Non, jamais Aline n’aurait cru pouvoir se tromper à ce point. La vampire, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte, fixait ces deux mots inscrit sur un papier mal imprimé. Il y avait une heure, elle avait décidé d’aller consulter le bilan officiel de l’assaut sur la grotte. Il y figurait le nom de Faust parmi les Rebelles abattus. Ainsi, Aline avait vu juste en pensant qu’il était mort. Mais ce n’était pas cela qui l’avait interpelé. Juste à côté de son propre nom, celui d’Aéris était écrit. La demoiselle en était restée bouche bée d’incrédulité. Elle était persuadée de l’avoir vu mourir. Aéris s’était faite sauvagement agressée, ça elle en était certaine. Cependant, elle n’avait pas les idées claires ce soir-là. Elle avait dû mal voir. C’était la seule explication rationnelle qu’elle avait pu trouver. Après la stupeur, c’était le soulagement qui avait pris place. Et puis, le sentiment de vérifier par soi-même se fît violemment sentir. Après tout, qu’est-ce que ce papier pouvait-il bien prouver ? Une erreur était parfaitement envisageable.
De nouvelles recherches lui confirmèrent qu’Aéris était belle et bien vivante et même qu’elle se trouvait à la prison du Cercle. Et dire qu’elles se trouvaient au même endroit, toutes les deux, au même moment sans le savoir. Cela la rendait dingue de penser à toute la souffrance qu’elle avait endurée alors qu’Aéris était encore en vie. Une colère froide envers tous ceux qui savaient et qui ne lui avaient rien dit s’empara d’Aline. Le souvenir de l’entretien dans le bureau de Soleon la mit d’autant plus en rogne. Il l’avait laissé larmoyer et se lamenter devant lui, tandis qu’il savait parfaitement qu’Aline faisait erreur. « Qu’est-ce qui vous faire dire qu’elle est morte ? » Cette phrase résonna longuement dans la caboche de la vampirette alors que la colère montait de plus en plus. Ses doigts blanchâtres se crispèrent sur le papier et le froissèrent brutalement. Un véritable orage se déroulait sous le crâne de la jeune fille. Elle songea à toutes ces larmes versées et ce « pourquoi elle ?!» qui l’avait poursuivi durant tout ce temps. Et brusquement, elle s’élança dans le couloir, prenant la direction de la prison. Elle voulait voir Aéris. Elle voulait vérifier par elle-même. La voir. L’entendre. La toucher. S’assurer que ce n’était pas un mirage. Mais ça ne se passa pas comme elle l’avait espéré.
Arrivée à l’accueil de la prison, face à une secrétaire pas vraiment commode, les poings posés sur le comptoir, Aline annonça qu’elle voulait voir une détenue. La bonne femme prit un air pincé, peu contente d’entendre quelqu’un lui parler sur ce ton insolent et déclara que la détenue en question était interdite de visite. Aline eut beau insister, taper du pied ainsi qu’un scandale, la secrétaire ne cilla pas.
« De toute façon, tu dois être accompagnée d’un adulte, jeune fille ! »
Particulièrement énervée, Aline plissa les paupières et tourna les talons. Elle ne souhaitait pas encore une fois devoir justifier son âge. Cette vieille mégère ne cèderait pas, et la jeune fille ne voyait aucune solution à son problème. C’était injuste ! Injuste ! Injuste ! Elle ne se voyait pas demander de l’aide à quelqu’un. Certainement pas à l’autre menteur, en tout cas. Elle ne connaissait personne qui occupait un poste avec de l’importance au Cercle, ni qui pouvait lui venir en aide.
Mais si !
Pourquoi ne pas y avoir songé plus tôt ? D’un pas plus assuré cette fois, la blondinette retourna d’où elle était venue. Elle espérait sincèrement qu’il accepterait de l’aider. Elle ne savait même pas ce qu’elle ferait s’il refusait. Une fois devant le bureau de Néro, Aline hésita une seconde et frappa à la porte.
Assis dans son bureau, le vieux vampire repensait aux évènements ayant eu lieu dans l'ancienne base des Rebelles. Combien de temps s'était écoulé depuis cet évènement ? Le second des vampires ne parvenait même plus à s'en souvenir. Ce soir là, un soldat était mort... mort par sa faute. Dans son esprit, l'homme en noir revoyait encore son visage sans vie. Tout cela par ce que Néro avait cru bon de n'en faire qu'à sa tête, quitte à risquer la vie de ses subordonnées, à présent son moral subissait le contrecoup de cette erreur. A chaque fois qu'il repensait à cet incident et au visage d'Alastor, le bras droit du vampire recommençait à le faire souffrir. Comme ce n'était pas une simple balle, le vampire en garderait surement une cicatrice tout le restant de sa vie, d'autant plus que la douleur n'était pas encore totalement partie. Loin de se douter des tourments de son maitre, le poussin Ignis, toujours fidèle au vieux vampire, était tranquillement installé sur son perchoir, en train de picorer quelques graines. Néro ne prêtait même pas attention à son animal domestique, ou même au reste de son bureau, il était tout simplement perdu et confus dans ses idées.
