avaient rassuré, du moins un peu, son interlocutrice. Natsume ne s’était jamais posé la question auparavant, sans doute parce qu’il n’était qu’un humain et par conséquent pas concerné, mais comment se positionnaient les lycans, vampires et tous ceux qui n’étaient ni humains, ni partisans des Rebelles ? L’idée que Leann en fasse partie ne lui vint même pas à l’esprit. Pourtant, peut-être qu’elle avait dû mal à tisser des liens avec les personnes qu’elle rencontrait, justement à cause de sa différence. Les gens sont cons, c’est bien connu. Ils ont peur de tout ce qui n’est pas comme eux, de l’inconnu et au lieu d’aller à sa rencontre, ils préfèrent le considérer comme une anomalie à éradiquer. Pourquoi croyez-vous que les chasses aux sorcières ou les croisades aient eu lieu ? Bon d’accord, on s’éloignait un peu du sujet là mais le fond du problème restait le même. Miku revint vers eux, les verres de nouveau pleins –Natsume se demandait s’il parviendrait enfin à se débarrasser de tout contact avec de l’eau- avant de renouveler sa proposition de cohabitation, du moins pour une période test. Malgré son comportement parfois étrange, elle prenait vraiment à cœur cette colocation et énonçait quelques idées pour organiser le tout. Car c’était bien beau de vouloir vivre tous ensemble, on ne pouvait pas se contenter de vivre d’amour et d’eau fraiche, il fallait rester concret et réfléchir à comment s’arranger côté finances.

« Une caisse commune ? Oui, ça me semble être une bonne idée mais nous devrions également conserver nos comptes actuels pour tout ce qui touche aux dépenses personnelles. Je travaille à mi-temps mais j’ai un emploi du temps relativement souple, je ne sais pas si ça compte… Ensuite, je veux bien me charger de la cuisine, j’ai quelques compétences dans le domaine, à moins que… vous ne vouliez me refiler le ménage ? »

Les derniers mots de sa réplique sonnèrent comme une complainte mais encore une fois, venant de lui, c’était à prendre au second degrés. Qu’il s’agisse des tâches ménagères ou culinaires, il était prêt à mettre la main à la pâte. Il n’avait pas envie de rejoindre le stéréotype que bon nombre de personnes avaient des étudiants et encore plus des hommes concernant la répartition des tâches au foyer. De surcroit, il était encore à l’université, ce qui lui faisait bénéficiait d’un emploi du temps souple malgré son travail à mi-temps. Il était largement capable de s’occuper de sa part de responsabilités au sein de la petite colocation. Au fur et à mesure qu’il parlait, il nota que Miku le dévisageait de nouveau, les sourcils légèrement froncés. Y avait-il quelque chose dans ses propos qui ne lui plaisait pas ? Ou alors elle commençait à se rendre compte que l’étudiant ne lui avait toujours pas communiquer son nom de manière officielle ? Peut-être qu’elle se rappelait doucement de lui en fin de compte ?

« Et toi Leann, qu’en pen-… ? » commença t-il en se tournant vers la louve.

« Matsumine !!!!!!! »

Natsume lui jeta un rapide coup d’oeil, pensant qu’elle voulait dire autre chose mais la position de la jeune femme, pouce en avant et pointé dans sa direction, lui prouva le contraire. Elle avait l’air très, très, très sûre d’elle sur ce coup là mais ce qui était sûr, c’est qu’elle était bien la seule à savoir de quoi il retournait à cet instant précis. Comme Leann paraissait aussi sceptique que lui, il se décida à intervenir pour connaitre les raisons d’une telle exclamation.

« … C’est à moi que tu parles Miku… ? demanda t-il avec le ton prudent de quelqu’un qui s’adresse à un fou.

