C'était encore une fois avec un soupir et sans un mot que ce jour là l'élémentaire avait décidé de sortir pour s'aérer un peu. Dehors le ciel portait ses couleurs habituelles, du moins il pensait que c'était le cas, il quittait si rarement sa nouvelle tanière. Mais il fallait bien vivre, il fallait bien faire acte de présence dans ce monde de temps en temps, il fallait bien..
Moins d'un mois s'était écoulé depuis les deux incidents, encore quelques jours et sa nouvelle demeure pourrait fêter ses quatre semaines de présence, même si le mot "fêter" n'était pas réellement partie intégrante de son vocabulaire depuis ces jours sombres. Il n'était pas triste non, il n'était pas heureux non plus. Ni la joie ni la peine ne rythmaient ses journées, ni l'espoir ni le désespoir. Il était là, simplement, sans objectif précis, sans rêves à atteindre. Il n'avait plus utilisé ses pouvoirs sur le monde extérieur depuis ces jours, à quoi bon? à quoi pouvaient bien servir ses capacités si elles ne pouvaient redonner vie à sa maison, à quoi pouvaient-elles bien servir s'il était lâche au point de ne pas oser sacrifier une vie pour en sauver une autre?
Il marchait dans les rues, se souciant peu des passants et de leur quotidien lassant et répétitif, de leurs sentiments dévoilés. Lui qui était seulement quelques temps auparavant un être curieux restait désormais dans son monde, ne jetant que des regards discrets et distraits à ce qui l'entourait. Il repensait à l'endroit où il avait commencé à vivre depuis cette fameuse nuit, à cet étranger qui avait accepté de le prendre chez lui et à tout ce qu'il avait trouvé dans cet appartement. Il avait tout ignoré, tout mis de côté. Depuis le jour de son arrivée à aujourd'hui, où il trainait le pas dans les rues sans trop savoir où aller, il s'était enfermé dans le silence, prostré dans un coin de son nouveau domicile où habitaient aussi ses colocataires. Avait-il seulement prononcé un seul mot depuis ce jour?
Le destin était farceur et par chance ou malchance - on ne le savait pas encore - le maître des plantes n'avait pas noté ni vécu les événements tragiques de l'arrivée de l'épidémie, qui était installée dans la ville depuis le printemps. Il n'avait passé que peu de temps dans les environs et, dès sa naissance vers la fin du mois de Juin, il s'était empressé de retourner dans sa forêt. Puis le retour et ses contraintes: tenter de s'adapter à la société des vivants, retrouver les seules personnes qui pouvaient l'aider (recherches sans succès), vivre. Toutes ces tentatives s'étaient soldées par des échecs cuisants et, après quelques jours dans les rues et
les incidents, il était resté enfermé.
C'est au détour d'une ruelle dans laquelle il passait par hasard qu'il nota une certaine agitation, beaucoup se regroupaient et entraient dans un bâtiment aux aspects qui détonaient quand on comparait au reste de la ville. Il jeta un regard insipide à la foule mais décida tout de même de se diriger vers la zone en question. Sa curiosité n'était plus sollicitée depuis longtemps et l'envie de savoir ce qui pouvait bien provoquer un tel rassemblement titillait son esprit. Il s'avisa donc de s'intégrer parmi les habitants et d'attendre enfin le moment où il pourrait rentrer. Dans les rangs qui attendaient de pouvoir pénétrer dans l'enceinte il passait inaperçu grâce à des vêtements bien communs, offerts gracieusement par l'étranger. Ces derniers étaient principalement constitués d'un jean bleu clair et assez ample, de chaussures de marche noires et d'un pull cowichan blanc, orné de quelques motifs noirs dont la forme était laissée à l'imagination des plus créatifs.
Le temps passa et après un certain moment l'élémentaire pénétra dans le lieu tant convoité, l'endroit était impressionnant et la foule répartie de façon structurée. Le flux des nouveaux arrivants était fluide et contrôlé par de nombreuses personnes qui semblaient avoir été assignées à cette tâche bien précise, l'une de celles-ci se dirigea vers lui en lui proposant de se diriger vers les rangs situés dans la zone centrale de l'amphithéâtre.
"Non...non merci..." répondit-il la voix un peu cassée.
Puis il se dirigea vers un coin, au fond à droite, et s'adossa au mur, silencieux. Les minutes défilèrent et les gens entraient, les portes furent fermées et les choses commencèrent lentement à se mettre en place. Des personnes montèrent pour se dévoiler aux citoyens de l'Avventura - il avait lu quelque part que c'était le nom de l'endroit dans lequel il se trouvait - puis commencèrent à parler de choses et d'autres. Puis..son visage apparut sur les gigantesques écrans, mobilisant de nouveau l'attention vacillante de l'élémentaire. Elle parlait de choses qu'il ne comprenait pas: d'infections, de sang humain, de remèdes, de guérison. Mais les mots glissaient sans l'atteindre. Ce visage..il était là, juste là, quelque part dans sa mémoire. Qui était cette jeune femme qui se tenait devant eux? pourquoi cette impression de déjà-vu? dans la pénombre de la salle le cœur de Vegeo décida de courir quelques longueurs et accéléra légèrement ses battements, pendant d'infimes secondes.
*Ambre?..pourtant...*
Finalement elle quitta l'estrade. Peut-être était-ce seulement une impression? peut-être avait-t-il croisé une personne qui lui ressemblait et que son visage était resté empreint dans sa mémoire? il ne trouverait probablement pas la réponse. Il suivit quelques instants "Ambre" du regard puis reporta ses iris verts et insondables sur la scène où une nouvelle personne se dirigeait déjà. Les mots s'alignèrent, implacables, les uns après les autres. Lui, impassible, observa les réactions des habitants puis écouta les dernières phrases d'excuses de la jeune femme.
"Mea culpa, mea maxima culpa." susurra-t-il pour lui-même, se souvenant d'une lecture qui avait meublé son silence, l'aidant à s'isoler encore plus.
Si la carapace qui était la sienne semblait à l'épreuve des balles, s'il était bel et bien devenu plus silencieux avec les semaines, le chagrin nouait tout de même sa gorge. La violence, encore la violence, toujours la violence en réponse aux maux des vivants. ne savaient-ils donc pas utiliser d'autres outils? était-ce réellement le bout du chemin de toutes les pulsions? elle parlait d'amour envers sa Mère, la Nature, d'amour envers l'Humanité. Savait-elle seulement ce qui se cachait derrière ces mots? mesurait-elle l'absurdité de ses propos? il enfonça ses mains dans ses poches puis se cala un peu plus dans son coin de mur, les yeux tristement dirigés vers la victime des nombreuses insultes qui fusaient dans l'amphithéâtre. Désabusé, il portait un regard critique sur les gens qui hurlaient leur rage.
*Quel immense mensonge..ils sont la cause de ce problème, ils sont la cause de tous leurs maux..le comprennent-ils seulement?* pensa-t-il, le visage assombri.
Il sentait que quelque chose arriverait à cette jeune femme, Alazar. Mais il ne voulait pas que ce soit quelque chose de mal, aucune punition n'était à imposer car la coupable n'était pas seule, ses actions n'étaient que la résultante de la haine des Hommes et des autres Créatures. Une seule solution transcendait toutes les autres et s'imposait par son évidence, une solution que l'élémentaire prononça à haute voix, tellement absorbé dans ses pensées qu'il n'avait remarqué si le silence était tombé sur la salle ou pas. Alors que le son traversait ses lèvres, ses yeux s'illuminèrent d'un vert plus prononcé, né du désir de paix que sa race lui imposait en quelque sorte.
"Le Pardon.."