C'était tellement plus simple du temps où j'avais renoncé à mon humanité, je ne me prenais pas autant la tête avec ces histoires de morale.
Pensa t'il à haute voix. Il commençait seulement à oublier ses crimes passés, qu'encore une fois, le poids de ses responsabilités lui pesaient à nouveau sur les épaules. Après cela qu'est ce que le destin pouvait bien encore lui réserver ? Néro n'en savait rien et une chose est sure, il n'avait vraiment pas envie de le savoir. Sur son bureau, trônait fièrement une pile complète de papiers en retard qu'ils devaient rendre sous peu, encore un autre inconvénient de sa nouvelle fonction et ces temps ci être second des vampires n'était pas spécialement une activité excitante. Ce qui vint tirer le vampire de ses pensées, fut un "toc toc" distinctif d'une personne ayant frappé à sa porte. Néro en haussa d'abord les sourcils d'étonnement, peu habitué à recevoir de la visite. Se levant paresseusement de son bureau, il alla ouvrir la fameuse personne qui venait de frapper en espérant qu'il ne s'agissait pas d'un mauvais poisson d'avril.
Oui ?
Fut le premier mot que le second des vampires articula après avoir ouvert la porte, sans même avoir encore regardé son interlocuteur. En baissant les yeux, il tomba alors nez à nez avec une tête blonde qu'on aurait cru sortir d'un comte d'Alice au pays des merveilles. Son visage ressemblait tellement à celui d'une poupée, que Néro eu besoin d'y regarder à deux fois, avant de reconnaitre distinctement l’appartenance de cette personne à la race des vampires.
Que puis je pour vous ?
Demanda il alors d'un air un peu désintéressé. Malgré l'apparence enfantine de la vampire, Néro savait que cela pouvait s'avérer trompeur et qu'il existait en ce monde des vampires bien plus âgés que lui et qui pourtant semblaient nettement plus jeunes à en juger par leur physique, c'est pour cela que le vampire s'en tenait au vouvoiement. Néro espérait seulement qu'il ne s'agissait pas là d'une demande insipide qui lui ferait perdre son temps. Même si, en ce moment, l'homme en noir passait plus de temps à déprimer dans son coin plutôt qu'autre chose. Comme intéressé par la nouvelle arrivante, Ignis se sépara de son perchoir pour venir se pauser sur l'épaule de son maitre et regarder la petite vampire.
Lorsque la porte s’ouvrit, Aline poussa un bref soupir de soulagement. Il y a des moments dans la vie où rien ne semble vouloir se passer comme cela devrait. Et ce jour-là en faisait vraisemblablement parti. Ainsi, la demoiselle se serait attendue à ce que Néro soit en déplacement ou autre chose de ce goût-là. Mais heureusement, une dernière chance s’offrait à elle. Elle le dévisagea un instant et puis sans même dire bonjour, elle pénétra dans le bureau. Elle ne se souvenait pas y avoir été invitée, mais on n’oublie pas si facilement les vieilles habitudes.
La jeune fille balaya du regard la pièce, s’attarda sur les papiers non classés. Ça a l’air de bosser dur ici ! Finalement, elle n’était plus aussi sûre qu’il puisse faire quelque chose. Enfin, au point où on en est…
Le propriétaire des lieux et son piaf la regardaient, un air incrédule peint sur le visage. Ils ne semblaient pas se souvenir d’elle. On est mal barré !
« Vous vous souvenez de moi ? » hasarda la jeune fille.
Ils s’étaient rencontrés, il y a quelques mois déjà, peut-être même un an. C’était à bord de ce gigantesque bateau, sur lequel elle avait encore cédé à la fièvre acheteuse et dépensé toutes ses économies pour une robe de haute couture qu’elle n’avait jamais reportée et qui était restée accrochée dans sa penderie, bien protégée par son emballage de soie. Aline se rendait maintenant compte de la stupidité de son achat, mais elle ne s’était pas encore résolue à la revendre. Elle s’arrêtait souvent pour la regarder, alors qu’elle choisissait ses vêtements du jour, tout en regrettant de ne pas être invité à une soirée suffisamment chic pour pouvoir la porter. Elle était certaine qu’elle ferait sensation, vêtue de la sorte !
« Je suis Aline. On s’était rencontré durant une croisière. On avait même déjeuné dans un restaurant, qui était de l’arnaque cela dit. » poursuivit-elle.