Elle lui expliqua alors pourquoi. Cela provenait de sa bouche même mais les faits qu’elle énonça semblèrent venir de beaucoup plus loin. Combien de temps s’était écoulé depuis ? Il n’en avait aucune idée mais était-ce vraiment important en fin de compte ? Comme l’avait supposé le garçon, elle se rappelait de l’accident qui avait conduit Djenna, non, Flame, à l’hôpital. A deux ou trois détails près…

« C’était sensé être mon nom ce cri de guerre… ? Ah et c’est Natsume pour information, Na-tsu-me, Leann ici présente pourra te le confirmer au cas où tu aurais encore des doutes. Oui, elle se porte mieux, merci de demander mais ce n’était pas ma petite amie tu sais… »

Connaissant la jeune femme, ce n’était pas certain qu’elle lâche l’affaire aussi facilement, surtout le passage concernant la prétendue petite copine. Il espérait quand même que cette histoire ne prendrait pas des proportions trop importantes, il n’avait pas envie qu’elle le charrie avec ça.

Espoirs sans trop de conviction…

Passée l’expression de totale incompréhension sur son visage suite à la réaction imprévue de Miku, les lèvres de l’étudiant s’étirèrent en un discret sourire quand il observa la figure de la jeune femme se décomposer pour finalement virer au rouge. Ce n’était pas son intention, pensez le bien, de la mettre dans un embarras pareil mais pour une fois, il n’y était pour rien. Elle s’était mise toute seule dans cette situation gênante et elle semblait méditer là-dessus, histoire de ne pas refaire la même erreur dans un avenir proche. Natsume ne le connaissait pas depuis suffisamment longtemps pour se faire une opinion de la jeune femme mais elle semblait un peu étourdie et du genre à dire ce qui lui passait par la tête, pour le meilleur et pour le pire. Il l’écouta balbutier des excuses en fixant son verre d’eau d’un air penaud. Il était davantage soulagé que satisfait par la réaction de son interlocutrice. Cette dernière n’avait pas insisté sur l’hypothèse de la petite amie et c’était très bien ainsi. Sa relation avec Flame était encore trop ambigüe pour affirmer qu’ils étaient ensemble et il préférait de loin penser qu’ils n’étaient que deux amis proches. Pour le moment en tout cas. Seul le futur savait ce qui les attendait. Le garçon se contenta de lui répondre un « Ce n’est pas grave va. ». Il ne savait pas quoi lui dire d’autre, espérant que cela suffise à dissiper son malaise, malaise qui semblait s’être lui aussi communiqué à Leann, restée silencieuse jusque-là si on excluait, sa brève et discrète affirmation envers les propos de l’étudiant. Les trois colocataires retombèrent dans le silence. Le comportement de Miku avait radicalement fait dévier la conversation, déjà si difficile à mettre en place entre eux. Heureusement, ce fut la jeune femme, celle-là même qui était à l’origine du silence dans la pièce qui le rompit. Décidément, la vie avec Miku ne s’annonçait pas de tout repos. Entre elle et Leann, c’était carrément l’opposé ! Cette pensée refit sourire l’étudiant sans pour autant lui faire oublier qu’elle attendait de nouveau des réponses de leur part.

Pour le coup, le garçon ne savait pas quoi rajouter à ce que sa colocataire déclarait. Il était d’accord avec tout ce qu’elle venait de dire et vu que ses paroles s’adressaient plus à Leann qu’à lui en fin de compte, il ne reprit pas la parole, laissant le soin à la louve de répondre à Miku en acquiesçant. Puis vint le moment de commencer à dresser la liste des choses à acheter. L’appartement était neuf et meublé mais il manquait un nombre incroyable de choses pourtant utiles dans la vie de tous les jours, à commencer par la vaisselle. Songeant un instant à son ancien studio, il se mit à énumérer les premières choses qui lui venaient à l’esprit, s’interrompant quelques fois afin de laisser la louve reprendre à sa suite ou pour donner le temps à Miku d’écrire ce qu’ils lui dictaient. Quand ce fut fait, il se rapprocha de la jeune femme aux cheveux bleus pour jeter un coup d’œil à la fameuse liste. Sur le moment, leur proximité ne le perturba pas, d’autant qu’il était davantage concentré sur les mots inscrits sur le papier que sur la personne qui les avait écrit devant lui. Il nota mentalement qu’elle avait une jolie écriture cela dit en passant… quand il eut soudain une illumination et oui, cela arrivait encore !

« Miku, avant d’écrire trop de choses, on devrait peut-être faire l’inventaire de ce que nous avons ? Enfin… Personnellement, je n’ai pas amené grand-chose de chez moi, tout juste quelques vêtements et comme Leann vient d’arriver en ville, il ne reste que toi. Tu as pu sortir des verres et une tasse de tes affaires. Cela pourrait alléger nos frais au final. »

L’étudiant avait plus parlé sans trop réfléchir, préférant sortir une idée et y réfléchir ensuite. Il se rendit compte que cela sonnait étrange et remarqua au même moment, sa proximité avec la jeune femme. Il se recula lentement d’elle, un peu gêné, trouvant qu’il profitait un peu trop des affaires de Miku en parlant ainsi. Après tout, c’étaient des souvenirs de ce qu’était sa vie avec sa sœur avant qu’elle ne disparaisse, c’était impoli de sa part d’aborder les choses de cette manière. Sa raison lui hurlait le contraire mais avant de poursuivre, il préféra connaitre l’avis de la concernée.

« Bien sûr je comprendrai que tu veuilles garder ces objets qui te rappellent ta sœur. De toutes façons, cette idée m’a donné envie de repasser à mon studio, voir ce que je peux y récupérer. Ce sera toujours ça de gagné et puis, on aura plus qu’à aller faire les courses. Je pense qu’on a tout inscrit sur la liste. »

Une fois la liste terminée, il ne voyait pas trop ce qu'ils pouvaient encore faire dans l'appartement. Hormis trier les quelques affaires de Miku, si cette dernière l'autorisait et encore, Natsume laissait volontiers sa place à Leann pour cela -pas tellement envie que ça de tomber sur des choses personnelles dans tous les sens du termes et passer pour un pervers...-, ils avaient fait ce qui pouvait l'être. Passée leur rencontre riche en émotions, ils ne leur restaient plus qu'à passer à l'action. Sauf qu'il ignorait ce qu'en pensaient les deux jeunes femmes qui seraient ses colocataires. Avant de faire quoique ce soit, il attendit patiemment leurs réactions.

L'appréhension céda la place au soulagement lorsque Miku prit la parole suite à la proposition de l'étudiant. Mettre leurs maigres affaires en commun, chose qui lui avait d'abord parut naturelle dès lors qu'ils seraient officiellement en collocation tous les trois, mettait le jeune homme un peu mal à l'aise à présent. Si Natsume ne vouait aucune affection particulière pour les objets de son quotidien, il était évident que cela était différent pour sa colocataire. L'ignorance n'était pas une excuse, la jeune femme leur avait raconté les circonstances qui l'avaient contrainte à déménager et évoqué son passé avec sa soeur disparue. N'importe qui aurait compris que les objets gisant à présent dans des cartons, étaient les derniers souvenirs de cette époque, désormais révolue pour elle. Le garçon avait presque immédiatement regretté ses mots mais Miku l'avait rassuré à ce sujet. Elle comprenait son point de vue et reconnaissait volontiers qu'elle préférait garder certains de ces souvenirs pour son usage personnel. Il se contenta d'approuver ses dires d'un hochement de tête compréhensif. Il ne trouvait rien à redire, il était entièrement d'accord avec ce qu'elle disait. A un détail près: qu'elle veuille en plus participer financièrement à l'achat de nouvelles fournitures contraria Natsume. Ce dernier jugeait qu'elle en faisait bien assez, et ce, depuis le moment où elle s'était chargée d'organiser leur cohabitation. La jeune femme avait l'habitude de ce genre de choses, l'étudiant lui faisait confiance pour cela mais il désirait aussi participer à sa manière. Il ne roulait pas sur l'or, sa décision de rapatrier ce qui pouvait l'être de son appartement lui sembla plus que jamais une bonne chose. Peut-être l'une des meilleures idées qu'il avait eue jusqu'à présent c'est pour dire !