En espérant que ces maigres renseignements lui feront retrouver la mémoire, Aline se détourna et se mit à faire les cents pas. Maintenant qu’elle repensait à l’objet exact de sa visite, la colère reprenait le dessus. Elle n’y croyait pas ! Cette bonne femme l’avait foutu dehors comme une malpropre ! La demoiselle se tordait les mains de rage. Elle avait les joues en feu, les yeux luisants de fureur et les lèvres pincées. Sous l’effet de la colère, son nez et son cou s’étaient couverts de minuscules tâches de rousseurs. Aline n’était vraiment pas belle à voir lorsqu’elle était en proie à l’une de ses colères capricieuses. Des caprices, elle en avait fait des tonnes durant son enfance. Mais jamais aucun n’avait été aussi gros que celui-là. Après tout, c’était parfaitement compréhensible que l’accès à la cellule d’Aéris soit sécurisé, ainsi que cette dernière soit interdite de visites. Mais non, pour Aline ce n’était pas une raison suffisante ! Et Dieu sait combien cette jeune fille pouvait se montrer têtue !
« J’ai appris qu’une amie à moi était en vie, alors qu’elle était censée être morte parce que je l’ai vu mourir sous mes yeux pendant l’assaut. Mais son nom est inscrit parmi les rebelles arrêtés, donc ça veut dire qu’elle est vivante ! Dans son dossier, ils disent qu’elle est en prison mais à la prison ils ne veulent pas me laisser rentrer sous prétexte qu’elle n’a pas le droit aux visites ! Et l’autre conne de l’accueil n’a fait que me répéter que de toute façon il fallait qu’un adulte m’accompagne, comme si j’étais une gamine ! Non mais elle a cru quoi ? Que j’avais dix ans ?! »
Aline s’arrêta une seconde pour reprendre son souffle. Elle avait débité toute sa tirade en un temps record. Bon courage pour retrouver les informations nécessaires maintenant ! La blondinette se radoucit un instant pour ajouter :
« J’ai besoin d’aide pour forcer l’entrée de la prison. »
C’était clair que dit comme ça, ça ressemblait un peu à un plan foireux. Mais Néro était son dernier espoir, et la jeune fille ne voulait en aucun cas renoncer.
Néro n'avait en effet pas tout de suite reconnue la petite vampire avec qui il avait eu l'occasion de faire du shopping ainsi que de manger dans un restaurant durant son séjour. Rien pourtant à la base ne rassemblait ces deux individus, si ce n'est leur race et pourtant ils avaient ce jour là beaucoup discutés. Le vieux vampire se maudit alors d'avoir oublié ça, craignant presque de commencer à perdre à la boule.
Oui Aline, en effet. Excusez moi, ma mémoire n'est plus ce qu'elle était.
S'excusa l'homme en noir, avant de se rasseoir pour écouter ce que la vampirette avait à lui dire. Néro ne connaissait pas la raison de sa venue, mais une chose lui disait que ce n'était surement pas pour parler du bon vieux temps. Pendant qu'Aline s'expliquait sur les raisons de sa venue, Néro prit un air neutre, avant de hausser les sourcils de surprise quand elle lui parla d'une de ses amies en prison. Néro fouilla dans sa mémoire, avant de se rappeler de ce fameux incident qui avait eu lieu durant l'attaque du Cercle sur la base des Rebelles.
J'ai eu vent de cette histoires, deux vampirettes affrontant deux agents du Cercle... Durant notre rencontre en Croisière je n'aurais même pas soupçonné que vous faisiez alors partie des Rebelles.
Dit il, en ponctuant sa phrase d'un léger rire ironique. L'homme en noir n'était pas vraiment en mesure de jeter la pierre sur Aline pour cette histoire, étant donné que par le passé Néro avait lui même failli entrer au service des Rebelles, si le destin n'en avait pas voulu autrement. Et puis, il était de toute manière très mal placé pour juger quelqu'un sur son passé ou ses actions. Après avoir pris un temps pour analyser ce que sa congénère venait de dire, le vampire prit de nouveau la parole.
Donc, vous voudriez que je vous aide à forcer le passage de la prison pour retrouver votre amie...
Néro se leva alors de sa chaise, pour venir de nouveau faire face à Aline. D'un air sérieux et presque autoritaire, il croisa les bras, en fixant les yeux de la demoiselle vampire.
En temps normal je devrais vous dire non et vous demandez de bien vouloir partir mais....
Néro prit un temps de réflexion, en prenant son menton entre son pouce et son index d'un air songeur, puis regarda à nouveau Aline, pour lui dire sa décision.
Comme je suis second des vampires, je suis habilité à vous accompagner dans la prison, donc nul besoin de la forcer. En revanche pour votre amie, je ne garantit rien quant à son sort, je n'ai pas le droit de la faire évader après tout. Tachons déjà de voir ce qu'il en est de cette demoiselle.