Alors qu'il cherchait vainement un prétexte pour évincer Miku des courses -il ne voyait que cette possibilité pour l'empêcher de dépenser plus qu'elle ne devrait selon lui- Leann que l'on avait presque oubliée dans toute cette histoire, prit soudain la parole. Elle se proposait d'elle-même pour aller faire ces fameuses courses. Pour quelqu'un qui était resté assez discret jusqu'à présent, son initiative surprit Natsume. D'autant qu'elle venait d'arriver en ville, c'était courageux de sa part de se proposer ainsi. Peut-être que le jeune homme n'était pas le seul à vouloir aider et que la louve aussi souhaitait se rendre utile ? Non pas qu'il pensait que la lycane était une personne égoïste ou quoique ce soit, simplement... L'étudiant étouffa un soupir silencieux. Il en faisait de trop, une nouvelle fois. Il allait vraiment falloir qu'il apprenne à compter un peu sur les autres. Finalement, cette collocation était une bonne chose. Il sourit quand la jeune femme lui demanda son numéro de téléphone. Il ne se fit pas prier et lui communiqua aussitôt. Même si elle ne l'avait pas fait, il lui aurait certainement donné. A l'écouter parler, cet échange de banalités entre deux collocataires relevait plus d'une nécessité que d'un simple plus pour faciliter la communication entre eux. Le garçon avait l'intime conviction que le « facilement » se produirait dans les jours à venir...

Cette proposition inattendue allait servir les desseins du garçon. D'une, il n'avait pas réfléchit à comment ramener des affaires de chez lui sans cartons ni bras supplémentaires. Pour la seconde option, il ferait sans -ce n'était pas son genre de demander de faire travailler des jeunes femmes- mais pour le reste, il lui faudrait attendre que Miku ait fini de vider les siens pour les récupérer afin de transporter ses propres affaires. Voilà pourquoi l'offre de Leann lui fournissait un bon -et utile- moyen de tuer le temps. On avait beau dire ce qu'on voulait, on manquait toujours de cartons. Cela ne semblait rien en apparence mais ils se révélaient d'une grande aide et en toutes occasions. Tandis qu'il aidait Miku à tracer quelques points de repères sur une carte de fortune, représentant les alentours de l'appartement, il en profita pour mémoriser l'itinéraire et la durée approximative qu'ils leur faudrait pour accomplir un aller-retour. Il repéra également son studio, constatant avec joie qu'il n'était pas très éloigné de leur appartement actuel, ce qui lui épargnerait de longs déplacements. Il prit le temps de voir sous quel angle il pourrait amener sa vision des choses et décida finalement d'y aller franchement. S'approchant de la jeune femme à la chevelure bleu, il récupéra habilement la liste des courses.

« Je viens avec toi, je ne vois pas ce que je pourrai faire de plus ici et puis ce sera l'occasion de te faire un peu découvrir la ville. » déclara t-il en se tournant vers la lycane. « A présent qu'on a notre ébauche de liste pour les courses, on a plusieurs trucs à acheter et deux bras supplémentaires ne seront pas de trop. »

Il attendit sa réaction avant de poursuivre, s'adressant cette fois à Miku. Elle devait sûrement s'étonner de le voir changer d'avis aussi brusquement, lui qui partait pour son studio, emporter ce qui pouvait l'être. Il lui devait une petite explication. D'un autre côté, ce serait aussi une bonne façon de rassurer Leann sur un point... ou deux: il ne l'accompagnait pas pour ses seins, aussi beaux soient-ils.

« Je me proposerai bien pour t'aider à vider tes cartons Miku mais je suppose que tu préfères le faire par toi-même alors... J'attendrai qu'ils le soient avant de les emprunter pour vider mon studio. J'aurai dû mal à tout faire sans carton pour transporter mes affaires. Et rassure toi, on te laissera quelques courses... » conclut-il en lui adressant un clin d'oeil.