Néro préférait éviter, de préférence, de faire évader une autre détenue. Il avait déjà pris de gros risques en copinant avec la dame Darkness anciennement captive en ces lieux, ce n'était pas pour prendre un autre risque de se faire renvoyer. En voyant la détermination d'Aline, Néro savait déjà qu'elle voulait tout mettre en œuvre pour la retrouver et la libérer si nécessaire, cette perspective ne réjouissait pas vraiment Néro des masses, qui pensait déjà à toutes les conséquences qu'un tel acte pourrait avoir.
Avant que nous y allions, je peux savoir pourquoi vous tenez tant à la retrouver? Cette fameuse vampire doit avoir bien de la valeur à vos yeux pour que vous fassiez tout ces efforts. Si vous étiez tombé sur quelqu'un d'autre que moi, cela aurait pu vous couter très cher de vous montrer aussi curieuse.
Attendant une réponse de son interlocutrice. Néro resta debout, face à sa congénère, en regardant Ignis qui venait de se pauser sur la main de son maitre, à grands renforts de "pious" tonitruants.
Aline n’avait pas cessé de se tordre les mains durant tout le temps qu’il fallut à Néro pour prendre une décision. Elle détestait se retrouver dans cette position, celle de la personne faible obligée de demander de l’aide aux gens. Elle avait toujours considéré de genre de personnes comme des assistées et ne voulait en aucun cas faire partie leur monde. La demoiselle ne voulait pas courir le risque de se faire remballer méchamment, ni même qu’on lui rit au nez. Ce qu’elle faisait bien souvent aux autres, cela dit. Et c’était bien par ce qu’elle le faisait qu’elle craignait que les autres le lui fasse aussi. Mais d’un autre côté, solliciter de l’aide était la seule chose à faire pour le moment. Aline était toujours parvenue à avoir ce qu’elle voulait, alors pourquoi cela serait-il différent aujourd’hui ? Aline se stoppa net dans sa marche, et faisant face à Néro, le fixa intensément. Ainsi il savait. Tout le monde semblait être au courant, visiblement. Et la blondinette détestait cela. Hormis le fait occasionnel de se donner en spectacle, Aline avait toujours veillé, du moins depuis sa transformation, à ne pas se faire trop remarquer. Jeune humaine, elle adorait qu’on la regarde, l’admire et l’envie. Mais désormais, la vampire préférait ne pas se mettre trop sur le devant de la scène. Ce qui, en réalité, n’avait pas été le cas depuis plusieurs mois déjà.
Elle ne répondit donc rien à son rire, optant pour l’option neutre. Elle ne voulait pas griller ses dernières chances en lui répondant insolemment. Elle ravala donc ses réponses acerbes et tenta de sourire. Et deux secondes plus tard, elle s’en félicita. Son interlocuteur ne semblait pas vraiment ravi par la demande de la demoiselle. Elle leva des yeux suppliants vers lui, sentant le « non » arriver. Il va dire non, c’est fichu de chez fichu !
Erreur. Aline écarquilla les yeux de surprise avant de pousser un bref soupir de soulagement. Cela voulait dire qu’il allait l’aider, et qu’elle allait revoir Aéris ! C’était bien la seule chose de bien qu’il lui était arrivé depuis un bon moment !
« Oh, ne vous en faîtes pas ! Je demande juste à la voir, rien de plus ! » s’empressa-t-elle d’ajouter avant qu’il ne change d’avis.
Et pour une fois, elle disait la pure vérité. Elle voulait, pour le moment, seulement s’assurer qu’Aéris aille bien, qu’elle soit en bonne santé. Et puis, surtout la retrouver, lui dire ses regrets et faire éclater sa joie de la savoir en vie. A cet instant, elle ne songeait pas au moyen de la faire s’évader. Elle ne voulait pas, non plus, se mettre dans une position désavantageuse. Admettons qu’Aéris parvienne à s’échapper. Aline se verrait alors dans l’obligation de la poursuivre. Et si elle ne le faisait pas, cela pourrait parfaitement passer pour de la trahison.
« Cette vampire est l’amie la plus chère que je n’ai jamais eu ! » répondit-elle.
Pour sa meilleure amie, on ferait tout et n’importe quoi. Personne ne nous connaît mieux qu’un meilleur ami. C’était étrange ce lien qui unissait Aline à sa comparse vampire. Elle ne l’avait pas choisi, et elle n’arrivait pas vraiment à expliquer pourquoi Aéris et pas une autre.
« Je sais, mais je suis tombée sur vous ! » répliqua-t-elle.
Elle lui servit un sourire éclatant et s’élança plus vite que son ombre vers la sortie.